La prédiction de la rupture ductile au cours des procédés de mise en forme des matériaux a été du plus grand intérêt dans les communautés scientifique et de l’ingénierie au cours du dernier siècle. En effet, la compréhension et la modélisation des mécanismes d’endommagement ductile restent une question primordiale pour obtenir des produits sans défaut à l’aide de procédés de mise en forme de plus en plus complexes et pour des matériaux de plus en plus performants. Une multitude de modèles phénoménologiques et micromécaniques ont été développés au cours des cinquante dernières années pour prédire la rupture ductile. Ces modèles sont généralement validés pour un trajet de chargement donné (la plupart du temps sous chargement monotone) et des matériaux spécifiques. Ainsi, leur capacité à être étendus à d’autres configurations – en termes de chargement et de matériaux – est souvent discutable. Étant donné la multitude de modèles proposés dans la littérature, il est difficile pour un ingénieur de choisir le modèle le plus approprié à son procédé et à son matériau. De plus, la procédure d’identification des paramètres des modèles (calibration des modèles) est une étape très importante qu’il ne faut pas négliger. Comme nous le verrons dans cet article, certains modèles sont très basiques et faciles à utiliser. Ils ne nécessitent que peu d’essais pour identifier les paramètres du modèle, mais ne donnent bien souvent en contrepartie qu’une réponse qualitative et pas de prédiction précise de l’instant de la rupture. D’autres modèles sont beaucoup plus sophistiqués et plus précis en termes de prédiction de l’instant de la rupture. Ils nécessitent cependant de nombreux essais et parfois des observations microstructurales afin d’identifier correctement les paramètres du modèle. Autant lever le suspense dès maintenant : le modèle parfait, universel et très facile à calibrer n’existe pas, et chaque ingénieur devra faire un choix parmi la multitude des modèles proposés.
Cet article a donc pour but d’aider ces ingénieurs à faire un choix avisé en fonction du type de procédé étudié et de l’état de contrainte qui en résulte. Ce choix devra tenir compte également de la précision recherchée et de la capacité à réaliser les (parfois nombreux) essais de calibration. Dans cet article, nous ne considérerons pas les modèles à zone cohésive (Cohesive Zone Models – CZM), dont l’utilisation est plus adaptée aux structures multicouches ou assemblages collés qui subissent des déformations plastiques limitées. Ces approches sont par conséquent peu, voire pas, adaptées au contexte de la mise en forme des matériaux.
L’article est divisé en cinq parties principales et une synthèse finale. La première partie a pour but de rappeler les mécanismes fondamentaux de la rupture ductile dans le cadre de la mise en forme des matériaux métalliques. Nous insistons plus particulièrement sur l’influence de l’état de contrainte sur le mode de rupture, et recommandons vivement la lecture de l’article de Montheillet et Briottet [M 3 032] pour un approfondissement des mécanismes physiques liés à l’endommagement ductile. Dans une seconde partie, nous présentons, de manière la plus exhaustive possible, les différentes approches disponibles dans la littérature pour modéliser l’endommagement et la rupture ductile en mise en forme. Nous ne traitons pas ici la mise en forme des produits minces, pour lesquels des critères de localisation et des courbes limites de formage sont souvent utilisés [M 3 032]. Nous abordons également les méthodes numériques permettant de modéliser l’endommagement ductile (de manière couplée au comportement ou non) et de simuler la rupture dans la troisième partie. La quatrième partie est dédiée à la phase de calibration des modèles, essentielle pour une bonne prédiction de la rupture en mise en forme. Des exemples d’applications avec les trois approches principales sont ensuite proposés dans la cinquième partie. Enfin, nous terminons cet article en proposant quelques éléments de réflexion sur le choix des modèles et leurs limitations, ainsi que sur les perspectives d’enrichissement de ces modèles.
Un tableau des symboles utilisés, ainsi qu'un glossaire, sont présentés en fin d'article.