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Jean HERTZ : Professeur émérite à l’Université Henri-Poincaré - Nancy I
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Un alliage peut exister sous différents états : solide cristallisé, en agrégat de microcristaux appelés grains, souvent de variétés cristallines distinctes, ou liquide ou gazeux.
Ces différents états représentent les diverses phases contenues dans l’alliage et qui peuvent changer en fonction des conditions imposées à ce « système thermodynamique », principalement la composition chimique et la température, mais aussi la pression. Pour des conditions fixées, il faut un certain temps de maintien à haute température pour stabiliser le système alliage dans un état apparemment définitif, qui s’identifie à l’équilibre thermodynamique stable du système. Mais il existe aussi des faux équilibres, appelés métastables. Pour réaliser l’équilibre, il est nécessaire que tous les atomes des constituants puissent se déplacer à l’intérieur de toutes les phases : c’est ce que l’on appelle la diffusion chimique. Dans les liquides et les gaz, la diffusion est généralement active et rapide mais, dans les phases cristallisées, il faut dépasser une certaine « température de diffusion » pour obtenir le mouvement interne des atomes, qui s’effectue par permutation avec les sites vacants sur le réseau cristallin. Si l’on réussit par un subterfuge (trempe ultrarapide) à bloquer la diffusion des atomes dans un liquide et à le refroidir sans cristallisation jusqu’à la température ambiante, on dit qu’on a réalisé un verre ou un solide amorphe.
C’est l’expérience qui permet d’observer les phases coexistantes dans un alliage, en fonction de la composition chimique, de la température de réalisation de l’équilibre, voire de la pression appliquée. C’est également l’expérience qui permet de déterminer les lignes des transitions de phases sur lesquelles apparaissent ou disparaissent certaines d’entre elles. On constate en pratique que la variable pression a très peu d’impact sur l’équilibre des phases condensées liquide ou solide, que cet état soit monophasé ou polyphasé. Il n’en est pas de même pour les métaux volatils engendrant une phase gazeuse. Pour observer l’influence de la variable pression sur les phases condensées, il faut exercer des pressions très élevées, de l’ordre de plusieurs kilobars. C’est pourquoi la description des équilibres de phases se fait souvent en supposant la pression fixée et en utilisant comme variables les teneurs des constituants et la température. Par exemple pour un alliage binaire, on porte en abscisse la concentration moyenne d’un des deux constituants et en ordonnée la température. Une telle représentation est appelée diagramme binaire d’équilibre de phases. Avec les métaux volatils, on utilise aussi une autre convention qui consiste à maintenir la pression de vapeur naturelle dans un volume constant ; dans ce cas le diagramme de phases n’est pas isobare.
L’existence même des diagrammes d’équilibre découle des lois générales de la thermodynamique chimique. Depuis la mise en œuvre des moyens de calcul automatique, la thermodynamique chimique permet la modélisation numérique des diagrammes de phases à partir de ses lois générales et ainsi de prévoir ou de confirmer quelles phases coexistent à l’état d’équilibre. On peut donc également rendre compte par le calcul des disparitions ou apparitions de phases dans un système, en fonction des variations de composition, de température, voire de pression. Cependant la thermodynamique est encore incapable aujourd’hui de prévoir a priori les phases susceptibles d’apparaître au sein du système si elles n’ont pas été préalablement identifiées expérimentalement, modélisées numériquement, puis introduites dans le calcul. De la même façon, la thermodynamique ne peut pas prévoir a priori les équilibres métastables qui sont de véritables équilibres thermodynamiques stables qui s’établissent en l’absence d’une phase cristallisée plus stable mais qui ne germe pas dans les conditions expérimentales. Un tel équilibre peut cependant rester durable dans le temps. Lorsque la phase qui ne germe pas est identifiée, le calcul thermodynamique permet aussi de calculer ces équilibres métastables en « suspendant » cette phase du calcul.
Les diagrammes d’équilibre de phases représentent donc, dans des conditions prévisibles par la thermodynamique, les domaines d’existence à l’équilibre des diverses phases qui se forment dans le système en fonction de sa composition chimique et des paramètres externes qui lui sont imposés. Ils permettent une visualisation rapide de l’état du système. Puisque les propriétés des alliages dépendent largement des phases qui le constituent, on comprend l’intérêt d’une telle représentation qui permet de matérialiser les conditions d’obtention des phases souhaitées ou, à l’inverse, d’éviter la formation des phases indésirables. Les diagrammes d’équilibre constituent donc le document de base des métallurgistes, outil indispensable que l’on consulte en priorité.
