Alors que les origines de nombreuses techniques sont souvent incertaines et controversées, l’invention du béton précontraint est connue sans ambiguïté puisqu’un seul homme, Eugène Freyssinet, peut légitimement la revendiquer. C’est lui qui conçut et réalisa, dès 1908, le tirant de l’arche d’essai du Veurdre, ancêtre incontestable de tous les ouvrages en béton précontraint, perdu pendant la Première Guerre mondiale puis retrouvé par hasard en 1991 dans un jardin particulier des environs de Moulins. C’est lui qui, en 1928, déposa les premiers brevets sur l’ancrage par adhérence, à l’origine de la précontrainte par prétension puis qui, au sein de la société forclum, développa toutes les techniques permettant sa mise en œuvre effective (structure des moules, pré-étirage des fils, essorage et étuvage des bétons…) pour la réalisation de poteaux électriques. C’est lui encore qui inventa le premier système opérationnel d’ancrage par post-tension et le vérin associé (brevets de 1939)…
Si Eugène Freyssinet fut un constructeur remarquable, un pionnier à l’imagination débordante, un expérimentateur et un observateur remarquable, un travailleur acharné et exigeant, il ne consacra jamais beaucoup de temps à publier sur ses idées ni, surtout, à les vulgariser en les structurant et en les détaillant de façon à en faciliter l’appropriation par le plus grand nombre. C’est à quelques-uns de ses proches collaborateurs, parmi lesquels on peut citer Yves Guyon et Pierre Lebelle, que revient le mérite d’avoir rendu accessible à la communauté des ingénieurs-constructeurs l’ensemble de ces concepts nouveaux, d’en avoir fondé une théorie cohérente et d’en avoir dégagé des règles simples de prédimensionnement.
Le présent article et l'article [C 2 377] s’inscrivent modestement dans cette lignée. Leur objet se limite à la précontrainte par câbles de structures en béton essentiellement constituées de poutres. Il se concentre sur le dimensionnement et les dispositions constructives de ces ouvrages. Des informations sur les méthodes et techniques de mise en œuvre sont données dans la mesure où elles sont utiles au calcul et à la conception de détail.
Depuis les travaux de Guyon et Lebelle, les principes et les méthodes de dimensionnement n’ont pas changé. Par contre, les matériaux, aussi bien acier que béton, ont largement progressé, comme en attestent les normes françaises et européennes qui les concernent. Les règles de calcul et de justification ont aussi connu des modifications notables, les règles françaises laissant la place aux Eurocodes. Le présent article intègre les dernières évolutions de ces normes, et en particulier de l’Eurocode 2, consacré aux règles de calcul et dispositions constructives des constructions en béton.
Le présent article, après avoir montré comment réaliser la précontrainte d’une structure puis comment évaluer ses effets (§ 1), développe un certain nombre de notions incontournables sur les matériaux et les matériels utilisés (§ 2) ainsi que sur l’estimation de la tension dans les armatures actives (§ 3). À ce sujet, le lecteur pourra se reporter à l’article [C 2 372] qui traite des techniques de mise en œuvre du béton précontraint.