La photonique organique est un domaine en plein essor qui s’intéresse de manière générale aux phénomènes et aux composants dans lesquels des photons interagissent avec des matériaux organiques. La capacité qu’ont ces derniers d’émettre très efficacement de la lumière dans tout le spectre visible est connue depuis longtemps (lasers à colorants, fluorophores organiques, etc.). Toutefois, la découverte au début des années 1980 des semi-conducteurs organiques (dotés en outre de propriétés de transport de charges électriques) a révolutionné le domaine en permettant l’invention et le développement de nouveaux composants tels que les cellules solaires ou les diodes électroluminescentes organiques (OLED). Ces dispositifs, maintenant matures et disponibles sur le marché, tirent également parti des propriétés structurelles spécifiques des matériaux organiques qui permettent de les adapter à de nombreuses fonctions par ingénierie chimique, ainsi que leur facilité de dépôt et de mise en forme sur de nombreux substrats et sur de grandes surfaces. On peut ainsi viser des applications de faible coût et difficilement accessibles aux technologies inorganiques, telles que des « feuilles de lumière » de grandes dimensions et, de manière générale, des composants qui s’adaptent facilement à des technologies existantes.
Au-delà de ces applications, cet article s’intéresse à l’émission de lumière cohérente par les matériaux organiques, autrement dit aux lasers. Les lasers organiques ont connu ces deux dernières décennies un développement intense, et il existe maintenant une grande variété de matériaux disponibles. Il y a encore 25 ans, « laser organique » était synonyme de « laser à colorant », c’est-à-dire de laser dont le milieu à gain est une solution liquide de molécules π-conjuguées (DCM, rhodamine, etc.). La variété des molécules disponibles, couplée au fait qu’une molécule donnée possède un spectre d’émission très large, en faisait alors les seuls lasers accordables disponibles, capables de couvrir tout le spectre du proche UV au proche IR. L’intérêt pour les lasers à colorant liquide a commencé à décliner dans les années 1990 pour des raisons essentiellement pratiques : ce type de laser est en effet généralement encombrant et de maintenance complexe et pénible (changement régulier des colorants, alignement, etc.), et les colorants utilisés et leurs solvants sont souvent cancérigènes.
On assiste à un regain d’intérêt pour les lasers à base de matériaux organiques pour deux raisons principales. Tout d’abord, l’apparition dans les années 2000 de systèmes tout-solide fondés essentiellement sur des semi-conducteurs organiques permet de se passer des systèmes « liquides » et offre donc la perspective de disposer de lasers compacts, peu coûteux, fabriqués à grande échelle et largement accordables. En outre, la possibilité d’injecter des charges directement dans un semi-conducteur organique permet d’envisager théoriquement de réaliser une diode laser organique. Toutefois, en 2022, ce domaine n’en est encore qu’à ses balbutiements. Les lasers organiques restent donc aujourd’hui pompés optiquement. Dans cette perspective, l’autre avancée plus récente (2010 à 2020) concerne le système de pompage, avec l’arrivée à maturité des diodes lasers inorganiques bleues (voire UV) de forte puissance. Là encore, elles permettent de gagner plusieurs ordres de grandeurs sur la taille du système, mais surtout sur son coût final. Les lasers organiques, compacts et peu coûteux, deviennent des solutions intéressantes dans le domaine des capteurs, du diagnostic médical, de la spectroscopie ou des télécommunications.
Dans cet article, nous poserons les bases de la photophysique de ces matériaux dits « pi-conjugués » permettant de comprendre quelles sont leurs spécificités et leurs limitations dans une cavité laser. Nous dresserons également un panorama des propriétés et de l’usage de ces matériaux dans différents types de lasers.