La thermodynamique de l’équilibre ne prend pas en compte la cinétique nécessaire pour atteindre un équilibre, ni les mécanismes d’évolution vers cet équilibre. En pratique, l’état d’équilibre est rarement complètement atteint ; ainsi après la solidification d’un alliage, les phases solides qui le constituent ne présentent pas une composition homogène ; c’est ce que l’on appelle la ségrégation mineure primaire, qui ne peut s’effacer que par un long recuit d’homogénéisation. L’état de non-équilibre est beaucoup plus prononcé encore pour les transformations qui se produisent entre phases solides et qui s’effectuent à plus basse température que la solidification : les vitesses de diffusion des atomes sont alors considérablement ralenties. Pour certaines applications particulières, on sait d’ailleurs mettre à profit ce long laps de temps nécessaire à l’installation de l’équilibre stable pour, selon les cas réels, établir certains équilibres métastables durables ou provoquer des transformations brutales sans diffusion qui donnent à l’alliage des propriétés intéressantes et recherchées. Ces transformations sans diffusion se produisent lorsque l’écart à l’équilibre est très important après un refroidissement rapide et que les atomes sont figés sur un réseau cristallin non compact. Par un mouvement collectif très faible des atomes, appelé cisaillement, le réseau cristallin peut alors augmenter brutalement sa compacité : on désigne ces transformations de phases par le terme générique de transformations martensitiques. Ces transformations sont parfois renversables lors d’un réchauffement, c’est ainsi que les alliages à mémoire de forme sont capables par leur transition martensitique renversable de modifier leur forme géométrique dans les deux sens, selon le sens de variation de la température et sont utilisables pour actionner mécaniquement divers systèmes de régulation thermique.
Chaque phase solide possède une structure cristallographique bien définie (un groupe d’espace) et toute transition de phase solide s’accompagne d’un changement de groupe ou de sous-groupe. Pour les phases solides, c’est donc la radiocristallographie par diffraction des rayons X ou des électrons, voire des neutrons, qui permettra d’identifier avec certitude l’ensemble des phases coexistantes dans un alliage.
Les phases non cristallisées, qui sont désignées sous le terme générique de phases amorphes, ne sont pas distinguables entre elles par des critères structuraux. Ainsi, la phase liquide et la phase gazeuse d’une même substance représentent-elles deux états de densités distinctes d’une seule et même phase au sens thermodynamique. Elles peuvent être séparées par un domaine d’instabilité thermodynamique, c’est ce qui se produit aux basses pressions à l’ébullition d’un liquide. Cependant aux températures élevées, c’est-à-dire au-dessus d’une certaine température critique, la phase amorphe ne présente plus d’instabilité thermodynamique et l’on passe de façon continue d’un fluide de forte densité à un fluide de type gazeux. Vers les basses températures, une phase amorphe peut atteindre un état gelé vis-à-vis de la diffusion des atomes, lorsque les mouvements de migration sont figés. C’est ce que l’on appelle un verre ou solide amorphe. La zone de vitrification est appelée improprement température de transition vitreuse (glass-transition) Tg . Dans les réseaux liquides à forte liaison interatomique et grande polymérisation, tels les silicates ou les macromolécules organiques, il est facile d’obtenir un verre par simple refroidissement du liquide. Pour quelques alliages métalliques à forte liaison covalentielle, tels les germanates, il est également possible d’obtenir des verres métalliques par simple refroidissement du liquide. Mais dans le cas général des métaux liquides, il faut atteindre des vitesses de trempe extrêmes pour obtenir des phases métalliques amorphes. Un verre n’est jamais dans son état thermodynamique stable et la température Tg est une caractéristique cinétique du matériau.
Les diagrammes de phases ne donnent aucune indication sur la cinétique des transformations. De la même façon, ils ne permettent pas de représenter les transitions vitreuses ni les transformations sans diffusion (transitions martensitiques), ni les transformations avec diffusion partielles (comprenant un cisaillement martensitique dans un enchaînement de transformations), appelées transformations bainitiques.
Ainsi les diagrammes de phases ne renseignent que sur la présence des phases à l’équilibre thermodynamique, en fonction de la composition de l’alliage et des conditions extérieures qui lui sont imposées, sans information sur la morphologie de ces phases : dimension et forme des microcristaux appelés « grains » ou répartition spatiale des mélanges polyphasés. De même, les diagrammes de phases ne donnent aucune indication sur les défauts de structure dans les solides tels que les joints de grains, les dislocations ou les défauts ponctuels. Cependant par habitude et par un raisonnement analogique qui se réfère à des cas déjà étudiés, le praticien métallurgiste peut déduire d’un diagramme de phases des probabilités d’apparition de telle ou telle morphologie du métal à l’échelle microscopique. C’est pourquoi l’usage des diagrammes de phases, dans la pratique industrielle, dépasse souvent la stricte logique d’une cartographie des phases en présence.
VERSIONS
- Version archivée 1 de janv. 1987 par Philippe POUPEAU
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