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Décryptage

La saga des Smarties bleus

Posté le par La rédaction dans Chimie et Biotech

[Tribune] Ariel Fenster, professeur de chimie à l’Université McGill (Canada)

Tout commence en 2009 quand, pour répondre à la demande des consommateurs qui « …réclament un programme de vie plus sain avec moins d'ingrédients artificiels », Nestlé décide d'éliminer les colorants artificiels de ses friandises et de les remplacer par des colorants naturels.

Les amateurs de Smarties doivent être satisfaits. Tout au moins ceux qui ne pouvaient pas se remettre de l’élimination des pastilles de couleur bleue de cette friandise. La saga avait débuté en 2009 quand, pour répondre à la demande des consommateurs qui « …réclament un programme de vie plus sain avec moins d’ingrédients artificiels », Nestlé décida d’éliminer les colorants artificiels de ses friandises et de les remplacer par des colorants naturels.

L’inquiétude des consommateurs provenait d’études suggérant des liens entre les colorants artificiels et certaines formes de cancer. Ces liens controversés provenaient d’études lors desquelles des animaux de laboratoire avaient reçu des quantités énormes de colorants, sans aucune mesure avec celles consommées par l’humain. Ces controverses donnent lieu à des situations où la législation varie d’un pays à l’autre. Par exemple, l’amarante (rouge no 2), permise au Canada, est interdite aux États-Unis. Une autre source d’inquiétude provient du lien possible entre certains colorants artificiels et l’hyperactivité chez les enfants. À ce sujet, un groupe de consultation de la FDA avait récemment proposé qu’un avertissement soit ajouté sur l’emballage des aliments contenant des colorants artificiels. La proposition a été rejetée, sous la pression de l’industrie.

Pour Nestlé, le fait de remplacer les colorants artificiels des Smarties ne représentait pas un problème insurmontable. La compagnie avait le choix entre 24 colorants naturels (en plus des dix colorants synthétiques) qui sont autorisés par Santé Canada. À part le bleu, des substituts ont facilement été trouvés par des combinaisons de curcuma, de caramel*, de rouge de betterave, d’oxyde de titane ou d’oxyde de fer. Il pourrait sembler curieux que l’oxyde de titane, que l’on retrouve dans le fluide de correction Liquid Paper, ou l’oxyde de fer, qui est le nom chimique de la rouille, soient considérés comme des colorants « naturels ». En fait, c’est parce qu’ils se retrouvent naturellement comme minéraux dans l’environnement que la classification s’applique.

Néanmoins, malgré tous les efforts de Nestlé, aucun des colorants dits naturels n’arrivait à reproduire le bleu intense qui faisait la joie des amateurs. Ce bleu, que l’on retrouve encore dans les M&M’s, est obtenu en mélangeant deux colorants synthétiques, le bleu brillant (bleu no 1) et l’indigotine (bleu no 2). Ce dernier, le même qui colore nos jeans, est intéressant parce que la molécule est naturellement présente dans la plante, l’indigo. Mais comme le colorant lui est préparé en laboratoire, il ne peut pas être considéré comme « naturel ».

Finalement, en mai 2010, les Smarties bleus ont refait leur apparition sur le marché canadien. En quantité très restreinte, il faut le dire. Bien que la photo de publicité de Nestlé ci-contre montre plusieurs pastilles bleues, je n’en ai personnellement trouvé qu’une dans le paquet que je m’étais procuré ! Mais, pour moi, le mystère des Smarties bleus reste entier quant au colorant de remplacement utilisé. En Grande-Bretagne, la compagnie utilise des extraits produits par une bactérie : la spiruline. Toutefois, celle-ci n’est pas permise au Canada. D’après les représentants canadiens de Nestlé, le bleu proviendrait d’extraits de chou rouge. Ce dernier est un indicateur naturel qui change de couleur en fonction de l’acidité. Et en milieu basique, condition que l’on retrouve dans les Smarties, la couleur vire au bleu. Toutefois, le chou rouge n’apparaît pas non plus dans la liste des colorants naturels permis au Canada.

La saga des Smarties bleus me fait penser à celle de la margarine. Finalement, après des années de controverse, les Québécois ont le droit d’avoir de la margarine de la même couleur qu’ailleurs au Canada. Ici, au Québec, les producteurs laitiers s’y opposaient, pour protéger leur marché du beurre. L’ironie est que le beurre lui-même est coloré pendant les mois d’hiver, lorsqu’il est normalement presque blanc. En été, les vaches mangent de l’herbe qui contient du bêtacarotène, qui donne de la couleur au beurre.

Pour moi, outre les risques hypothétiques de cancer et d’hyperactivité chez les enfants, une des raisons principales qui devrait nous inciter à limiter notre consommation de colorants, tant artificiels que naturels, est le fait qu’ils sont surtout utilisés dans des aliments dont les qualités nutritionnelles laissent à désirer. Plutôt que de simplement inscrire le terme « colorant » sur l’emballage d’un produit, un premier pas dans la bonne direction serait d’identifier par leur nom les colorants utilisés. À ce sujet, Santé Canada vient de terminer une consultation auprès des groupes concernés. Les conclusions de cette consultation promettent d’être intéressantes. À présent, la tartrazine, un allergène pour certains individus, est le seul colorant mentionné par son nom.

 

* Avec plus de 200 000 tonnes consommées chaque année et 90 % des parts du marché, le caramel est le colorant alimentaire le plus utilisé. Cette popularité s’explique notamment par sa présence dans de nombreuses boissons gazeuses.

 

Par Ariel Fenster, professeur à l’Université McGill (Canada), et membre fondateur de l’Organisation pour la Science et la Société

Posté le par La rédaction


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