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Décryptage

Le gaz hilarant… Il y a plusieurs facettes à chaque histoire

Posté le par La rédaction dans Chimie et Biotech

[Tribune] Ariel Fenster, professeur de chimie à l’Université McGill (Canada)

On connaît le gaz hilarant pour ses effets euphorisants, moins pour ses effets anesthésiants et même toxiques...

La manchette du journal israélien Haaretz était plutôt tragique : « Deux adolescents meurent à la suite d’une surdose de gaz hilarant ». Deux victimes de plus associées à l’utilisation indue de ce gaz.

Découvert en 1776 par Joseph Priestley, ce gaz, dont le nom chimique est l’oxyde nitreux (N2O), devint très rapidement populaire pour ses effets euphorisants. On le retrouvait dans les plus grands salons, où la haute société organisait des soirées appelées « frolics ». Les invités, après avoir inhalé le gaz, perdaient leurs inhibitions et agissaient de manière cocasse en riant sans raison, d’où son surnom. On s’en servait aussi dans les fêtes foraines, où l’on payait pour avoir le privilège d’inhaler de l’oxyde nitreux et d’en apprécier les effets. C’est après avoir découvert les effets du gaz lors d’un tel événement que le dentiste américain Horace Wells (1815-1848) eut l’idée de l’utiliser comme anesthésique. L’un des visiteurs de la foire avait en effet trébuché alors qu’il était sous l’effet du gaz et malgré une profonde blessure à la jambe, il ne semblait ressentir aucune douleur. Horace Wells commença donc à utiliser l’oxyde nitreux dans le cadre de sa pratique à partir de 1844.

Le 20 janvier 1845, il décida de démontrer les effets du gaz nitreux au Massachussetts General Hospital. Malheureusement, une erreur dans l’administration du gaz fit en sorte que le patient volontaire se mit à hurler de douleur. Horace Wells quitta la salle sous les quolibets et ne se remit jamais de cet échec. Il se tourna donc vers le chloroforme, un autre anesthésique découvert en 1847. En 1848, il se suicida en se tranchant l’artère fémorale. Pourtant, l’histoire désigne désormais Horace Wells comme ayant été le fondateur de l’anesthésie. Pour ceux d’entre vous qui habitez Paris (il y en a parmi mes lecteurs), rendez- vous à la Place des États-Unis. Vous y trouverez la statue d’Horace Wells, qui porte l’inscription : « Au dentiste américain Horace Wells, novateur de l’anesthésie chirurgicale 1844-1848 ».

S’il vivait encore, Horace Wells serait surpris d’apprendre que l’oxyde nitreux est toujours utilisé par certains dentistes*. Comme relaxant, il est particulièrement efficace chez les patients souffrant d’anxiété ou de phobie dentaire, respectivement 20 % et 5 % de la population. L’American Academy of Pediatric Dentistry le recommande pour les enfants. D’après certaines données, 30 % des dentistes aux États-Unis l’utiliseraient régulièrement. Il est nettement moins populaire au Canada, possiblement à cause d’anecdotes liant son utilisation à des fausses couches et des problèmes d’infertilité parmi le personnel dentaire qui y est exposé.

Mais là où il n’existe aucun doute au sujet de l’oxyde nitreux, c’est au niveau des dangers qu’il représente lorsqu’il est utilisé à des fins « récréatives ». Dans le cas mentionné ci- dessus, les jeunes avaient volé un tank d’oxyde nitreux d’un cabinet de dentistes et l’avait inhalé sous sa forme pure (comme sédatif, il est plutôt mélangé avec de l’oxygène). Ils sont morts asphyxiés.

Par Ariel Fenster, professeur à l’Université McGill (Canada), et membre fondateur de l’Organisation pour la Science et la Société

 

* L’oxyde nitreux est lipophile, c’est-à-dire qu’il se dissout facilement dans les gras. C’est pourquoi on le retrouve aussi comme agent propulseur dans les cannettes de crème fouettée. Ne vous précipitez pas chez votre épicier. Les quantités y sont trop faibles pour avoir un effet « hilarant ».

Posté le par La rédaction


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