Avec la mise au point, depuis les années 1960, des nouvelles techniques de soudage performantes sur chantier et des nouvelles attaches garantissant un serrage efficace, l’utilisation des longs rails soudés (LRS) se généralise, tout particulièrement dans les lignes à grande vitesse (LGV).
Les longs rails soudés sont constitués d’une multitude de rails de longueur normale, conditionnés par les techniques de fabrication et de transport, soudés entre eux sur place et formant ainsi une seule unité continue. La distinction entre longs rails soudés et les rails en barres normales est alors très nette : la longueur des rails normaux en France ne dépasse pas les 36 mètres tandis que celle des longs rails soudés peut s’étendre sur plusieurs centaines de mètres, voire des kilomètres.
Cette technique offre de nombreux avantages, notamment une amélioration de la qualité de trajet, une usure moins marquée des rails et surtout un coût de maintenance extrêmement réduit du fait de l’élimination des appareils de dilatation des rails qui comptent parmi les plus onéreux. Les longs rails soudés ont également permis l’augmentation de la vitesse des trains qui ne dépassait pas les 160 km/h pour les circulations voyageurs au début des années 1960. Les longs rails soudés permettent également de réduire les discontinuités dans la voie et par conséquent d’éliminer les chocs au passages des roues. Cela améliore la tenue des organes de roulement du train d’une part et réduit l’inconfort ressenti par les passagers d’autre part. Les longs rails soudés assurent également une meilleure tenue vis-à-vis des vibrations et surtout une réduction du bruit au passage du train.
La stabilité de tels systèmes s’étendant sur des longueurs très importantes constitue le cœur même de leur étude. La résistance au flambement suite aux dilatations thermiques et efforts longitudinaux constitue le point principal de l’étude des longs rails soudés. Une déformation latérale non contrôlée pourrait être la cause de déraillements catastrophiques comme par exemple l’accident de Velars-sur-Ouche survenu le 23 juillet 1962. Le train roulait à près de 140 km/h sous une chaleur torride ce qui aurait provoqué la déformation des rails et par conséquence le déraillement de cinq voitures dont une finira par s’écraser à cinquante mètres plus bas, au fond de la combe de Fain. Les effets thermiques dans les longs rails soudés sont tellement contrariants qu’on parle parfois de flambement thermique des rails. Les déformations survenues lors de la canicule de 2003 (36 au total) furent tellement importantes que la SNCF a revu ses marges de sécurité et a désormais introduit une « marge de sécurité liée à la canicule 2003 ».
La présence d’un ouvrage d’art n’est certainement pas sans impact sur le comportement des longs rails soudés. Comme le note bien le paragraphe 6.5.4 de la norme EN 1992-2/NA décrivant la réponse combinée du système voie-ouvrage aux actions variables : « Lorsque les rails sont continus au droit de discontinuités de l’appui de la voie (transition pont-remblai, etc.) la structure du pont et la voie résistent conjointement aux actions longitudinales dues à l’accélération et au freinage. Les actions longitudinales sont transmises en partie par les rails au remblai derrière la culée et en partie à l’ouvrage et donc aux appareils d’appui et aux appuis jusqu’aux fondations. » C’est ainsi que l’interaction rail-structure (IRS) constitue un élément essentiel lors de l’étude des tracés ferroviaires.
Les normes EN 1991-2, UIC 774-3R et UIC 720 sont les normes de référence pour tous ces sujets, et spécifiquement la norme UIC 774-3R qui, elle, est destinée à l’étude de l’interaction rail-structure et liste les recommandations que devront suivre les ingénieurs afin de trancher vis-à-vis de la sécurité des longs rails soudés. Cependant, tous ces textes affirment la nécessité de telles études et énoncent les grandes lignes sans pour autant clairement expliquer les enjeux et les détails. Les modèles d’études deviennent rapidement très complexes et les paramètres entrant en jeu se démultiplient. Cet article vise à dresser un panorama général des théories, des pratiques et des méthodes de résolutions des problèmes liés aux longs rails soudés et l’interaction rail-structure. Nous essayerons d’éclaircir certains points majeurs stipulés par les normes précitées notamment liés aux modèles de calcul par éléments finis de l’interaction rail-structure et de fournir un état de l’art des méthodes et des théories existantes traitant de ces problématiques.