Actuellement, environ 450 réacteurs nucléaires civils en exploitation commerciale sont en service dans le monde, principalement des réacteurs de génération II qui ont été construits après les premiers prototypes de réacteurs de puissance des années 1960 jusqu’à la fin des années 1990, et environ 80 % d’entre eux sont des réacteurs à eau légère (REL) qui utilisent l’eau comme réfrigérant et modérateur. Environ 75 % des réacteurs dont 25 % du parc à eau légère (REL) dans le monde sont respectivement des réacteurs à eau pressurisée (soit, par exemple, les REP de l’ensemble des réacteurs français) et des réacteurs à eau bouillante (REB). Les REL apportent une contribution modeste mais importante à une alimentation électrique fiable avec peu d’émissions de CO2. L’âge moyen de la flotte actuelle des REL est élevé, environ 60 % ont plus de 30 ans et environ 20 % plus de 40 ans, ce qui correspond à la conception originale type ou à la durée de vie initiale autorisée pour ces réacteurs. La durée de vie initiale était alors motivée par une loi/réglementation plutôt qu’elle ne l’était pour des justifications techniques, et de nombreux réacteurs ont reçu des prolongations de durée de vie (aujourd’hui on parle plutôt de durée d’exploitation mais on conservera la terminologie de durée de vie dans cet article) et des renouvellements de licence d’exploitation jusqu’à 60 ans. Fin 2019, le premier réacteur américain a fait l’objet d’un second renouvellement de permis avec une prolongation de sa durée de vie à 80 ans.
En raison de leur âge élevé, les phénomènes de vieillissement et de dégradation des matériaux induits par le fonctionnement, telles que la fissuration par corrosion sous contrainte (SCC), la corrosion accélérée par l’écoulement (FAC), la fatigue ou la fragilisation par irradiation, sont des préoccupations importantes pour une exploitation sûre des REL sur le long terme. Les dommages (par exemple, la formation de fissures) ont un impact direct sur la disponibilité et l’équilibre économique de la centrale. On relève par exemple des périodes d’immobilisation (1 jour d’immobilisation entraîne des coûts et des pertes pouvant atteindre environ 1 million d’euros) et des inspections périodiques en service accrues, des réparations et des remplacements de composants. Ces dommages peuvent également affecter la sécurité de la centrale, la durée de vie ou les prolongations de durée de vie. Toutes les centrales ont ainsi mis en œuvre des programmes appropriés de gestion du vieillissement et de la durée de vie au cours des dernières décennies pour assurer un fonctionnement sûr et économique à long terme de leurs installations. Ainsi, d’énormes efforts de recherche ont été réalisés pour comprendre le mécanisme du vieillissement et développer des actions visant à prévoir, évaluer et atténuer son impact potentiel. Grâce à d’importants investissements continus dans les mesures de sécurité et la maintenance, de nombreux réacteurs en activité ont atteint un niveau de sécurité nettement plus élevé que lors de leur première mise en service.
La sécurité des REL est garantie en contrôlant la réactivité de la réaction de fission dans le cœur, en assurant le refroidissement du combustible et en confinant les produits de fission et d’activation radioactifs. Le confinement sûr des espèces radioactives est assuré par l’intégrité de trois barrières de sécurité distinctes entre les produits de fission et l’environnement. Tout d’abord, la gaine du combustible contient et confine les produits de la réaction nucléaire. Ensuite, la cuve sous pression du réacteur (RPV) et le système de refroidissement du réacteur contiennent le cœur et l’eau de refroidissement primaire sous haute température et pression. Enfin, l’enceinte de confinement en tant que barrière externe est généralement une structure en acier ou une structure combinée acier-béton. Les composants de l’enceinte pressurisée du circuit de refroidissement du réacteur primaire sont des éléments très critiques pour sa sécurité et sa durée de vie. Une rupture ou une fuite importante de ces composants pourrait entraîner une perte de liquide de refroidissement accidentelle qui, dans le pire des cas, pourrait provoquer une défaillance de la cuve sous pression du réacteur fragilisée et un accident de fusion du cœur avec rejet de produits de fission radioactifs dans l’environnement. Les gros composants comme la cuve sous pression du réacteur ou l’enceinte de confinement ne peuvent pas être changés sans que cette opération n’engendre des coûts et efforts importants. Cela détermine ainsi la durée de vie technique potentielle maximale de ces réacteurs. Le maintien et l’assurance de l’intégrité structurelle de ces composants pendant toute la durée de vie prévue dans le contexte du vieillissement des matériaux sont donc un enjeu critique dans la gestion du vieillissement et de la durée de vie.
Le présent article traite des matériaux et des problèmes de corrosion dans le circuit de refroidissement primaire des REB. La première partie est une brève présentation des REB (très différents des REP), qui met l’accent sur le circuit de refroidissement primaire et les barrières de sécurité (gaine de combustible, composants de l’enveloppe sous pression) et sur les composants internes du réacteur. On y trouve aussi un bref aperçu des principaux matériaux de structure. Les différentes chimies de l’eau dans les REB qui ont un impact important sur la corrosion et le vieillissement sont également brièvement présentées. La seconde partie offre un aperçu de la dégradation et du vieillissement des matériaux en service et de leur maîtrise en mettant l’accent sur les problèmes de corrosion. Des exemples illustratifs importants sont ainsi utilisés, comme la corrosion des gaines de combustible, les problèmes de « crud » (dépôt) et d’hydrogène avec les alliages de zirconium, la corrosion sous contrainte assistée par irradiation (IASCC) des aciers inoxydables austénitiques (SS) et des alliages de nickel, et la corrosion assistée ou accélérée par l’écoulement (FAC) des aciers au carbone (CS). Un accent particulier est mis sur les endommagements intergranulaires (IG) par SCC et IASCC des aciers inoxydables et des alliages de nickel (Ni) qui sont un problème permanent et ont causé de nombreux incidents de fissuration dans le passé, allant même jusqu’à la remise en cause de l’intégrité dans certains cas. L’expérience en service, les mesures d’atténuation, ainsi que les principaux facteurs de contrôle et le mécanisme sous-jacent de la croissance des fissures de SCC, sont résumés et expliqués en détail à titre d’exemple important, illustratif et représentatif de la dégradation des matériaux dans les REB. Dans ce contexte, les autres sujets importants que sont l’activation des produits de corrosion, le transport et l’accumulation de la contamination radioactive ou la fissuration par corrosion induite par déformation (SICC) des aciers au carbone et faiblement alliés (LAS) ne sont pas traités. Ce sujet étant très vaste et les phénomènes impliqués si complexes, cet article doit être sélectif et implique par nature de nombreuses simplifications. Les références et lectures complémentaires fournies à la fin de l’article devraient permettre une saisie rapide des différentes problématiques spécifiques.