Si l’Agence internationale de l’énergie présente le CCUS comme une brique essentielle pour traiter les émissions « incompressibles » du ciment, de l’acier ou de la chimie, deux observations persistent. D’abord, le CCUS ne doit pas être utilisé comme un outil permettant aux industriels de retarder la transformation nécessaire de leurs procédés. Aussi, la maturité technologique de certains procédés de CCUS pose la question de leur mise en œuvre effective, et questionne sur leur rentabilité.
Il faut dans un premier temps se pencher sur la manière dont les CCUS sont déployés aujourd’hui. La quasi-totalité de la cinquantaine de projets de captage et de stockage opérationnels dans le monde est aujourd’hui liée à la production ou à l’usage d’hydrocarbures, et 80 % des volumes captés servent à la récupération assistée de pétrole. Ainsi, une grande part du CO₂ capté sert encore à extraire plus de pétrole.
Ce qui fait dire à certains que le CCUS peut être aujourd’hui utilisé comme un argument pour prolonger l’exploitation d’infrastructures fossiles, alors que dans le même temps de nombreux projets de récupération et de stockage de CO₂ sont abandonnés, faute de performances suffisantes et de business model pérenne.
Dans de nombreux secteurs pour lesquels les émissions sont très difficiles à faire baisser sans revoir complètement les modèles de production, les industriels mettent en avant l’absence de solutions alternatives pour justifier des plans très dépendants du CCUS. Pourtant, d’autres options émergent depuis de nombreuses années : sobriété, substitution de procédés, électrification, entre autres.
Le cas de la sidérurgie illustre bien cette ambivalence. Dans ce secteur, le CCUS ne jouera probablement qu’un rôle marginal dans la décarbonation mondiale de l’acier, en raison de coûts élevés, de taux de capture limités et de performances décevantes, alors que des voies technologiques comme la réduction directe du minerai, associée à l’hydrogène vert progressent rapidement.
Pas de neutralité carbone sans le CCUS
Pour le dire vite, certaines industries voient dans le CCUS un moyen de réduire leurs émissions sans changer leurs pratiques. Pour autant, réduire le CCUS à un simple alibi paraît aujourd’hui caricatural. Un rapport de l’AIE rappelle qu’atteindre la neutralité carbone sans CCUS dans certains segments comme la cimenterie par exemple, où une partie des émissions provient directement de la chimie du procédé, impliquerait des coûts bien plus élevés ou des ruptures technologiques au TRL encore trop faible.
Il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre le CCUS mais bien de distinguer les usages qui en sont faits par les acteurs industriels. Tandis que les uns intègrent cette solution dans une stratégie globale de réduction des émissions, d’autres s’en servent comme substitut pour repousser des décisions structurelles à impact pour leurs activités.
Sur le plan économique, la promesse du CCUS est aujourd’hui fragile. En Europe par exemple, les projets présentent un coût moyen du tryptique capture-transport-stockage de près de 200 euros par tonne de CO₂, soit presque le double du prix du carbone actuel. Ainsi, une augmentation importante du prix du carbone sur les marchés, ou un soutien massif des États, la plupart des projets de CCUS ne trouvent pas de modèle économique viable.
Prenons l’exemple bien connu du projet norvégien Longship. Ce dernier, financé à hauteur de 2,2 milliards d’euros sur les 3,4 milliards nécessaires à la réalisation du projet, permettra d’ici 2029 de capter 400 000 tonnes de CO₂ par an issus des cimenteries. Un investissement énorme, mais qui reste dérisoire par rapport aux 2,5 milliards de tonnes émises chaque année par ce secteur dans le monde.
Pour résumer, il convient aujourd’hui d’encadrer l’usage du CCUS, qui permet à certains secteurs aux émissions incompressibles de réduire leur impact, tout en prenant garde à contraindre les secteurs qui le peuvent à modifier leurs pratiques pour réduire leurs émissions à la source.
Cet article se trouve dans le dossier :
Le CCUS, une nécessité industrielle en quête d'un modèle économique
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