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L’idée folle d’un moratoire sur les énergies renouvelables

Posté le 27 juin 2025
par Stéphane SIGNORET
dans Énergie

L’examen de la proposition de loi du sénateur Gremillet à l’Assemblée nationale le 18 juin a donné lieu à des votes complètement déconnectés de la réalité, dont un moratoire sur les énergies renouvelables. Retour sur ce moment qui a suscité un large tollé.

Vent de folie dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 18 juin. Alors que les bancs sont presque vides, sauf du côté de l’extrême droite, les députés votent plusieurs amendements à la proposition de loi dite Gremillet. Il en résulte un ensemble disparate visant à centrer la politique énergétique française presque exclusivement sur le nucléaire, à redémarrer Fessenheim, à exclure les énergies renouvelables de la programmation énergétique, à remettre en cause l’intégration de la France dans le marché européen de l’énergie, ou encore à la transformation d’EDF en Epic…

Le tollé qui s’en suit est à la mesure de l’énormité des amendements. Les industriels et fédérations des énergies renouvelables parlent d’une « approche irresponsable et extrême » selon le SER. Les élus du groupe Écologiste et Social, ne mâchent pas leurs mots, comme Julie Laernoes, députée de Loire-Atlantique disant que « la proposition de loi Gremillet, déjà déséquilibrée en sortie de Sénat, calibrée pour le tout nucléaire, a été ici transformée en véritable manifeste climatosceptique ». Au centre de l’échiquier politique, Philippe Bolo, député de Maine-et-Loire (groupe Les Démocrates) n’est pas en reste : « Le texte n’était plus une loi de programmation mais une loi de déprogrammation ! Il n’était plus un cap, il devenait une impasse ! »

Des mesures fragiles et impossibles

Pour mieux comprendre ce qui s’est passé, rappelons que depuis presque trois ans, la France attend la mise à jour de sa programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), un document essentiel pour tracer la route des priorités énergétiques. De consultations des professionnels en consultations du public, de décalages techniques en décalages politiques, la PPE qui devait sortir sous forme de décret s’est retrouvée questionnée par le sénateur des Vosges Daniel Gremillet (groupe Les Républicains) le 26 avril 2024, via une proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l’énergie. Adoptée au Sénat le 16 octobre 2024, cette proposition de loi est ensuite arrivée chez les députés.

Il est normal que les parlementaires aient un mot à dire sur de tels enjeux, mais quand cela se fait au mépris de faits scientifiques, techniques, économiques et juridiques, on aboutit à cette situation cacophonique du 18 juin. Comme le dit Jean-Luc Fugit, député du Rhône (groupe Ensemble pour la République) et aussi président du Conseil supérieur de l’énergie : « le texte sorti de nos débats multiplie les caricatures, les dispositions juridiquement fragiles et des mesures techniquement impossibles ». Voici les principaux aspects concernés.

Un des amendements prévoyait que le Code de l’énergie stipule un objectif annuel de production d’énergie décarbonée sans déclinaison par type d’énergie. Le terme « d’énergie décarbonée » n’existe pas dans le droit de l’Union européenne et risquait de mettre la France en infraction, selon l’avocat spécialisé Arnaud Gossement. Seule la catégorie « énergie renouvelable » existe au niveau de l’UE, ce qui ne plaît pas aux promoteurs du nucléaire qui aimeraient y inclure l’atome.

Plusieurs dispositions votées le 18 juin visaient à réduire à néant certaines filières renouvelables. Il s’agissait à la fois d’exclure l’éolien et le solaire photovoltaïque de la liste des énergies décarbonées (puisque étaient citées seulement les installations nucléaires, hydrauliques, marémotrices, géothermiques, aérothermiques, biomasse, osmotiques et cinétiques), de supprimer l’objectif existant de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie, et de supprimer les objectifs spécifiques à chaque source renouvelable. À rebours des dynamiques actuelles faisant de l’éolien et du solaire les solutions les plus rapides et parmi les moins chères à installer, au mépris des 80 000 emplois, ce moratoire de fait sur l’éolien et le solaire constituait « un signal inquiétant et profondément contre-productif » selon l’Union française de l’électricité (UFE).

