Par définition, un processus catalytique bifonctionnel fait intervenir deux types de fonctions (ou de sites) du catalyseur, cette intervention pouvant être concertée (par exemple catalyse acido-basique) ou consécutive (par exemple catalyse redox-acide). Seule la catalyse redox-acide est impliquée dans les transformations des hydrocarbures paraffiniques, naphténiques et aromatiques des coupes pétrolières. La mise en évidence sur les catalyseurs de reformage, d'une synergie entre leurs fonctions hydrodéshydrogénante et acide date des années 1950, un schéma réactionnel ayant été proposé peu de temps après pour expliquer son origine. Ce schéma comporte de multiples étapes successives :
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de catalyse sur les sites hydrodéshydrogénants (formation d'espèces intermédiaires insaturées très réactives) et acides (réarrangement, craquage, cyclisation, etc. de ces espèces) ;
de transport des molécules de réactifs, produits et intermédiaires réactionnels.
Bien que complexe, cette transformation bifonctionnelle se produit très rapidement et en une seule étape apparente : les intermédiaires insaturés, thermodynamiquement très défavorisés, n'apparaissent en effet que sous forme de traces dans les produits finaux.
Si certaines transformations mises en œuvre industriellement par catalyse bifonctionnelle redox-acide peuvent aussi se produire par catalyse monofonctionnelle acide (ou redox), opérer par catalyse bifonctionnelle est souvent économiquement préférable. C'est ce que montre la comparaison des procédés d'hydrocraquage (bifonctionnel) et de craquage acide (FCC, Fluid Catalytic Cracking) de charges lourdes (Teb > 350 oC) :
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la transformation de ces charges est mise en œuvre à plus basse température : 380 à 420 oC en hydrocraquage, 480 à 580 oC en FCC ;
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cette transformation est aisément orientée vers des produits plus valorisables : bases huile, carburant diesel au lieu d'essence, et la sélectivité en produits désirés est plus grande ;
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les unités d'hydrocraquage opérant sous pression d'hydrogène, la désactivation des catalyseurs par dépôt de coke est beaucoup plus lente : les catalyseurs d'hydrocraquage sont régénérés après plusieurs années de fonctionnement (1 à 3 ans), ceux de FCC doivent l'être après quelques secondes.
L'intérêt supplémentaire de la catalyse bifonctionnelle est celui de rendre possible la transformation de composés réfractaires en catalyse monofonctionnelle acide. Ainsi, les catalyseurs de craquage catalytique (FCC) sont incapables de transformer les hydrocarbures polyaromatiques des charges lourdes, ce que permettent les catalyseurs bifonctionnels d'hydrocraquage. C'est aussi le cas pour l'isomérisation du composant éthylbenzène des coupes C8 aromatiques, uniquement réalisable par catalyse bifonctionnelle.
Ces atouts ont permis aux catalyseurs bifonctionnels de prendre une place prépondérante dans les procédés de conversion du raffinage du pétrole et de la pétrochimie. Lorsque la charge contient peu ou pas de poisons des sites hydrogénants (reformage des essences, hydroisomérisation des alcanes légers, déparaffinage de distillats moyens et huiles, transformation de la coupe C8 aromatique), le platine est choisi en raison de sa très grande activité pour catalyser, seul ou associé à d'autres métaux, les étapes d'hydrogénation et de déshydrogénation. Dans le cas contraire (par exemple, l'hydrocraquage), le platine trop sensible aux poisons de la charge est remplacé par le palladium ou plus généralement par des sulfures mixtes de nickel et de molybdène ou tungstène, moins actifs, mais beaucoup plus résistants à l'empoisonnement. Ces composants hydro-déshydrogénant (Pt, Pd, NiMoS, NiWS) sont généralement supportés sous forme dispersée sur un solide (alumine chlorée, zéolithe protonique…) présentant des sites acides protoniques forts, capables de catalyser efficacement les transformations souhaitées des intermédiaires alcènes. Toutefois, des supports acides moins forts sont parfois choisis, tels qu'une alumine peu chlorée en reformage des essences qui, pour des raisons d'équilibre thermodynamique, doit être opéré à température très élevée ou une silice alumine en hydrocraquage pour limiter les coupures secondaires de liaisons C—C.
Dans cet article sont décrites les caractéristiques de la catalyse bifonctionnelle redox-acide et son application aux procédés essentiels du raffinage du pétrole et de la pétrochimie, l'accent étant mis sur les réactions (mécanismes et cinétique), les catalyseurs et la mise en œuvre des procédés.
Comme il est d'usage dans la profession, les compositions sont sauf précision contraire massiques.