La technologie contemporaine repose en très grande partie sur la maîtrise des matériaux semi-conducteurs, à partir desquels des transistors et des circuits électroniques sont fabriqués avec une intégration croissante, plusieurs milliards de transistors par puce, ainsi que des détecteurs et des émetteurs d'ondes électromagnétiques, depuis les ondes radios jusqu'à la lumière visible. Il n'est pas un domaine économique ou industriel aujourd'hui qui n'intègre ces « Technologies de l'Information et de la Communication » (ICT en anglais).
Pourtant, derrière cette domination sans partage, les dispositifs semi-conducteurs ont leur revers et surtout leur limites, qui pour certaines sont atteintes. Elles tiennent pour l'essentiel au fait qu'un dispositif semi-conducteur présente une résistance finie, qui dissipe de l'énergie par effet Joule sous l'action d'un courant d'une part, et limite la bande passante dans les composants comportant une capacité (filtre RC passe-bas) d'autre part. L'usage massif des technologies numériques s'accompagne donc d'une dépense énergétique croissante. Il s'agit d'un enjeu énergétique et environnemental majeur. Il faut donc trouver des voies plus économes en énergie pour traiter l'information, et si possible à plus haute fréquence. Pour cela, on peut changer l'architecture de base des processeurs, qui serait plus proche du fonctionnement du cerveau particulièrement économe en énergie (systèmes neuromorphiques), ou la nature même du traitement de l'information en faisant appel aux processus de cohérence quantique (ordinateurs quantiques). Une autre voie consiste à tirer partie des propriétés des matériaux supraconducteurs, qui dissipent très peu d'énergie, et peuvent être le support du traitement quantique de l'information.
Les dispositifs basés sur des métaux et/ou des semiconducteurs ont aussi des limitations quand il s'agit de détecter des ondes électromagnétiques. Le bruit Johnson associé à toute résistance impose une limite physique à la sensibilité et à la détectivité des dispositifs. Utiliser des matériaux supraconducteurs à faible dissipation serait un atout pour progresser également dans ce domaine.
Les matériaux Supraconducteurs à Haute Température Critique (SHTc) présentés dans cet article sont des alternatives intéressantes pour franchir les limites décrites ci-dessus, au moins dans un certain nombre de domaines. Découverts en 1986, ces oxydes complexes à base de cuivre (des cuprates) sont supraconducteurs à des températures supérieures à celle de l'azote liquide (77 K), contrairement aux supraconducteurs conventionnels qui le sont à celle de l'hélium liquide (4,2 K). Les systèmes cryogéniques qui produisent des températures de l'ordre de 77 K coûtent bien moins cher que leurs équivalents à 4,2 K, et sont beaucoup plus simples et miniaturisables.
Contrairement aux supraconducteurs conventionnels qui sont des métaux, les SHTc sont des oxydes, de structure cristallographique complexe qui joue un rôle clef dans les propriétés électroniques. Celles-ci sont différentes des métaux usuels, et dépendent fortement du dopage et de la chimie du matériau. L'utilisation de ces composés dans des dispositifs concrets passe donc par la maîtrise de leur synthèse, souvent à haute température, que ce soit sous forme volumique ou en couches minces. Le composé YBa2Cu3O7 sous forme de film mince est le plus utilisé dans les applications qui se développent actuellement, en particulier dans les domaines de l'électronique et des capteurs. Celles-ci reposent sur un ensemble de propriétés particulières communes à tous les supraconducteurs, décrites et expliquées dans cet article à partir des concepts de base de la supraconductivité. A l'origine se trouve un état quantique cohérent de tous les électrons de conduction, qui réagissent collectivement aux excitations extérieures. Il en résulte une absence de résistance électrique en courant continu, une électrodynamique singulière et la présence d'une bande d'énergie interdite (à l'instar de celle des semi-conducteurs) qui régit le comportement de la plupart des grandeurs physiques mesurables dans ces matériaux. De plus, on peut accéder à la cohérence quantique de l'état supraconducteur qui se manifeste à l'échelle macroscopique.
Ces caractéristiques sont utilisées pour fabriquer les briques de bases de l'électronique supraconductrice que sont les jonctions Josephson, analogues des transistors pour les dispositifs semi-conducteurs, mais qui dissipent 10 000 fois moins d'énergie (même en tenant compte de la réfrigération), et des détecteurs de champs magnétiques ultimes comme des SQUIDs (Superconducting QUantum Interference Device). De nombreux dispositifs ont été réalisés, pour la détection d'ondes électromagnétiques, le contrôle non destructif, la prospection minière ou dans le domaine biomédical par exemple, mais également pour le traitement de l'information (processeurs, amplificateurs…). Sont décrites ici principalement les applications qui se développent sur la base des SHTc, dont certaines sont commerciales.