D’autres amendements ont voulu modifier la loi pour que la production d’électricité française soit principalement basée sur le nucléaire. Une sorte de voie à sens unique qui va à l’encontre de la doctrine d’un « mix électrique équilibré » portée par tous les gouvernements. Pour Arnaud Gossement, cette rupture aurait eu pour conséquence de rendre difficile l’organisation d’appels d’offres pour soutenir la production d’énergies renouvelables.

Portés par leur euphorie du tout-nucléaire, et certainement victimes du syndrome de pensée magique, les députés d’extrême droite ont également inclus dans leur vote la remise en fonctionnement des deux réacteurs de Fessenheim, arrêtés depuis cinq ans. « Une ineptie » comme l’a relevé le Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN), tant sur le plan technique (beaucoup de composants comme la turbine ou l’alternateur ont déjà été enlevés) que sur les plans financier (une reconfiguration de la centrale nécessiterait au minimum 400 à 500 millions d’euros) et juridique (EDF ayant déclaré l’arrêt définitif de Fessenheim, il faudrait soumettre un nouveau dossier de reconstruction et de sûreté à l’ASNR).

Les textes votés remettaient en cause les principes d’intégration des marchés européens de l’énergie, qui permettent notamment une entraide entre les États membres. L’UFE a considéré que « plusieurs principes fondamentaux du droit européen sont ignorés, compromettant ainsi la sécurité juridique du cadre de marché […] essentielle pour garantir la confiance des investisseurs ».

Enfin, le lendemain des votes du 18 juin, une modification du Code de l’énergie aurait affaibli l’objectif climatique de la France. Au lieu de « réduire les émissions », il était en effet proposé de dire « tendre vers une réduction » : une subtilité sémantique non négligeable puisqu’elle aurait transformé l’obligation de résultat en obligation de moyen, selon l’analyse d’Arnaud Gossement.

Quelles suites envisager ?

La PPE s’est retrouvée au cœur d’une politisation de la question énergétique. Mais l’épisode de confusion après le vote du 18 juin aura duré moins d’une semaine puisque, à l’issue d’une intense mobilisation des acteurs souhaitant une transition énergétique équilibrée, l’Assemblée nationale a finalement rejeté la loi Gremillet (377 voix contre, 142 pour et 47 abstentions) le 24 juin. Ce dont le ministre de l’Industrie et de l’Énergie, Marc Ferracci, s’est félicité en précisant que « les députés ont refusé de sacrifier notre souveraineté énergétique à l’autel des postures idéologiques ».

Néanmoins, l’affaire n’est pas terminée. Marc Ferracci veut publier la PPE avant l’été (sic) mais la proposition de loi Gremillet doit revenir en seconde lecture au Sénat et être examinée à partir du 8 juillet. L’extrême droite fait même pression pour revoir passer ce texte à l’Assemblée nationale sous peine de censurer le gouvernement Bayrou. Il est donc fort à parier que les postures idéologiques vont perdurer…

De plus, la proposition de loi Gremillet et certaines orientations du Gouvernement comportent encore des dimensions contraires à une transition énergétique ambitieuse. Une « forme de moratoire light » sur les énergies renouvelables existe encore selon Arnaud Gossement. Et le volet sur la maîtrise de la demande d’énergie est « quasiment inexistant » selon l’Association négaWatt : niveau d’ambition fixé pour 2030 reporté à 2050 ; ambitions sur la rénovation des bâtiments « considérablement affaiblies par rapport aux textes en vigueur, tant en termes de rythme que de qualité des rénovations » ; et « secteur des transports totalement absent, sauf au travers d’un article visant à s’assurer que la protection de la qualité de l’air ne puisse entraîner de restriction de circulation » !

Alors que tous les acteurs du secteur de l’énergie espéraient des objectifs ambitieux, des moyens économiques pertinents et une longue stabilité réglementaire grâce à la PPE, il semble que l’ambiance chaotique n’est pas près d’exaucer leur vœu.


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