Logo ETI Quitter la lecture facile

Décryptage

Organisation du marché de l’électricité : que penser des propositions du rapport Champsaur ?

Posté le par La rédaction dans Environnement

[Tribune] Pierre Bacher

L'ouverture du marché européen était censée faire baisser les prix. Au début des années 2000, les capacités de production étant excédentaires et le prix du gaz très faible, la concurrence devait effectivement jouer son rôle. Mais aujourd’hui, tout a changé. Et la sortie du nucléaire en Allemagne, si elle se réalise, ne fera qu’aggraver cette situation. Explications.

Fortement appuyée par la Commission européenne et acceptée par la France après des combats d’arrière-garde, l’ouverture du marché de l’électricité devait provoquer une baisse des prix. Le bilan de cette ouverture a été désastreux en France [1].Dès 2006, les gros consommateurs français qui avaient choisi de renoncer aux tarifs régulés pour bénéficier l’ouverture du marché ont dû renégocier des contrats en forte hausse. Pour en atténuer les conséquences, le gouvernement a permis à ces consommateurs de revenir à un tarif proche du tarif régulé et a inventé le « tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché » ou TARTAM [2].Face à des concurrents qui hurlaient à la mort, EDF a été sommée de leur céder une fraction de sa production nucléaire à des conditions négociées au cas par cas. Le marché européen de l’électricité est devenu de facto la seule référence de prix, avec au moins deux conséquences fâcheuses : d’abord, la fiction d’une « plaque de cuivre » européenne (les lieux où sont produits et consommés les kWh ne comptent pas) [3]. Ensuite, l’électricité intermittente et non garantie (éolienne et solaire), est réputée valoir ce que vaut le prix du marché [4].En ce qui concerne le premier point, la confusion introduite entre les mécanismes d’élaboration des prix de marché et les échanges physiques d’électricité est d’autant moins excusable qu’elle est commise par des organismes réputés compétents (ADEME et RTE).

Respecter les engagements européens
L’ouverture à la concurrence s’est avérée très difficile compte tenu de l’avantage considérable que constitue le parc nucléaire pour EDF. Les palliatifs mis en œuvre par le gouvernement pour limiter la casse ont été fortement contestés par la Commission européenne et même par les organismes français veillant au respect des règles de la concurrence.Face à cette situation, le gouvernement a chargé une commission présidée par Paul Champsaur de lui présenter des propositions d’organisation du marché de l’électricité. Cette organisation devra respecter les engagements européens de la France en matière d’ouverture du marché de l’électricité et de libre concurrence, mais éviter que les consommateurs français ne soient pénalisés. Ces propositions font l’objet d’un rapport publié en avril 2009, dont nous reproduisons les recommandations les plus fondamentales [5].Elles reposent pour l’essentiel sur le partage à un prix régulé de la production du parc nucléaire « historique » (c’est-à-dire les 58 centrales mises en service entre 1978 et 2000) entre EDF et ses concurrents, au prorata de leurs parts de marché intérieur, et sur le maintien des tarifs régulés pour les petits consommateurs.

Des points essentiels laissés de côté
La concurrence est censée garantir que le coût très bas de la production de base sera répercuté sur les gros consommateurs, et que les tarifs réglementés le seront sur les petits consommateurs. Le rapport évoque quelques-unes des précautions à prendre pour qu’un tel système fonctionne. Il précise que sa mise en œuvre permettrait de supprimer le TARTAM, de simplifier, et de rendre lisible, l’ensemble du marché français de l’électricité tout en respectant l’ouverture du marché européen.Maintenant, que faut-il penser de ces propositions ? De toute évidence, il s’agit d’un exercice de haute voltige entre objectifs apparemment contradictoires, à savoir le respect des directives européennes que la France a acceptées, et la valorisation au bénéfice des consommateurs français du parc nucléaire. On ne peut que saluer bas ce travail, et se féliciter que la référence de prix en France redevienne celle des parcs nucléaire et hydraulique, qui assurent 90 % de la production. Mais un certain nombre de points essentiels semblent avoir été laissés de côté.Ainsi, les tarifs de vente proposés pour l’électricité nucléaire « oublient » les remboursements des emprunts contractés pour la construction du parc et écartent toute provision pour le renouvellement du parc (alors que ce renouvellement est explicitement souhaité). Ils oublient même le financement de la recherche préparant l’avenir, comme si une entreprise pouvait vivre sans recherche et sans développement ! Ceci place EDF en position d’infériorité par rapport à ses concurrents, puisque seule EDF prend le risque du développement du nucléaire.

