Interview

Regards de dirigeants #16 : Arthur Dupuy, Ateliers Arthur Dupuy

Posté le 18 janvier 2022
par Pierre Thouverez
dans Entreprises et marchés

Arthur Dupuy est spécialisé dans le marketing olfactif. Aujourd’hui à la tête de sa propre entreprise, il propose à ses clients des signatures olfactives uniques. Il a répondu aux questions de Techniques de l’Ingénieur.

Formé à l’institut Paul Bocuse, Arthur Dupuy a créé en 2015 l’atelier Arthur Dupuy, une entreprise spécialisée dans la confection de signatures olfactives. Les signatures olfactives sont des fragrances, développées spécifiquement pour une marque ou pour un lieu comme un hôtel par exemple : elles permettent d’associer une odeur à une histoire, un lieu, pour en renforcer l’identité et favoriser la fidélisation de la clientèle.

Installé alors au sein de l’Université de Montpellier, Arthur Dupuy est rapidement rejoint par Isabelle Parrot, docteure en pharmacie. Tous les deux sont aujourd’hui à la tête d’une entreprise innovante en termes de parfumerie et de marketing, dans la ville de Montpellier, elle-même capitale historique des parfumeurs.

Arthur Dupuy a accepté de revenir pour Techniques de l’Ingénieur sur l’histoire déjà longue de sa jeune entreprise, et sur l’impact de la crise sanitaire sur son activité.

Yves Valentin : Pourriez-vous revenir sur l’histoire derrière la création de votre entreprise ?

Arthur Dupuy : Tout a commencé par une demande spécifique d’un client, en l’occurrence l’hôtel Le Royal de Lyon, un établissement 5 étoiles, qui collabore avec l’institut Paul Bocuse dont je suis diplômé.

Le client, l’institut Paul Bocuse, désirait disposer d’une signature olfactive sur mesure pour cet hôtel, afin de créer une identité supplémentaire pour ce lieu, et provoquer une émotion chez les usagers de l’établissement. Il s’agissait aussi, pour l’hôtel, de se différencier de la concurrence à travers cette création sur mesure. L’institut Paul Bocuse nous a donc chargé de la création de cette fragrance.

Nous nous sommes donc mis au travail en développant une formulation. J’avais à l’époque une vision très claire de ce que je voulais faire, mais pas les collaborateurs qualifiés pour le faire. Le hasard faisant parfois bien les choses, c’est à ce moment-là que j’ai rencontré Isabelle Parrot, docteure en pharmacie, avec qui je dirige l’entreprise aujourd’hui. Isabelle a tout de suite pris en charge l’aspect recherche et développement de l’activité, et amené avec elle la caution scientifique qui manquait alors au projet.

Combien de temps a duré le développement de cette fragrance ?

Cela nous a pris huit mois pour développer la signature olfactive pour l’hôtel Le Royal, car à l’époque nous n’étions pas du tout organisés comme nous le sommes aujourd’hui, et parce que la demande était très particulière : en effet, la signature olfactive devait pouvoir se décliner sur plusieurs types de diffusions : diffusion d’ambiance, bougies parfumées, sprays d’ambiance, céramiques parfumées… c’était un vrai défi.

Vous avez donc construit votre entreprise autour du développement de signatures olfactives sur mesure à travers cette demande initiale.

Oui. Aujourd’hui, la plupart des opérateurs équipant des lieux comme les hôtels sont plus spécialisés sur les supports que sur les parfums. D’ailleurs, les offres de signature olfactive sur mesure multi-supports pour un hôtel n’existaient tout simplement pas il y a six ans. La plupart des opérateurs aujourd’hui proposent encore des supports variés de diffusions de fragrances, avec un catalogue, mais sans réelle synergie globale au niveau olfactif. C’est ce créneau-là que nous avons décidé d’exploiter.

Quelle a été l’étape suivante pour l’entreprise Arthur Dupuy ?

À partir de là, la société a évolué, en étant placée dans un premier temps au sein de l’incubateur de la faculté des sciences de l’Université de Montpellier, puis dans un nouvel incubateur, celui du Business Innovation Center Cap Omega de Montpellier. Il y a même eu une troisième phase d’incubation, au sein de l’incubateur privé Village by CA. Cette phase de développement, à la fois soutenue par des fonds publics et privés, nous a permis d’obtenir une licence de savoir-faire, et l’autorisation de transférer ce savoir-faire au sein de la société Arthur Dupuy. Il était très important pour nous d’adosser notre activité à un savoir-faire et des compétences scientifiques.

Créations olfactives ©ArthurDupuy

En échange, la société reverse à ses tutelles, à savoir l’Université de Montpellier, L’Ecole Nationale de Chimie, le CNRS et l’IBMM (Institut des biomolécules Max Mousseron) des royalties annuelles indexées en partie sur les résultats de l’entreprise. C’est un bon exemple de valorisation de la recherche.

Au fil du temps la société a grandi, nous avons ouvert notre capital et sommes aujourd’hui soutenus par un acteur majeur de la parfumerie situé en région de Montpellier, la société Solignac Industries. Cela nous permet de travailler de manière plus ambitieuse tant au niveau de la commercialisation que de la R et D. Plus qu’un investisseur, Roxane (dirigée par Solignac Industries) est devenu pour nous un partenaire de développement, tant les synergies sont nombreuses entre leurs activités et les nôtres.

