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Interview

Regards de dirigeants #4 : Clémentine Gallet, présidente de Coriolis Composites

Posté le par La rédaction dans Entreprises et marchés

Interview réalisée le 5 juin 2020

Clémentine Gallet est présidente de Coriolis Composites, une PME industrielle bretonne spécialisée dans les machines-outils robotisées. Evoluant dans le secteur de l’aéronautique, l’entreprise a été touchée de plein fouet par la crise sanitaire encore en cours.

Clémentine Gallet a cofondé en 2000 avec son mari et un autre associé la PME Coriolis Composites, une start-up spécialisée dans les machines-outils robotisées. A partir de 2005, Coriolis connaît une croissance importante et se taille une place de choix au sein de la filière aéronautique, dans laquelle la PME évolue exclusivement.

Le confinement décrété le 16 mars et la suspension du trafic aérien ont marqué un coup d’arrêt sans précédent pour l’activité de Coriolis. Clémentine Gallet a accepté de revenir pour Techniques de l’Ingénieur sur cette période difficile pour son entreprise, pour ses salariés et pour elle-même.

Yves Valentin : Comment avez-vous réussi à gérer la situation inédite que nous venons de vivre, aussi bien sur le plan professionnel que personnel, puisque votre mari et vous travaillez tous deux chez Coriolis Composites ?

Clémentine Gallet : Aujourd’hui, nous sommes le 5 juin 2020 et le moins que l’on puisse dire c’est que la situation est toujours très compliquée. Je n’ai pas retrouvé une vie normale pour le moment. J’ai 4 enfants, mon mari et moi travaillons dans la même entreprise… Gérer la vie professionnelle et la vie de famille de front a été d’une difficulté extrême, et c’est toujours le cas. Même dans la région plutôt épargnée qui est la nôtre, en Bretagne, il s’avère très compliqué de reprendre une vie normale.

Clémentine Gallet est présidente de Coriolis Composites

Surtout avec l’effondrement qu’a vécu le secteur aéronautique depuis le mois de mars, ce qui représente un vrai challenge pour nous. Il s’agit de notre principal secteur d’activité. Cela a été si brutal et général en même temps qu’il y avait un côté surréaliste à la situation que nous traversions.

En 20 ans, j’ai vécu beaucoup de situations compliquées avec Coriolis, mais le trou d’air qu’a constitué cette crise du Covid-19 est quelque chose que je n’avais jamais imaginé possible.

Nous nous sommes retrouvés, quotidiennement, devant des situations, des événements, des décisions à prendre qui étaient à la fois d’une grande complexité et d’une importance cruciale. Vis-à-vis des salariés, vis-à-vis des clients, des actionnaires…

Comment avez-vous géré la problématique centrale de la trésorerie durant cette période ?

Nous avons fait appel à tous les dispositifs mis en place par le gouvernement pour préserver la trésorerie, qui n’a jamais été chez nous un motif d’inquiétude immédiat, mais qui doit pour les mois qui viennent faire l’objet d’une attention particulière. J’ai donc passé beaucoup de temps au téléphone avec les banques, les actionnaires, pour réussir à obtenir un Prêt garanti par l’Etat (PGE).

Nous avons également eu des soucis en termes de commandes, puisque certaines ont été repoussées, d’autres suspendues… Pour faire court, nous nous sommes retrouvés avec des machines prêtes mais que nous ne pouvions plus livrer. Cela dit, nous avons pu, avec tous nos clients, trouver des terrains de négociations pour que les deux parties, eux et nous, supportent ces désagréments collectivement de manière intelligente. Cela également a pris beaucoup de temps, mais nous y sommes arrivés.

Comment vous projetez-vous sur la période à venir, alors que le secteur aéronautique est dans une situation extrêmement préoccupante ?

Il faut penser au futur, se projeter, pour ne pas que les problèmes du quotidien deviennent trop envahissants. Nous avons donc planché, avec mon mari, sur les moyens de se sortir de cette très mauvaise passe qui touche tout le secteur aéronautique.

Pour cela, il a fallu nous recentrer sur nos bases. Qu’est ce qui fait la force de Coriolis ? Quels sont nos atouts ? Nos faiblesses ? Maintenant que notre trésorerie est sécurisée, nous allons collectivement nous atteler sur les décisions à prendre pour l’avenir de l’entreprise.

Regrettez-vous certains choix stratégiques antérieurs à cette crise ?

Nous payons aujourd’hui les erreurs que nous avons commises par le passé, ainsi que les aléas du destin. Cela fait 5 ans que nous essayons de nous développer sur le marché de l’automobile. Nous avons développé des solutions complètes, des lignes pilotes, en investissant chaque année des sommes importantes. Le but étant d’adapter notre technologie, issue de l’aéronautique, aux contraintes du secteur automobile.

Nous avons eu de très bons résultats de recherche, et nous avons commencé des collaborations sur des projets allemands et français notamment… Cela était pour nous la porte d’entrée sur un nouveau marché, et un moyen de diversifier notre offre. Mais malheureusement, depuis le dieselgate, tous les investissements en faveur de l’allègement des véhicules ont été stoppés. Et transférés vers les recherches sur l’autonomie et la propulsion. Ce qui aurait pu constituer un relai de croissance pour nous s’est évaporé, du jour au lendemain.

D’autant plus que je reste persuadée que le marché de l’allègement des matériaux et l’usage de matériaux composites redeviendra dans les prochains années une préoccupation pour les constructeurs automobiles. En effet, avec le poids des batteries développées pour l’automobile, il faudra forcément adapter la structure et les matériaux qui la supportent. Cela sera donc plus long que prévu, mais nous gardons de fortes ambitions et nous croyons en notre capacité à intégrer cette compétition là.

