Interview

« Il y a une prise de conscience globale des industriels sur la ressource eau »

Posté le 24 mai 2023
par Pierre Thouverez
dans Environnement

Interview de Laurent Daisne, Directeur commercial Industrie chez BWT France
BWT France apporte des solutions techniques aux entreprises industrielles désirant améliorer la gestion de leurs eaux, notamment pour limiter les prélèvements dans l’environnement.

Le Groupe BWT (Best Water Technology), qui emploie plus de 6 000 salariés à travers le monde, est spécialisée dans la fabrication de produits et de prestations attenantes au traitement de l’eau. Fort de 10 sites de production, BWT accompagne ses clients (particuliers, professionnels des bâtiments collectifs/tertiaires, des hôtels et des restaurants, industries), et parmi eux de nombreux industriels en France, souhaitant améliorer leur gestion de l’eau, dans le but d’en limiter la consommation et d’en favoriser la réutilisation.

Il est vrai qu’en France comme dans de nombreuses zones du globe, la disponibilité en eau douce devient de plus en plus problématique. En France par exemple, l’hiver très sec et le printemps laissent entrevoir de nombreuses nappes phréatiques dont le niveau est en-dessous de la normale, et un été tendu en termes de ressource eau.

Laurent Daisne, Directeur commercial Industrie chez BWT France, a expliqué aux Techniques de l’Ingénieur la prise de conscience des entreprises industrielles quant à l’importance de mettre en place des stratégies de traitement d’eau visant à réduire les prélèvements dans les ressources pour économiser et traiter l’eau. Mais aussi les freins qui persistent en France, pour l’instant, quant au cadre réglementaire dans lequel l’eau peut être réutilisée par l’industrie.

Techniques de l’Ingénieur : Quel est le cœur d’activité de BWT ?

Laurent Daisne : BWT France et plus particulièrement la Division Industrie est un acteur majeur du traitement des eaux industrielles, en France et à l’international. Nous proposons des solutions techniques innovantes pour répondre aux besoins de nos clients mais aussi pour limiter leur impact environnemental en réduisant la consommation d’eau douce grâce au traitement des eaux usées. Pour cela, BWT France base son action sur trois grands piliers : préserver la ressource eau, réduire les consommations énergétiques et protéger l’environnement. Concernant l’activité REUSE et REUT (réutilisation des eaux usées traitées), par exemple, il ne s’agit donc pas uniquement de traiter l’eau qui sort d’une station d’épuration, mais de la remettre en amont pour la réutiliser.

Laurent Daisne, Directeur commercial Industrie chez BWT France.

Aujourd’hui, la France est un peu en retard sur la réutilisation de l’eau dans l’industrie. Cela concerne 1% des cas dans l’hexagone, alors que ce chiffre atteint environ 15% pour des pays comme l’Italie ou l’Espagne. En effet, les décrets n’autorisent en France la réutilisation de l’eau que pour des fins d’utilités. Il n’est pas possible d’utiliser cette eau comme une eau ingrédient par exemple, ou une eau qui serait amenée à entrer en contact avec des aliments, dans le cas de l’industrie agroalimentaire, pour des questions d’hygiène.

Cela limite notre champ d’action, et nous espérons que les nouveaux décrets vont nous permettre de démontrer qu’il est possible d’élargir les possibilités de réutilisation de l’eau par l’industrie, dans un cadre réglementaire strict.

Il est également capital de développer des technologies qui permettent d’économiser l’eau en tant que ressource, c’est aussi une partie importante du premier pilier de notre action. A notre niveau, en tant que fabricant de matériel, nous voulons utiliser des machines qui sont les moins consommatrices possibles, en eau mais aussi en énergie, c’est le second pilier.

Le dernier pilier, la protection de l’environnement, s’illustre par le lancement, par BWT France, d’une gamme de 3 produits chimiques 100% biodégradables. Il s’agit aujourd’hui d’une gamme peu élargie, mais qui est amenée à se développer, notamment sur l’aspect biosourcé des produits.

Quels sont les secteurs industriels les plus impactés par les pénuries d’eau ?

