Les chiffres sont têtus et rappellent l’urgence : en 2024, l’industrie française a rejeté 62,4 millions de tonnes de CO₂ équivalent, soit 16,9 % des émissions nationales. Troisième contributeur au réchauffement climatique derrière les transports et l’agriculture, ce secteur n’a réduit ses émissions que de 1,4 % en un an, comme le révèle un rapport du Réseau Action Climat, réalisé avec la contribution de France Nature Environnement, sur les 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France. Un recul bien en deçà des attentes, puisque pour respecter la trajectoire climatique, la diminution devrait être trois fois plus rapide.
Le document met en évidence la difficile mutation de l’industrie française vers plus de durabilité. La sidérurgie, dominée par ArcelorMittal, voit ses émissions repartir à la hausse tandis que plusieurs projets de décarbonation sont mis en pause. L’aluminium suit la même tendance, porté par une conjoncture favorable, mais sans véritable innovation. La chimie, en crise, stagne, quand l’agroalimentaire connaît même une reprise des émissions sur la majorité de ses sites les plus polluants. Seul le secteur des matériaux de construction affiche une baisse, mais celle-ci reflète surtout un recul de la production. Dans l’ensemble, les efforts réels de décarbonation demeurent trop marginaux pour inverser durablement la courbe.
Pourtant, les ambitions politiques ne manquent pas. En 2022, le gouvernement lançait le « plan des 50 sites », ciblant les installations les plus émettrices, responsables de plus de la moitié des émissions industrielles françaises. L’objectif était clair : réduire de moitié les rejets en dix ans et viser la neutralité carbone à l’horizon 2050. Trente-deux contrats de transition écologique ont bien été signés en 2023, mais leur traduction concrète se fait attendre. Les projets de décarbonation profonde, basés sur la circularité, l’électrification ou l’hydrogène vert, demeurent encore à l’état d’étude et peinent à franchir le cap des investissements.
Le financement reste au cœur du problème. Les besoins sont évalués à 22 milliards d’euros d’ici 2030, mais seulement 4,5 milliards ont été budgétés en 2023. Jusqu’à présent, 1,54 milliard a permis de financer 368 projets, mais le manque de visibilité plombe les décisions. Les industriels réclament une trajectoire claire et pluriannuelle. Le Réseau Action Climat plaide pour une loi de programmation des finances vertes, qui permettrait de sanctuariser les crédits et d’aligner les politiques industrielles, énergétiques et climatiques. Sans cadre stable, la transition reste soumise aux aléas budgétaires et à l’attentisme des entreprises.
Conditionner les aides publiques à des critères écologiques et sociaux
Autre écueil : l’opacité des aides. L’absence de registre centralisé rend impossible l’évaluation de leur efficacité. Le rapport recommande la création d’un observatoire dédié aux sites les plus polluants et d’un registre national recensant l’ensemble des soutiens financiers. Surtout, il propose de conditionner ces financements publics à des engagements fermes en matière sociale et climatique, avec le maintien de l’emploi, la réduction effective des émissions, voire la suspension temporaire du versement de dividendes en cas d’aide reçue. Autant de leviers qui permettraient d’éviter que l’argent public serve d’abord des intérêts privés.
Mais la bataille ne se joue pas uniquement sur le terrain économique. Le document met en garde contre le poids croissant des industriels dans le débat public. Certaines entreprises comme TotalEnergies, ArcelorMittal ou Lafarge déploient un lobbying puissant pour influencer les choix politiques. Résultat : plusieurs directives du Pacte vert européen ont été simplifiées ou repoussées, affaiblissant la régulation environnementale. Cette stratégie fragilise non seulement les objectifs climatiques, mais aussi la stabilité réglementaire dont les entreprises disent pourtant avoir besoin pour investir.
Pour les industriels, le réchauffement climatique n’est plus une abstraction, puisque les canicules, les pénuries d’eau et les inondations perturbent déjà certaines chaînes de production. Selon des projections, l’inaction pourrait coûter entre 1 et 3 % du PIB mondial d’ici 2050, et dépasser 20 % d’ici 2100. Face à cette menace, le Réseau Action Climat appelle à replacer l’intérêt général au centre des décisions et à renforcer les garde-fous contre l’influence des lobbies. Transparence, conditionnalité, planification : autant de mots-clés qui dessinent un chemin possible pour la décarbonation.
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