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Décryptage

Les multiples visages de la bactérie Escherichia coli

Posté le par La rédaction dans Chimie et Biotech

En 1885, le docteur Theodore Escherich ne pouvait imaginer que la bactérie qu’il avait isolée dans les selles d’un nourrisson connaîtrait un jour une telle célébrité.

Ces jours-ci, en raison des intoxications alimentaires qui ont causé la mort de 25 personnes en Europe, il va sans dire que cette célébrité est négative. À l’heure actuelle, l’adjectif qui lui est le plus fréquemment associé est celui de « tueuse ». En effet, seuls les éléments négatifs de cette très grande famille de bactéries – laquelle regroupe des centaines de membres – font les manchettes.

Pourtant, ces bactéries sont non seulement majoritairement inoffensives, mais, dans bien des cas, hautement bénéfiques. Bien que je ne compte pas tenter de la réhabiliter, j’aimerais néanmoins vous brosser un portrait de quelques-uns des visages de l’Escherichia coli.

L’Escherichia coli, ou E. coli, est une bactérie présente chez les mammifères – y compris l’humain – où elle est l’organisme dominant de la flore intestinale. La colonisation se fait dès les premiers moments qui suivent la naissance. La bactérie s’y multiple rapidement, ce qui empêche d’autres espèces pathogéniques de s’y installer. La bactérie E. coli joue un rôle dans la production de la vitamine K, laquelle aide à la coagulation du sang. C’est pourquoi il est souvent nécessaire de fournir de la vitamine K aux nourrissons après la naissance. Leur flore intestinale n’étant pas complètement développée, elle ne produit pas suffisamment de vitamine K pour prévenir des hémorragies. Combinée à d’autres coliformes, la bactérie E. coli présente dans les selles sert de marqueur indicatif de la présence de bactéries pathogènes dans l’eau.

L’ E. coli a été l’un des premiers organismes dont le code génétique a été élucidé, donnant ainsi lieu à une meilleure compréhension du mode de fonctionnement de l’humain et de l’ensemble des organismes vivants. À ce sujet, le Prix Nobel français Jacques Monod a dit que : « Tout ce qui est vrai pour la bactérie Escherichia coli est vrai pour l’éléphant ». Mais c’est dans ses modifications que la bactérie a apporté le plus d’avantages pour l’humain. Armée des instructions nécessaires, elle peut être transformée en micro-usine capable de produire rapidement, et avec un minimum d’énergie, une grande variété de composés utiles, et ce, sans aucun risque de grève.

Le premier succès de la bactérie dans ce rôle a été la production de l’insuline humaine. Avant son introduction, les patients étaient traités avec de l’insuline provenant d’animaux d’abattoirs. Bien que la protéine soit similaire à l’insuline humaine, l’on répertorie néanmoins quelques différences. En conséquence, chez certains individus, le système immunitaire traite cette protéine comme un corps étranger à rejeter. Dans de tels cas, il se produit une interaction susceptible de causer des réactions inflammatoires au site de l’injection.

Au cours des années 1970, les scientifiques ont réussi à identifier le gène qui codifie la production de l’insuline chez l’humain, et à le transférer dans une bactérie du type E. coli (illustrée ci-contre). L’insuline produite par la bactérie, en tous points semblable à l’insuline humaine, a été mise sur le marché sous le nom d’Humuline (Eli Lily). Cela fut la première application de la technique de l’ADN recombinant, et donna le coup d’envoi aux multiples applications de la biotechnologie. Aujourd’hui, cette dernière, entre autres grâce à l’E. coli, permet la production d’antibiotiques, de vaccins et d’une multitude de traitements.

