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« L’éthique de l’ingénieur, une compétence au cœur du professionnalisme »

Posté le par La rédaction dans Innovations sectorielles

Entretien avec Christelle Didier, enseignante-chercheuse spécialisée en éthique des ingénieurs, et collaboratrice de la base documentaire "Ingénierie et responsabilités" parue chez Techniques de l'Ingénieur.

Christelle Didier, comment en êtes-vous venue à vous spécialiser dans l’étude de l’éthique chez les ingénieurs ?

Christelle DidierChristielle Didier. D’abord, j’ai failli être ingénieur. J’avais entamé un cursus en école d’ingénieur après la prépa, mais j’ai abandonné après un an en école ingénieur, n’y trouvant pas mon compte. L’enseignement y manquait selon moi de sens, alors que j’ai toujours été sensible à la question du sens des actions.

Après un début de carrière dans le domaine social, plus précisément dans l’insertion professionnelle, j’ai commencé à travailler en science de l’éducation, puis à donner des cours d’éthique en école d’ingénieur, tout en réalisant une thèse sur l’éthique et l’identité professionnelle des ingénieurs.

Comment est perçue la question de l’éthique chez les ingénieurs ?  Y a-t-il des spécificités propres aux ingénieurs ? Sont-ils plus déconnectés des enjeux éthiques que d’autres professions ?

Christelle Didier. Dans le monde anglo-saxon, c’est un aspect du métier communément admis, même si c’est dans une approche un peu particulière qu’on ne peut pas transposer telle quelle.  Tandis qu’en France et dans d’autres pays, cette réflexion n’a pas connu de si grand développement. Il y a vingt ans, cela suscitait l’incompréhension, il y a dix ans, la curiosité. Aujourd’hui, c’est un peu à la mode, mais sous des formes pas toujours satisfaisantes.

Disons que la société ne conçoit pas les ingénieurs comme une population ayant une responsabilité sociale particulière à jouer. Donc eux-mêmes ne la perçoivent pas. Les jeunes, arrivant en école d’ingénieur ne voient donc pas toujours l’intérêt d’un enseignement en éthique. Et puis, ils pensent qu’on va leur faire la morale ! Ce qui est paradoxal dans un pays qui sait se passionner pour les débats et controverses techniques, mais cela se fait sans les ingénieurs.

Au Québec par exemple, il existe un ordre des ingénieurs, qui peut radier ceux-ci en cas de manquement à la déontologie. Les ingénieurs y sont responsabilisés au même titre que les médecins le sont chez nous. Ce qui peut sembler logique pour une population détenant un savoir et un pouvoir particulier, limité certes, mais souvent exclusif. Ceci dit il ne suffit pas d’avoir un ordre pour éviter les scandales comme on l’a vu récemment.

De plus en plus les financements de projet de recherche scientifico-technique par l’Union Européenne exigent la présence d’un volet éthique associant très en amont des projets des experts des sciences humaines. Aux Pays-Bas de nombreuses méthodes de collaboration ont été inventées et testées sur de vrais projets. Bien que réfractaires au départ, les ingénieurs considèrent souvent au final comme fructueuse cete confrontation des perspectives.

A l’inverse, ignorer l’aspect éthique du travail de l’ingénieur amène à des situations de dilemme éthique, lorsque l’ingénieur se retrouve en hésitation professionnelle, sur ce qui est la bonne décision. L’enquête qui a suivi l’explosion de la navette Challenger en 1986 en est l’exemple le plus frappant : le fait que le joint à l’origine de l’accident – ou plutôt l’incident – ne résistait pas au froid était connu de certains ingénieurs de la NASA, qui hésitant à retarder le projet en signalant cette faiblesse de la navette, ont condamné, sans en avoir réellement conscience, l’équipage.

Car il faut garder à l’esprit que l’éthique de l’ingénieur ne relève pas de la morale. C’est une compétence qui est au cœur du professionnalisme : or, les ingénieurs diplômés constituent le corps professionnel le plus cher à former pour la société française. Celle-ci est donc en droit d’attendre d’eux qu’ils fassent correctement leur travail, soit soucieux de l’intérêt public.

C’est pour cela que vous avez collaboré à la base « Ingénierie et responsabilité », parue chez Techniques de l’Ingénieur ?

Christelle Didier. Cette base documentaire proposée par Techniques de l’Ingénieur s’inscrit dans la mon souci d’aborder les questions du sens de la technique en lien avec les premiers concernés par mes réflexions : les ingénieurs. Mon implication comprend la révision des articles, la rédaction de certains, notamment relatifs aux questions d’éthique vous l’aurez compris, dont certains sur des points précis, tels la question des dilemmes éthiques au cœur de l’activité professionnelle.

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