En ce qui concerne le secteur aéronautique, quelles sont les pistes pour sortir de cette crise majeure ?

Comme je l’ai déjà évoqué, il faut penser au futur. Dans le cadre de ma participation au Bureau PME du GIFAS, je participe aux travaux du CORAC (Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile), cela m’a permis de m’aérer un peu l’esprit, durant la période que nous venons de vivre, en abordant les sujets importants pour le futur de l’aviation : l’écologie, la propulsion, l’usine du futur… Autant de sujets passionnants, qui vont occuper les équipes R&D de la filière pendant les années qui viennent.

Nous devons évaluer comment Coriolis peut s’intégrer au sein de ces grands projets d’innovation. Or, un des gros actifs que nous avons chez Coriolis, ce sont nos équipes de développement et de recherche, notamment en mécanique, robotique et digitalisation. Cela a d’ailleurs été très important pour moi de ne pas perdre ces équipes à l’aune du Covid-19. Les préserver pendant la crise pour leur permettre de reprendre leurs missions à 100% dès que possible constitue une clé importante pour l’avenir de l’entreprise.

Quelle est la prochaine étape ?

La prochaine étape pour nous, sur le court terme, va consister à lancer des programmes de développement et de financements associés. C’est ce qui nous permettra de maintenir l’excellent niveau de compétences que nous avons su développer au travers de nos 20 années d’expérience autour des technologies automatisées de dépose de composites.

Accomplir cela nous permettra également de répondre, par la suite, aux besoins futurs de l’industrie pour l’automobile, les moteurs du futur, l’usine du futur… Nous nous préparons pour cela. Nous voulons être capables de proposer une gamme de produits encore plus élargie dans le futur.

Nous avions également beaucoup misé sur des projets de développement avec de grands constructeurs aériens, sur l’analyse du besoin futur, le développement de softwares, le développement de l’intelligence des machines… Sur tous ces sujets nous allons continuer d’avancer aussi en termes de développement, pour être prêts le moment venu. Enfin, les travaux du CORAC au sein du GIFAS et le plan de relance qui en va découler m’ont laissé beaucoup d’espoirs, car on sent qu’il y a réellement une volonté d’inclure l’ensemble de la filière aéronautique dans le développement de l’avion du futur.

Sentez-vous un redémarrage de l’activité depuis le début du mois de juin ?

Aujourd’hui il est très difficile de se prononcer. Nous naviguons à vue, et pour rester dans la métaphore marine, la visibilité est quasi nulle. On pressent que le marché chinois repart légèrement, le marché russe également dans une certaine mesure… Nous allons pour notre part nous concentrer sur l’export, qui constitue 80% de notre chiffre d’affaires.

Vous nous avez expliqué il y a quelques instants un aspect de votre stratégie, consistant à développer des solutions pour les usines notamment. Cela doit-il devenir une stratégie impulsée au niveau de l’Etat ?

L’Etat peut inciter les entreprises à investir pour l’usine du futur, mais il ne peut pas vraiment faire plus que cela. Le plan de relance aéronautique, qui va sortir la semaine prochaine [interview réalisée le 05 juin 2020, NDLR] est très attendu à ce niveau-là. Il faut que nous puissions investir pour faire du développement sur l’usine du futur, mais pas seulement. Et pour cela nous avons besoin du soutien de l’Etat. Pour moi la recherche est aujourd’hui la clé pour sauver le système, d’autant plus que les deux années qui viennent vont être propices à cela.

La crise du Covid-19 a eu pour conséquence de figer les choses dans les entreprises. Cela laisse un espace pour opérer de grandes évolutions. Ce n’est pas anodin, car toute la filière aéronautique a assuré des cadences de production très élevées depuis plus de 10 ans. La période que nous vivons est aussi, je le crois, l’occasion pour une entreprise comme la nôtre de s’interroger sur sa stratégie, et d’opérer des changements significatifs et saisir des opportunités. Changements qui pour certains étaient déjà évoqués et même étudiés, mais rarement mis en place totalement. Faute de temps, faute d’urgence.

On parle beaucoup de relocalisations depuis le début de la crise du Covid-19. Quel est votre sentiment à ce sujet, alors que Coriolis est une entreprise très tournée vers l’international ?

Pour être franche, il me tarde de retourner à l’étranger. Il ne faut pas se replier sur soi en se disant qu’on va tout faire nous-même, en France. Nous n’en serions de toute façon, il me semble, pas capables. Je pense principalement à ma supply chain européenne. Nous assistons à certaines relocalisations qui font sens, mais cela ne doit pas être au détriment de la performance de nos entreprises.

Pour terminer, comment allez-vous organiser le travail dans votre entreprise cet été ?

Nous allons faire du chômage partiel. En septembre, nous devrions retrouver une vie « normale », l’ activité va reprendre à un rythme certes réduit mais avec une présence au bureau à 100%. Les équipes ont besoin de souffler ou de bouger cet été, je préfère donc les voir se ressourcer pour, au niveau de l’entreprise, redémarrer pleinement opérationnel début septembre.

Nous allons maintenir un fil continu d’activité sur les mois de juin et juillet, et prendre des congés en août sans toutefois fermer l’entreprise.

Propos recueillis par Yves Valentin, directeur général de Techniques de l’Ingénieur, et Pierre Thouverez, journaliste.

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