C’est aussi grâce à l’ADN recombinant ainsi qu’à l’E. coli que sont produits la plupart des fromages dans le monde. Dans sa forme la plus générale, le fromage est le résultat de la coagulation de protéines du lait – principalement de lait de vache, mais aussi de brebis, de chèvre ou d’autres mammifères. D’ailleurs, ceux qui ont vu le film Borat savent qu’il est aussi possible d’en produire avec du lait maternel. Cette coagulation se fait généralement par l’ajout de présure, une substance que l’on trouve dans le suc gastrique du veau ou de l’agneau. Présente dans l’estomac du jeune animal, la présure favorise chez la digestion du lait maternel. Malheureusement, les quantités de présure provenant de ces animaux ne suffisaient pas à la demande. Encore une fois, c’est la bactérie E. coli qui a sauvé la situation.

Le principe actif de la présure est une enzyme nommée chymosine. Comme pour l’insuline, les scientifiques sont arrivés à isoler le gène nécessaire à la production de l’enzyme. Ce gène a été ensuite incorporé dans une bactérie E. coli transformée en usine de production de chymosine parfaitement identique à celle d’origine animale. Outre l’avantage pour les végétariens (ovo-lacto) de ne pas avoir à utiliser un produit d’originale animale, la chymosine est le premier produit issu de la biotechnologie approuvé pour l’alimentation humaine en 1990. Il est amusant de penser que les Français, pour qui l’acronyme OGM est un anathème, utilisent le procédé, et ce, sans le moindre état d’âme, dans la production de leurs fromages.

Sous différentes formes, la bactérie E. coli joue par ailleurs un rôle important dans l’amélioration de l’environnement. Elle fait partie des bactéries qui dégradent les rejets humains dans les fosses septiques. Ces mêmes bactéries produisent du biogaz à partir de déchets organiques. Une innovation particulièrement intéressante dans ce domaine est la possibilité de produire des hydrocarbures directement à partir de la bactérie. Les chercheurs de la société californienne LS9 (LS9 Inc.) sont parvenus à modifier des E. coli, les rendant aptes à convertir en biocarburant des sources naturelles de carbone, comme le sucre ou la cellulose. Ce dernier peut être utilisé dans un moteur, sans subir de traitement supplémentaire. Imaginez avoir un digesteur à bactéries E. coli dans votre appartement. Vous lui donnez du sucre avant de vous coucher et le matin, vous avez assez d’essence pour aller au travail. Malheureusement, je ne crois pas que ce soit pour demain !

C’est justement la grande facilité avec laquelle la bactérie E. coli peut être modifiée et son étonnante rapidité de reproduction qui génèrent les espèces pathogènes qui nuisent à sa réputation. Dans le cas de l’intoxication alimentaire dont les médias traitent présentement, le coupable est une nouvelle variante de la bactérie Escherichia coli entérohémorragique (ECEH). Celle-ci doit son nom à la présence de sang dans les selles dont elle est la cause. La plupart des personnes qui en sont atteintes guérissent en une dizaine de jours, quoique certaines soient sujettes à de graves complications. Potentiellement mortel, le syndrome hémolytique et urémique (SHU) qui affecte les reins touche à peu près 10 pour cent des personnes infectées. Ce nouveau sérotype de la bactérie, baptisée O104, est de la même famille que celui (O157) responsable de la mort de sept personnes et des graves symptômes dont plus de 2 000 individus ont été affectés à Walkerton (ON), il y a quelques années.

À l’instar du cas de Walkerton, l’hypothèse avancée est que la bactérie proviendrait d’eau contaminée par du purin de bétail et qui aurait été en contact avec des légumes. Mais il semble que ce qui rende la bactérie O157 particulièrement virulente et qu’elle ait emprunté les gènes d’une autre. Il s’agit d’un phénomène avec lequel la bactérie E. coli est familière et qui non seulement réhausse la toxicité, mais accroît également la résistance aux antibiotiques. Cela explique que dans le cas de la variante O157 de l’ECEH, le SHU n’est pas observé chez 5 pour cent des patients, mais plutôt chez près de 50 pour cent d’entre eux. Au moment où j’écris ceci, la source de la contamination n’a pas encore été trouvée et ne le sera possiblement jamais.

Par Ariel Fenster, professeur à l’Université McGill (Canada), et membre fondateur de l’Organisation pour la Science et la Société

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