Tous. Aujourd’hui il n’est plus question de se demander quelles sont les industries les plus consommatrices d’eau. L’urgence consiste aujourd’hui à la gestion de la ressource eau sur les territoires. Cette ressource “eau” vient à manquer, 75% des nappes phréatiques étaient en-dessous du niveau bas au 1er avril. Les médias parlent même désormais de sécheresses hivernales. C’est en cela que les industriels sont aujourd’hui obligés de mettre en place des stratégies de réutilisation des eaux. Ils n’ont plus le choix, quel que soit le secteur industriel concerné. Comme je l’ai dit, la réglementation française limite aujourd’hui le cadre de réutilisation de l’eau traitée par les industriels, ce qui freine l’essor de ces pratiques pour l’instant. Les acteurs de l’industrie travaillent intensément depuis deux ans sur des solutions de réutilisation de l’eau, dans le cadre réglementaire, mais avec un champ d’action réduit.

Il faut 1 000 litres d’eau pour produire un verre de lait, 35 000 litres pour produire une voiture. Pour produire, on a besoin d’eau. Evidemment le secteur agroalimentaire est très touché par la pénurie d’eau, par exemple. De même que le marché automobile, la chimie, la sidérurgie…

Comment les industriels s’adaptent-ils à cette pénurie ?

Les acteurs industriels sont moteurs dans les démarches d’amélioration de la gestion de l’eau : ils sont tout à fait conscients que l’eau est aujourd’hui une ressource rare, et que développer des procédés qui consomment moins d’eau, traiter et réutiliser cette eau est un moyen d’assurer une capacité à produire sur du long terme. D’ailleurs, les industriels qui achètent nos produits sont aussi très exigeants sur la durée de vie des produits, ce qui démontre leur volonté d’intégrer l’amélioration de la gestion de l’eau sur le long terme. Il y a une prise de conscience globale des industriels sur la ressource eau.

Au-delà du cadre réglementaire, qu’est-ce qui freine les entreprises dans leurs investissements pour mieux gérer leurs eaux ?

La mise en place de stratégies ambitieuses de traitement et de réutilisation de l’eau dans une entreprise est également liée à la capacité à investir. Un secteur comme l’industrie cosmétique a par exemple pris de l’avance sur le traitement de l’eau utilisée pour les différents procédés. Dans l’agroalimentaire, au cas par cas, les entreprises évaluent les possibilités d’amélioration du traitement de leurs eaux, en fonction de ce qui leur est possible, financièrement notamment, de mettre en œuvre. Sur ce sujet, le Président de la République a évoqué une tarification progressive de l’eau. Cela pourrait constituer, pour les industriels, une raison supplémentaire d’entreprendre des investissements importants afin de mieux gérer leur consommation d’eau.

Les territoires les plus touchés par la sécheresse dans l’hexagone sont-ils toujours les mêmes ?

Pas forcément. Un des territoires les plus touchés par la pénurie d’eau est aujourd’hui la Bretagne. Le Sud-est aussi, même si c’est moins inhabituel. Le problème, c’est que les zones de sécheresse progressent. Les industriels s’attendent à un été compliqué.

C’est aussi pour cela que nous constatons que de plus en plus d’industriels de tous secteurs réfléchissent à des solutions innovantes et parfois collectives, sur lesquelles nous travaillons avec eux, pour appréhender au mieux le manque d’eau sur le long terme. Le développement de solutions collectives et locales, avec des technologies innovantes, permet de travailler sur des échelles intéressantes en termes de volumes d’eau traités.

Peut-on imaginer un impact réel du manque d’eau sur la production industrielle dès cet été ?

Ce qui arrive parfois, c’est que des usines arrêtent leurs productions temporairement à cause d’une pénurie d’eau. Ce sont des situations rares, mais que nous vivrons cet été à coup sûr, quand on voit l’état actuel de la ressource eau. Les industriels s’y préparent, pour cet été et les suivants.

Quel rôle peut jouer l’évolution du prix de l’eau, actuellement relativement bas ?

Il me semble aujourd’hui important de se pencher sur le prix réel de l’eau. Nous avons l’habitude, en tant que consommateurs, industriels, d’avoir un accès à l’eau peu cher. Si les prix sont aujourd’hui toujours bas, la ressource est de moins en moins disponible. A l’heure actuelle, un industriel peut se demander quel est son intérêt d’investir des sommes importantes dans des dispositifs qui vont lui permettre de réutiliser de l’eau, alors qu’il a de l’eau neuve peu chère déjà à disposition. Dans quelques années, cette question ne se posera plus, le prix de l’eau neuve augmentera et rendra extrêmement compétitif celui de l’eau traitée et recyclée. Il s’agit pour les industriels d’anticiper autant que possible cette évolution.

Propose recueillis par Pierre Thouverez


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