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Décryptage

Ensemencement des océans, agriculture regénératrice : à quel coût ?

Posté le par La rédaction dans Environnement

[Tribune] Chris Rhodes

Piéger le CO2 dans des puits à carbone nécessite la mise en oeuvre de techniques formidables, du charbon vert à la culture du phytoplancton : mais faisons les comptes !

En principe, la séquestration du CO2 par le biais de l’agriculture régénératrice, de l’ensemencement des océans, de la culture du phytoplancton et de la production de charbon vert et d’algues, associés à la relocalisation des implantations humaines, pourrait présenter un bilan carbone négatif de – 3 gigatonnes (Gt) de carbone par an et autant de biomasse utile produite. Si ce simple calcul a de quoi réjouir, il ignore toutefois les besoins considérables en énergie et en temps requis par de tels procédés.Sur le sujet de la séquestration du CO2 – c’est-à-dire les processus extrayant le CO2 de la biosphère et le stockant dans des puits de carbone – deux camps s’affrontent communément : celui du pour et celui du contre. Le premier met en avant la nécessité d’enrayer le réchauffement climatique causé par le carbone, tandis que le second juge le procédé inutile dans la mesure où l’impact négatif des carburants fossiles sera inévitablement atténué par la baisse de la consommation entraînée par les pics pétrolier, gazier et un pic potentiel de charbon prévu selon des calculs récents s’appuyant sur la courbe de Hubbert, pour 2028. Je ne suis pas certain de la pertinence de la thèse du pour, car nul ne peut savoir avec exactitude comment la Terre va réagir au réchauffement climatique (et personne ne le saura avant d’avoir mené à leur terme des expériences considérables). Mais en ce qui concerne le contre, je suis d’accord pour dire que le réchauffement climatique est à l’heure actuelle le dernier de nos soucis, alors que la pénurie de pétrole et de gaz est susceptible d’avoir des conséquences cataclysmiques pour la société si nous ne trouvons pas de plan B.On pourrait toutefois envisager de réconcilier les deux positions, si tant est qu’on en ait le temps et que le E.R.O.E.I (le rapport de l’énergie obtenue sur l’énergie consommée pour la produire) soit satisfaisant. Soyons optimistes et considérons, pour le moment du moins, que tel est le cas.Les propositions de géo-ingénierie me laissent toujours mal-à-l’aise, y compris l’idée d’ensemencer l’océan. Ma crainte réside principalement dans le fait que tous les aspects de la nature sont liés entre eux et que y toucher d’un côté, pourrait entraîner de l’autre une calamité imprévue. C’est l’effet papillon, pour reprendre une expression connue. Toutefois, si on parvenait à faire proliférer le phytoplancton, disons dans l’océan antarctique, 1 Gt de carbone pourrait être capturée chaque année.D’après les estimations, l’agriculture régénératrice pourrait séquestrer près de 3 Gt de CO2 chaque année (bien que ces chiffres soient discutés) et d’ici 2050, la production de charbon vert (*) pourrait compter pour une autre Gt de charbon par an. En principe, et là est tout l’intérêt, le charbon contenu dans le sol peut y rester et améliorer sa qualité. Mais si on pouvait recueillir les autres types de carbone séquestré, on pourrait potentiellement produire une source utile de biomasse/biocarburant. La culture d’algues à l’échelle locale – un village de bassins, pourrait-on en quelque sorte l’appeler – pourrait produire de l’énergie pour remplacer les carburants fossiles pour les communautés locales, sans conséquence pour les terres arables.Etant donné que nous émettons 7 Gt/an de CO2 à partir des énergies fossiles, il resterait (en Gt) : 7 – 1 – 3 – 1 = 2 Gt dont il faudrait encore s’inquiéter. Une réduction de la consommation en énergies fossiles de 50 % grâce à la biomasse réduit encore ce total à 1 Gt. La photosynthèse absorbe déjà près de 3 Gt de CO2/an dans le phytoplancton et les plantes terrestres. Si la production localisée d’algues réduit encore les émissions de pétrole d’une autre gigatonne, le bilan des deux combinés est carbone négatif de – 3 Gt/an.Ainsi, dans 40 ans, il y a aura 120 Gt de CO2 en moins dans l’atmosphère, pour une réduction de concentration en CO2 de 50 à 60 ppm.Ce qui précède est une extrapolation à partir de données que j’ai pu trouver. Ainsi, sur le papier, tout paraît rose. Nous pourrions ainsi faire durer les ressources pétrolières, gazières et nucléaires tout en ramenant le taux de carbone dans l’atmosphère au niveau qui était le sien avant l’industrialisation, et tout cela d’ici la fin