EDF en position d’infériorité ?
La répartition de la production nucléaire étant faite au prorata des parts du marché français, la part actuellement exportée par EDF (près de 10 % de la production) semble ne pas devoir être prise en compte. Si tel était le cas, cela priverait EDF de recettes importantes, au détriment également de la balance commerciale française.EDF étant obligée de vendre la plus grande partie de sa production à un prix régulé largement inférieur au prix de marché, ce prix régulé devrait aussi servir au calcul de la compensation de service public (CSPE) accompagnant l’obligation d’achat des électricités éoliennes et solaires.Le gouvernement ayant annoncé son intention d’ouvrir le débat au Parlement sur l’organisation du marché de l’électricité à l’automne prochain, on ne peut que souhaiter que ces différents points soient pris en considération.Par Pierre Bacher En savoir plusAncien élève de polytechnique, Pierre Bacher est l’auteur de « L’énergie en 21 questions » – édition Odile Jacob (2007), membre du conseil scientifique de Sauvons le Climat et éditorialiste à l’Espace Veille de Techniques de l’ingénieur. 

Notes :
 [1] Ceci était prévisible : cf. Marcel Boiteux « Les ambiguïtés de la concurrence », Revue Futuribles n° 331 (juin 2007). Comme l’explique le nota 5 du rapport de la commission : « L’influence sur les prix de l’électricité française des prix dans les pays limitrophes de la France, notamment l’Allemagne, peut s’expliquer de la façon suivante : « tant que les capacités d’interconnexion ne sont pas saturées, la « plaque continentale » se comporte plus ou moins comme un marché unique avec un coût marginal qui n’est qu’exceptionnellement le coût variable du nucléaire. La compétitivité de la production française en base ne se reflète donc pas dans les prix français observés du fait des interactions entre le marché français et les autres marchés européens, notamment le marché allemand ».[2] Communiqué Sauvons le Climat : « Vous ignoriez le TARTAM, quelle lacune » (avril 2009 www.sauvonsleclimat.org) [3] P. Bacher -« Le contenu en CO2 du kWh électrique » – Techniques de l’ingénieur, La lettre Energies (novembre / décembre 2008)[4] P. Bacher -« L’impact du Grenelle de l’environnement : la production d’électricité » – tribune dans Techniques de l’Ingénieur du 2 mars 2009[5] Rapport sur l’organisation du marché de l’électricité et synthèse des recommandations : « La commission préconise d’attribuer à tout fournisseur un droit d’accès à l’électricité de base à un prix régulé reflétant les conditions économiques du parc nucléaire historique pour un volume proportionné à son portefeuille de clientèle sur le territoire national. En ce qui concerne l’accès régulé à la production d’électricité en base aux conditions du parc historique :
  • les volumes devraient être attribués, en suivant l’évolution du portefeuille de clients.
  • le prix devrait couvrir l’ensemble des coûts présents et futurs (charges d’exploitation, investissements de maintenance et d’allongement de la durée de vie des centrales) supportés par EDF sur son parc historique, sans augmenter la dette.
  • la forme des contrats devrait prendre en compte l’essentiel de l’avantage compétitif tiré du parc nucléaire actuel et notamment du fait qu’il produit plus en hiver qu’en été.
Pour les petits consommateurs, la commission préconise le maintien des tarifs régulés ».  

Posté le par La rédaction


Réagissez à cet article

Commentaire sans connexion

Pour déposer un commentaire en mode invité (sans créer de compte ou sans vous connecter), c’est ici.

Captcha

Connectez-vous

Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.

INSCRIVEZ-VOUS
AUX NEWSLETTERS GRATUITES !