Près de 1 million de tonnes d’hydrogène sont produites chaque année en France, essentiellement pour les besoins du raffinage et de l’industrie chimique. Ce volume provient quasi exclusivement du vaporeformage du gaz naturel et rejette plus de 10 millions de tonnes de CO₂ par an, soit l’équivalent des émissions d’une ville comme Lyon. Décarboner cette production constitue donc un enjeu majeur pour atteindre les objectifs climatiques fixés à l’horizon 2050. La Cour des comptes vient de livrer un rapport sans concession sur la stratégie française pour y parvenir.
À l’origine, deux voies sont identifiées pour produire de l’hydrogène « propre ». La première consiste à adjoindre un système de captage-stockage du carbone au vaporeformage, mais présente l’inconvénient de maintenir une dépendance aux sources d’énergie fossiles. La seconde repose sur l’électrolyse de l’eau, mais nécessite d’importants investissements tout en restant peu performante, avec un rendement maximal de 65 %.
Dès 2020, la France engage un virage stratégique avec la première stratégie nationale hydrogène (SNH1), qui considère la production d’hydrogène électrolytique comme la seule option à soutenir par les pouvoirs publics. Un objectif de 6,5 GW de capacités électrolytiques installées à l’horizon 2030 est fixé, et une deuxième version, dévoilée en avril dernier, confirme ce cap. Cette SNH2 y ajoute un objectif de produire 0,6 millions de tonnes (Mt) par an à l’horizon 2030 et 1 Mt en 2035, avec une capacité installée de 10 GW. Et pour 2050, la trajectoire vise même 4 Mt par an.
« Ces objectifs paraissent toutefois irréalistes », dénonce la Cour des comptes, qui considère que seuls 0,5 GW à 3,1 GW de capacités pourraient effectivement être installés d’ici 2030. En parallèle, elle remet en cause les hypothèses de consommation, qui elles aussi apparaissent trop optimistes. Elle se réfère pour cela à plusieurs institutions, dont le CEA, la Cour des comptes européenne et l’AIE (Agence internationale de l’énergie), qui appellent à une révision prudente des projections, faute de quoi la stratégie hydrogène pourrait perdre en crédibilité.
Près de la moitié du soutien public est dirigée vers la mobilité routière
La Cour des comptes critique également la répartition des fonds publics mobilisés pour soutenir cette nouvelle filière. Sur la période 2020 à 2030, près de 9 milliards d’euros sont annoncés, sauf que près de la moitié des dépenses engagées concernent la mobilité routière, une proportion qui paraît « disproportionnée », puisque l’usage de l’hydrogène est désormais remis en question dans ce secteur. À l’inverse, les investissements dans les infrastructures de transport et de stockage d’hydrogène restent sous-explorés, alors qu’elles sont pourtant essentielles pour un fonctionnement optimal des électrolyseurs.
Autre écueil : la lenteur de mise en œuvre du plan d’action. Moins de 1 milliard d’euros ont en effet été décaissés au premier semestre 2024, et le principal appel d’offres, représentant près de la moitié de l’enveloppe globale, n’a été lancé qu’en décembre 2024. Résultat : « les premiers électrolyseurs subventionnés par ce biais pourraient n’être mis en service que fin 2030 », déplore la Cour des comptes.
Par ailleurs, la facture réelle dépasse déjà les 9 milliards annoncés, si l’on inclut les dispositifs généraux bénéficiant aux producteurs d’hydrogène électrolytique : exonérations fiscales, tarif réduit de l’électricité et compensation carbone. Au final, le coût public total pourrait atteindre entre 9,6 et 13 milliards d’euros d’ici 2030.
Enfin, la Cour des comptes pose aussi la question de l’équation économique de cette nouvelle filière, qui selon elle, paraît « incertaine ». Compris entre 4,0 et 4,9 €/kg, le coût de production de l’hydrogène par électrolyse reste élevé. À titre de comparaison, celui du vaporeformage est moins cher, de l’ordre de 1,5 à 2 €/kg . Même la solution de captage-stockage du carbone adjointe au vaporeformage serait « moins coûteuse pour un même résultat en termes de décarbonation », note l’institution. Son coût de production est en effet compris entre 2,3 €/kg et 3,0 €/kg.
Cette différence de compétitivité en défaveur de l’électrolyse se traduit par des surcoûts considérables. Selon les trajectoires actuellement envisagées pour 2050, le recours massif à l’électrolyse induirait un coût supplémentaire pour la collectivité compris entre 3,5 et 8,6 milliards d’euros par an.
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