Loin de faire l’objet d'un consensus, l'arrivée dans la région littorale de Gabès d'un site pilote pour produire de l'hydrogène vert provoque la colère des habitants. Pointant son impact environnemental, ils refusent de voir leur ville être sacrifiée pour une production destinée aux pays européens qui espèrent miser sur le marché prometteur de l’hydrogène vert.
Depuis plusieurs mois, dans la ville portuaire de Gabès, située au sud-est de la Tunisie, la population se mobilise sur le site de l’usine du GCT[1]. Les habitants viennent y exprimer leurs réticences concernant l’accueil d’un « projet pilote » pour la production d’hydrogène vert destiné à l’export.
Les habitants s’opposent aussi au projet d’une usine de conversion de l’hydrogène vert en ammoniac dit « vert » destiné à l’industrie locale des engrais.
Dans une ville déjà très polluée à cause de l’industrie du phosphate, le député de Gabès et le mouvement « Stop Pollution » s’inquiètent des répercussions de ces projets sur la santé publique et la biodiversité locale. La CONECT[2] a appelé, de son côté, à la réalisation d’une étude exhaustive portant sur la gestion des déchets et l’impact sur les ressources en eau.
Des installations très gourmandes en eau
La production d’hydrogène vert s’effectue par électrolyse de l’eau alimentée par des énergies renouvelables ; elle implique de puiser de grands volumes d’eau dans un pays déjà en proie à un important stress hydrique. La production tunisienne mobiliserait jusqu’à 248 millions de mètres cubes d’eau dessalée d’ici à 2050. Même si l’eau douce n’est pas utilisée comme source principale, le dessalement de l’eau de mer demeure un procédé coûteux.
En outre, le projet nécessitera plus de 500 000 hectares de terres pour l’implantation d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques dans le sud de la Tunisie.
Des conséquences sur l’environnement qui amplifieraient les difficultés auxquelles sont déjà exposés les habitants qui côtoient au quotidien l’air pollué et les eaux contaminées par les rejets des produits chimiques dans le golfe de Gabès. Depuis 45 ans, ce sont 5 millions de tonnes de phosphogypse qui sont rejetées chaque année[3]. Aucune étude épidémiologique n’a été effectuée malgré les alertes des experts.
La Tunisie : en pole position dans la course à l’or vert
Les autorités tunisiennes ne font que mettre en œuvre la feuille de route issue de la publication, en mai 2024, de la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène vert et ses dérivés en Tunisie, élaborée avec la GIZ allemande[4].
En mai 2024, la Tunisie a signé un accord historique avec l’entreprise TE H2[5] et l’autrichien Verbund pour construire une usine de production d’hydrogène vert à l’échelle du gigawatt avec une capacité de production initiale de 200 000 tonnes par an.
Cette stratégie illustre la volonté de faire du pays un exportateur majeur d’hydrogène vert avec une production annuelle de 8,3 millions de tonnes d’ici 2050, dont 6,3 millions de tonnes seront exportées vers l’Europe.
Seulement 2,3 millions de tonnes seraient destinées à alimenter le marché national ; un accaparement des ressources qui accroît le sentiment de colère des Gabèsiens vis-à-vis de ce qu’ils estiment être du néocolonialisme.
Pour relier la Tunisie et l’Algérie à l’Europe, un hydrogénoduc, baptisé « SoutH2-Corridor » d’une longueur de 3 300 km, devrait voir le jour pour faire transiter 1,6 million de tonnes d’hydrogène vert d’ici 2040.
Le retrait récent du phosphogypse de la liste des produits dangereux est un marqueur de la dynamique impulsée par le pays.
Rappelons qu’en 2017, le gouvernement s’était engagé à délocaliser les usines du GCT d’ici 8 ans et demi. Ce n’est, semble-t-il, plus qu’un lointain souvenir…
[1] Groupe chimique tunisien
[2] Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie
[3] Selon la Commission technique de l’étude de la situation environnementale à Gabès, Rapport final sur l’arrêt du déversement du phosphogypse dans le Golfe de Gabès, février 2016
[4] Agence de coopération internationale allemande pour le développement
[5] Consortium formé par TotalEnergies (80 %) et le groupe italien Eren (20 %)
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