de ce siècle. Ce qui est rarement mentionné, sans parler d’être chiffré, ce sont le temps de la mise en route, les coûts énergétiques, l’E.R.O.E.I., les matériaux, l’ingénierie et j’en passe… C’est là que le tableau se dégrade.Par exemple, alors que je suis favorable à l’idée du charbon vert, les objectifs fixés par l’International Biochar Initiative (IBI) sont de 1 Gt/an de carbone soustraite de l’atmosphère d’ici à 2050. Parfait. Si on considère que l’échéance est dans 40 ans et qu’aujourd’hui on part de zéro, avec des progrès technologiques réguliers, on observe seulement une réduction de 20 Gt de carbone ou de 10 ppm (vous le constatez en traçant une ligne droite de coordonnées, 0-1 Gt en ordonnée et 0-40 ans en abscisse), alors que dans le même temps la production de biomasse et tout le processus seront colossaux.Cela dit, si ce niveau est atteint et respecté au-delà de 2050, 1/7 de tout le CO2 (14 %) séquestré par an serait un résultat conséquent. Le ratio pourrait même être encore plus important si la consommation en énergies fossiles se trouvait à ce moment-là considérablement réduite, délibérément ou à cause de l’appauvrissement des ressources. En outre, le bénéfice principal du charbon vert devrait être une amélioration de la qualité des sols, s’il est utilisé dans une logique de réparation des sols, réduisant ainsi les besoins en eau et nutriments comme le nitrate et le phosphate pour les cultures. Ce dernier point devrait être crucial dans les parties du monde où les sols sont pauvres, à savoir l’Afrique et l’Asie. Au Royaume-Uni, les sols ont tendance à être très riches – trop riches même parfois. Pourtant, là aussi, l’incorporation de charbon vert dans le sol atténuerait les problèmes de débordement des eaux qui contiennent trop de phosphate et de nitrate.Le potentiel de séquestration du carbone de l’agriculture régénératrice est contesté. De même, peu de preuves viennent étayer la possibilité d’ensemencer l’océan, ou d’étendre le plancton à une échelle significative. En effet, si des quantités considérables de phytoplancton devaient pousser suite à l’ensemencement, les émissions de composés du souffre (H2S, diméthyl de souffre, etc.) qui oxydés, déploient des particules de sulfate dans la troposphère, auraient pour conséquence de contribuer à … l’ensemencement des nuages. Ceci pourrait aider à refroidir la planète en réfléchissant davantage la lumière du soleil dans l’espace, ce qui est une bonne chose pour le réchauffement climatique, mais affecterait sûrement le niveau des précipitations et la distribution de l’eau à l’échelle de la planète.Ce que je vois, c’est que la production de charbon vert et d’algues à l’échelle locale, dans le cadre d’un programme de basse consommation énergétique, pourrait offrir certains bénéfices. Une fois n’est pas coutume, le nombre d’habitants sur le planète serait également un avantage. Ainsi, si 2.000 personnes pouvaient séquestrer 200 tonnes de charbon vert par an (100 kg/personne), 7 milliards d’entre nous pourraient séquestrer près de 0.8 Gt/an (pas loin des projections de l’IBI d’1 Gt/an d’ici à 2050). Toutefois, c’est la baisse de consommation d’énergie qui importe vraiment. Revenons au village de bassins d’algues. Il faudrait au total 3.200 km2 de bassins pour approvisionner la Grande Bretagne en carburant, soit une superficie pour chaque village de bassins de : 3.200 km2 x 100 ha/km2/60 million x 2.000 = 10,7 hectares par tranche de 2.000 personnes. Cela semble beaucoup mais pas impossible, morcelé de cette façon. Le vrai problème réside dans le traitement des algues, soit par extraction de l’huile (transestérification) soit par gazéification thermique. Il serait peut-être plus simple de cultiver les algues (et la biomasse en général), la sécher et la brûler comme source d’énergie thermique.Tout ce qui vient d’être mentionné va nécessiter une somme considérable d’ingénierie et donc de temps et d’énergie. Mais laissons ces sombres détails pour nous concentrer à nouveaux sur ces chiffres réjouissants.(*)le charbon vert – ou biocharbon – est la traduction du mot anglais Biochar, charbon de bois produit à partir de la biomasse, notamment les résidus végétaux.Chris Rhodes, tient un blog (Energy Balance) qui traite des problématiques énergétiques et environnementales actuelles, et est éditorialiste pour Scitizen.com . Aujourd’hui retiré de la vie académique, il poursuit ses activités de consultant (« Fresh-Lands ») pour l’amélioration des conditions environnementales en Europe et dans les pays de l’ex-URSS.

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