En France depuis quelques années, les acteurs industriels ne parlent plus seulement de traitement des eaux usées, mais de réutilisation et de boucles fermées. Derrière la sémantique, plusieurs objectifs : alléger les prélèvements, sécuriser la production et, de plus en plus, récupérer de la valeur dans les effluents produits.
Depuis 2023–2024, la France a simplifié et élargi la réutilisation des eaux usées traitées (REUT). Un décret de janvier 2024 en détaille les usages, la procédure d’autorisation et la surveillance sanitaire. Un arrêté de juillet 2024 précise l’emploi d’eaux réutilisées au sein d’un site ou entre sites du secteur alimentaire.
Les effluents deviennent des actifs de production
Les industriels n’utilisent plus l’eau une seule fois, la volonté est aujourd’hui de créer une boucle fermée, dans l’objectif de revaloriser les eaux usées. Concrètement, la revalorisation combine les actions suivantes.
D’abord, le recyclage interne : des procédés d’ultrafiltration accompagnés d’une osmose inverse (parfois avec bioréacteurs à membranes, UV, ozonation) permettent de revenir à des qualités des eaux compatibles avec des activités de rinçages, de nettoyage et de refroidissement. Dans l’agroalimentaire par exemple, Danone a obtenu une dérogation pionnière pour réutiliser de l’eau recyclée dans certaines étapes de nettoyage, avec à la clé environ 30 % d’économie d’eau.
Ensuite, l’utilisation de boucles de refroidissement fermées permet de limiter l’évaporation et de réduire les prélèvements d’eau douce. Dans ce cadre, ArcelorMittal met en avant cette stratégie dans ses nouvelles installations bas-carbone, sur son site de Dunkerque.
La récupération de chaleur sur effluents et la valorisation des boues (méthanisation) constitue la troisième voie possible. Les grands acteurs du traitement de l’eau, comme Veolia ou Suez industrialisent ces approches dans leurs offres actuelles à destination des entreprises.
Enfin, le recyclage pour utilités : les eaux retraitées peuvent dans ce cas alimenter les circuits incendie, les tours de refroidissement ou le lavage des gaz par exemple.
La microélectronique en première ligne
Les industries de haute technologie, très gourmandes en eau ultra-pure, sont particulièrement en pointe sur la thématique de l’innovation en traitement des eaux usées. STMicroelectronics annonce par exemple d’ores et déjà un taux de 42 % d’eau recyclée (en 2023), et vise 50 % d’ici 2025. Soitec, autre acteur majeur, a doublé en quelques années son taux de réutilisation sur son site de Bernin. Ces efforts s’expliquent autant par la pression environnementale que par la nécessité d’assurer une continuité de production dans un secteur hautement stratégique.
Derrière ces réussites se cachent aussi les géants français de l’eau, Veolia et Suez, qui développent et déploient des technologies de pointe : bioréacteurs à membranes, nanofiltration, procédés d’oxydation avancée, élimination de micropolluants ou encore pilotage numérique. Ils accompagnent ainsi les industriels dans la conception de systèmes intégrés, où l’eau devient un flux circulaire au même titre que l’énergie ou les matières premières.
Malgré ces avancées, la France reste en retard sur la réutilisation par rapport à ses voisins du sud de l’Europe notamment : moins de 1 % des eaux usées traitées sont réutilisées, contre 8 à 15 % en Italie et en Espagne. Les freins actuels tiennent autant à la lourdeur administrative qu’à la crainte des risques sanitaires, et à la difficulté de financer certaines installations sur les sites de taille moyenne.
La prochaine étape consistera à penser la réutilisation non plus seulement au niveau du site industriel, mais à l’échelle territoriale. Une eau utilisée par une usine peut en théorie irriguer des cultures voisines, servir au nettoyage urbain ou être restituée sur un autre site industriel. Cette approche collective, déjà expérimentée dans certains bassins en Espagne, pourrait aussi constituer une réponse durable aux tensions hydriques en France.
Cet article se trouve dans le dossier :
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