Le comportement des composants électroniques à semi-conducteurs est largement conditionné par la nature des interfaces ou jonctions qui en séparent les différentes parties constitutives (métalliques, diélectriques ou semi-conducrices) et par la façon dont les porteurs, électrons ou trous, longent ou traversent ces interfaces. Les jonctions semi-conducteur/semi-conducteur intervenant dans les composants et circuits, à base de transistors à effet de champ ou de transistors bipolaires, qui ont dominé jusqu’à la fin des années 1980 la microélectronique, sont en général des homojonctions séparant deux régions de dopages différents, quoique éventuellement de même type, d’un même semi-conducteur hôte. En pratique, ce dernier est le plus souvent du silicium (filières NMOS, CMOS, bipolaires et BiCMOS) et plus rarement de l’arséniure de gallium (filières MESFET GaAs).
Au cours des années 1980, des progrès constants en matière d’élaboration des matériaux de technologie de fabrication et de physique des structures semi-conductrices complexes ont favorisé l’émergence d’une nouvelle génération de composants microélectroniques dits à hétérojonctions. Ces hétérojonctions sont des jonctions où se trouvent juxtaposés deux semi-conducteurs différents. Elles sont le plus souvent en accord ou quasi-accord de maille cristalline [cas des jonctions GaAs/GaAlAs des transistors à hétérojonction à effet de champ, dits TEGFET ou HEMT, et des transistors bipolaires à hétérojonction, dits TBH (§ 2.1 et 3.1)]. Mais ces hétérojonctions peuvent être aussi en léger désaccord de maille (de l’ordre de 1 % comme dans le cas des jonctions Ga0,8 In0,2 As/GaAs à faible taux d’indium des transistors à effet de champ dits pseudomorphiques (§ 2.4), voire en désaccord plus important, au-delà de ce que peut supporter l’élasticité limitée du réseau cristallin, et impliquant alors des zones cristallines très disloquées [cas des structures GaAs/Si ou GaAs/InP (§ 2.4), où les différences de dimensions de mailles cristallines sont de l’ordre de 4 %, mais qui sont encore au niveau d’études de laboratoire].
Cette notion d’hétérojonction entre deux semi-conducteurs différents peut se généraliser à des structures semi-conductrices plus complexes. On parle alors d’hétérostructures qui peuvent inclure des hétérojonctions simples, doubles ou multiples comme dans les superréseaux ou superalliages où peuvent se trouver empilées plusieurs dizaines de couches minces alternées de semi-conducteurs différents. Les épaisseurs des couches utilisées en pratique peuvent varier dans une large gamme allant de quelques micromètres pour les plus épaisses (couches dites tampons par exemple), à quelques nanomètres pour les plus minces qui n’incluent alors que quelques plans atomiques et dans lesquelles on cherche souvent à exploiter des effets quantiques. À la limite, on peut à présent, en laboratoire, contrôler la croissance d’hétérostructures, plan atomique par plan atomique, par une procédure épitaxiale sophistiquée dite ALE (Atomic Layer Epitaxy).
Dans tous les cas, cette possibilité de combiner, au sein d’un même composant, des semi-conducteurs de structures de bandes différentes, apporte des degrés de liberté supplémentaires permettant de développer des composants nouveaux à performances améliorées ou à fonctionnalité originale. En effet, en sus des champs appliqués et des gradients de dopage assurant le contrôle du transport des électrons et des trous dans les composants ordinaires à homostructure semi-conductrice, le fait de pouvoir faire varier l’énergie de bande interdite dans le cas d’une hétérojonction permet des variations spatiales brutales des potentiels et des champs [cf. le puits de potentiel du HEMT utilisé pour séparer porteurs et donneurs (§ 2.1)]. De plus ces variations peuvent être différentes pour les électrons et pour les trous, introduisant ainsi une sorte de filtrage dans le transport de ces deux types de porteurs (cf. l’interface émetteur-base du TBH, § 3.1). L’exploitation de ces degrés de liberté, souvent qualifiée d’ingénierie de bande interdite, a donné lieu à un foisonnement d’innovations, tant en optoélectronique qu’en microélectronique, et ce plus particulièrement dans le cas des matériaux III-V sur lesquels se focalisera par conséquent en grande partie le présent chapitre.