Confronté à un système complexe (nous appellerons ainsi toute structure, par exemple une entreprise comportant un grand nombre d’éléments interconnectés entre eux par des relations de causalité), l’être humain semble avoir du mal à analyser, à comprendre, encore moins à prédire son comportement dans le temps. Cette difficulté d’appréhension est essentiellement due à la présence de boucles de rétroaction au sein de presque tout système de ce type.
Que quelques-unes de ces boucles — ces cercles « vicieux » ou « vertueux », ces structures homéostatiques, régulatrices, ou au contraire explosives — interviennent simultanément ou successivement au sein d’une structure, et nous voilà impuissants à prédire le comportement dans le temps du système correspondant. Nous n’avons pas le don d’analyse, d’intuition de ce qui va se passer lorsque, au sein d’un système, plusieurs variables interconnectées jouent à la fois le rôle de cause et d’effet.
Pourtant, il y a plus de cinquante ans, est apparue une science, la cybernétique — généralisation de la théorie des asservissements —, utilisée de façon régulière dans toutes les sciences de l’ingénieur, et qui facilite l’analyse des systèmes bouclés. Son succès auprès des ingénieurs a amené certains chercheurs [5] à transposer cette science au domaine des sciences humaines (au sens le plus général du terme, celui qui attire de plus en plus les jeunes ingénieurs : management, économie, structures psychologiques et sociales, urbanisme et même politique). Cette démarche, analysant d’un point de vue à la fois systémique et cybernétique le comportement de structures diverses dans de très nombreux domaines des sciences humaines, a connu un développement certain depuis quelques années et a donné naissance à une démarche spécifique, voire même à une école de pensée que son créateur — Jay Forrester — et les auteurs les plus connus ont appelé « dynamique des systèmes. »
Les travaux correspondants, développés maintenant dans le monde entier, concernent tous les domaines pour lesquels le temps est une variable essentielle. Citons, entre autres, les domaines suivants en insistant sur ceux qui intéressent plus particulièrement les ingénieurs :
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stratégie d’entreprise et politique nationale et internationale [23] ;
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finance, gestion de production, marketing, management ;
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environnement, écologie, problèmes urbains, transports ;
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relations humaines (psychosociologie) [22] ; biologie, médecine [24].
À qui s’adresse cette démarche, que nous appelons aussi « systémique de l’ingénieur » ?
Répondre à cette question revient d’ailleurs en grande partie à introduire les principes de la dynamique des systèmes.
Cette démarche s’adresse :
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Tout d’abord aux personnes qui travaillent dans les très nombreux domaines où le temps est une variable essentielle, et qui rejettent, en la considérant comme dangereuse, l’attitude « y’a qu’a ».
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À toutes celles qu’intéresse le changement, qu’intrigue l’évolution des structures et des évènements environnants, qui désirent comprendre le pourquoi et le comment de certaines évolutions.
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Donc à quiconque veut analyser et comprendre le comportement dynamique de structures complexes, quelle que soit leur nature (on sait que cette démarche est depuis très longtemps employée, sous d’autres noms ou sous un nom presque semblable, par les scientifiques, les ingénieurs, pour analyser, simuler, améliorer le fonctionnement de systèmes physiques et technologiques : physique nucléaire, aéronautique, construction de centrales, d’usines, de plates-formes pétrolières, etc. C’est avant tout son extension aux systèmes qualitatifs, dits « flous », qui nous intéresse).
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Aux personnes qui désirent mettre en évidence les facteurs structurels agissants d’un système, au‐delà d’explications purement conjoncturelles des phénomènes.
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À celles et à ceux qui sont conscients de l’importance — souvent mal perçue — des structures bouclées dans les comportements complexes et difficilement analysables de très nombreux systèmes. Ces structures bouclées, la plupart du temps complexes (délais, non-linéarités), souvent même compliquées (interconnexions multiples), sont à l’origine de la difficulté qu’a l’être humain à en prévoir et en analyser de manière intuitive le comportement dynamique.
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À quiconque est prêt à aller jusqu’au bout de la démarche, à savoir : formalisation, quantification et simulation des systèmes étudiés.
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À celles et à ceux, enfin, qui voulant faire de la prospective intelligente et ne se contentant pas d'extrapoler les tendances en cours, veulent profiter d'une démarche et d'outils nouveaux pour analyser toutes les situations, toutes les évolutions possibles, même les plus improbables, les moins crédibles a priori, celles que l'on n'ose à peine imaginer.
Ainsi, les pages qui suivent sont destinées :
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à présenter les concepts de base de la dynamique des systèmes complexes ;
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à donner une méthodologie de base permettant d’appliquer la démarche. Ceci est accompagné d’un exemple traité tout au long du déroulement de cette démarche.