Quel est l’effectif aujourd’hui de votre entreprise ?

Nous avons aujourd’hui une équipe de 12 personnes, partagée équitablement entre le laboratoire et le reste de l’activité : marketing, commercialisation… au niveau de nos marchés, quatre secteurs couvrent l’ensemble de notre activité.

Le premier et le principal est l’hôtellerie restauration. Ensuite il y a l’univers des marques : cosmétiques, mode, artistes, personnalités…

Enfin, le monde des arts et les transports constituent les deux derniers secteurs de marchés sur lesquels nous évoluons. Le monde des transports, par exemple, développe des signatures olfactives pour aider les malvoyants et les malentendants à être prévenus, olfactivement, de l’arrivée d’un tramway par exemple. C’est un créneau sur lequel nous sommes très présents. Nous sommes en lice sur plusieurs appels d’offres, notamment à Grenoble et pour Paris 2024, sur ce type d’installations.

Quels sont vos process de fabrication ?

Les process de fabrication varient en fonction des demandes des clients. De manière générale, soit le client a déjà une idée de ce qu’il désire et nous sommes donc en situation de collecter les informations et les pistes qu’il nous donne pour nous mettre au travail. Second cas de figure, le client n’a pas d’idée arrêtée sur ce qu’il veut, et dans ce cas c’est à nous, à partir des briefs réalisés, de développer une fragrance sur mesure. Dans tous les cas, nous mettons entre un et trois mois pour développer une formulation spécifique, que le client pourra ensuite décliner sur une multitude de produits dérivés.

Comment avez-vous été impactés par la crise sanitaire ?

La crise sanitaire nous a frappé de plein fouet, puisqu’au cours du premier confinement nous avons perdu 50% de notre chiffre d’affaires. Nous avons donc décidé de changer notre fusil d’épaule et de nous lancer dans le B to C, partant du principe que les difficultés du marché B to B allaient perdurer.

Nous avons ainsi commencé à développer notre propre portefeuille de marques, sous l’appellation “Atelier Arthur Dupuy”.

Ce marché B to C a bien décollé, et depuis peu le marché B to B repart un peu partout. Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est que le B to C est notre meilleur apporteur d’affaires pour le B to B, et qu’il faut absolument développer l’un pour nourrir l’autre. C’est notre stratégie à l’heure actuelle.

Nous nous sommes également recentrés sur notre production. Nous avons compris qu’il nous fallait mettre les challenges HSE tout en haut de notre liste des priorités. Les attentes en termes de HSE des potentiels clients en B to B sont de plus en plus importantes. C’est une problématique sur laquelle nous sommes déjà largement investis, à travers le choix de toutes nos matières premières et à travers différentes politiques mises en place au sein de l’entreprise. L’axe fort sur lequel nous travaillons en ce moment est la diversification de notre catalogue de produits, pour le B to C, et le sourcing, afin de développer des filières les plus locales possible pour notre approvisionnement. C’est un moyen efficace de réduire notre empreinte écologique.

Comment avez-vous géré cette période en termes de management ?

La crise du Covid-19 nous a permis de comprendre certaines choses, notamment au niveau du télétravail. Nous étions assez réticents au début, nous l’avons mis en place par obligation mais aujourd’hui cette pratique persiste, pour certains collaborateurs, car elle a fait ses preuves. Cela évite de perdre du temps dans les transports, et nous y avons gagné en productivité.

Quelle est votre actualité aujourd’hui ?

Notre participation au salon Made in France est un moment important pour l’entreprise et nous nous préparons beaucoup pour cet évènement.

Comme je l’ai déjà évoqué, l’univers olfactif décliné dans les transports en commun est un sujet qui nous occupe beaucoup, sur lequel nous fondons beaucoup d’espoirs.

Enfin, nous avons engagé de gros programmes de R et D, notamment sur la production de nouvelles matières premières, pour pouvoir nous exprimer de manière différente par rapport à nos concurrents d’un point de vue parfums, arômes et cosmétique.

Nous avons des projets dans le Sud de la France, au Portugal, en Afrique, pour développer la production de nouvelles matières premières, avec deux axes de travail fondamentaux : l’éco extraction et la valorisation totale de la matière première, en circuit fermé. Cette volonté de développer des circuits de production les plus neutres possible au niveau écologique fait aujourd’hui partie de notre ADN.

Aujourd’hui, dans quelle mesure êtes-vous pénalisé par les incertitudes sur le marché des matières premières ?

Entre les ruptures de stocks, l’augmentation des tarifs de 10 à 20 % sur les matières sèches, les délais de livraison multipliés par trois… La reprise est plus incertaine que ce que nous projetions. Certains fournisseurs sont même dans l’incapacité de nous dire quand est-ce qu’ils seront réapprovisionnés. Il faut donc être très prudent.

Au-delà, les aides mises en place par l’Etat durant la crise sanitaire ont permis de faire face aux défis d’alors. Certaines entreprises ont pu également profiter de cette période pour moderniser leurs outils de production, donc je suis optimiste pour la suite.

Propos recueillis par Yves Valentin, Directeur Général des Techniques de l’Ingénieur, et mis en forme par Pierre Thouverez, journaliste.

Image de Une : Arthur Dupuy ©Arthur Dupuy


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