La recherche biopharmaceutique moderne et le développement de nouvelles solutions thérapeutiques s'appuient le plus souvent sur l'étude des gènes et des protéines pour lesquelles ils codent. L'avènement de technologies de séquençage de génomes entiers à haut débit et la disponibilité de la puissance de calcul nécessaire à l'exploitation des données générées ont considérablement renforcé le rôle du génie génétique et de la biologie moléculaire. C'est ainsi que les mécanismes fondamentaux de la vie – que sont la transcription de l'ADN, puis la traduction des ARN messagers – sont exploités dans une large panoplie de systèmes vivants pour synthétiser des protéines qui seront utilisées dans les programmes de développement pharmaceutique.
Que ce soit pour réaliser des tests de criblage in vitro de molécules chimiques, pour construire des modèles cellulaires exprimant tel ou tel récepteur, développer un anticorps monoclonal thérapeutique ou encore un vaccin recombinant, le recours à un système de production de protéines recombinantes est le plus souvent la règle.
Parmi ces systèmes, les cellules d'insecte occupent une place intermédiaire entre les bactéries (procaryotes) puis les eucaryotes unicellulaires (levures), d'une part, et, d'autre part, les cellules de mammifères supérieurs telles que les CHO (Chineese Hamster Ovary cells). La bactérie Escherichia coli a été le premier système de production développé pour la production d'une protéine thérapeutique, l'insuline humaine. Cet organisme, par sa simplicité d'utilisation, sa rapidité, ses rendements de production et son faible coût, est très souvent évalué en première intention. Cependant, l'absence de modifications protéiques post-traductionnelles importantes, comme les glycosylations, les maturations protéolytiques ou la formation de certains ponts disulfure, rend assez souvent indispensable le recours à des systèmes eucaryotes, et plus particulièrement quand l'ingénierie génétique ne permet pas de lever les obstacles.
À l'autre bout de la chaîne, les cellules de mammifères (CHO principalement) sont aujourd'hui le système de choix pour produire les protéines thérapeutiques complexes. Les anticorps monoclonaux, dont une trentaine sont approuvés et mis sur le marché, sont l'exemple par excellence de protéines multimériques complexes produites dans ces cellules.
Les cellules d'insecte sont très largement utilisées pour produire des protéines pour la recherche biopharmaceutique. Elles s'imposent comme une alternative très intéressante pour accomplir les modifications co- et post-traductionnelles complexes requises pour un grand nombre de protéines, notamment humaines. Grâce au vecteur baculovirus, elles sont rapides à mettre en œuvre et permettent le plus souvent d'obtenir des rendements de production importants (de 100 mg à 1 g/L). Ce système d'expression présente par ailleurs une sécurité biologique accrue. Les éléments qui y sont mis en œuvre ne présentent aucun risque pathogène ni pour les vertébrés ni pour les plantes.
Malgré quelques inconvénients qui freinent encore son développement à grande échelle pour la bioproduction pharmaceutique, le système baculovirus/cellules d'insecte semble avoir trouvé dans les vaccins un premier domaine de prédilection. En effet, plusieurs vaccins, humains ou vétérinaires, produits par ce système sont sur le marché. Des procédures robustes de culture et de fermentation des cellules d'insecte existent. Les développements au niveau des outils biologiques, des procédés et des équipements sont continus, ce qui va certainement lui assurer une part de plus en plus importante en bioproduction. Dans les domaines des vaccins en particulier, le champ est immense car un grand nombre de virus ou d'autres micro-organismes pathogènes ne disposent pas encore de solutions vaccinales satisfaisantes. Par ailleurs, la mobilité grandissante à l'échelle mondiale favorise la dissémination de pathogènes et augmente les risques épidémiques. La rapidité avec laquelle certains vaccins spécifiques peuvent être produits par ce système (8 à 10 semaines pour les virus influenza, par exemple) est un atout majeur.
En parallèle de sa rapide progression dans le domaine des vaccins, le baculovirus et les cellules d'insecte connaissent un développement important dans le domaine du transfert de gènes et de la thérapie génique. Le potentiel du vecteur baculovirus dans ce cadre est parfaitement validé sur plusieurs modèles animaux. Par ailleurs, son exploitation en tandem avec les cellules d'insecte pour produire des particules du virus adéno-associé (AAV) parfaitement aptes à la transgénèse lui ouvre de nouvelles perspectives dans la production pharmaceutique.
L'objectif du présent article est de fournir une vue large de la principale technologie de production de protéines dans les cellules d'insecte, tout en illustrant son positionnement de plus en plus fort dans le domaine des vaccins recombinants. D'un point de vue technique, les méthodes de construction de vecteurs et de culture des cellules sont décrites. Les paramètres qui permettent la mise en place et l'optimisation de procédés de bioproduction sont définis. Enfin, des axes importants de développements scientifiques et technologiques sont mis en perspective afin de souligner le potentiel de ce système.
Nota
le lecteur trouvera en fin d'article un glossaire des termes et expressions importants de l'article.