L'organisation des molécules dans les milieux biologiques, dans les matériaux et dans tout autre assemblage moléculaire faisant appel aux liaisons dites « faibles » ou non covalentes, est du ressort de la chimie supramoléculaire. C'est un très vaste domaine d'investigation qui a connu un essor considérable depuis l'attribution du prix Nobel 1987 aux trois chimistes pionniers, D. J. Cram, J.-M. Lehn et C. Pedersen, dont les travaux ont notamment mis en exergue ce qu'on appelle aujourd’hui la chimie « hôte-invité ». On ne peut omettre de souligner que l'évolution thématique de ce domaine a conduit à l'élaboration de systèmes encore plus complexes aux fonctionnalités variées (mécaniques, électro-optiques, etc.), parmi lesquels on trouve les machines moléculaires mises à l'honneur en 2016 par le prix Nobel de chimie décerné conjointement à J.-P. Sauvage, J. F. Stoddart et B. L. Feringa.
Ce sont probablement les phénomènes de reconnaissance moléculaire, souvent identifiée à la chimie « hôte-invité », qui ont contribué à l'essor de la chimie supramoléculaire. En 1967, Pedersen montrait pour la première fois que des sels de métaux alcalins pouvaient être solubilisés dans des solvants organiques apolaires en présence d'une molécule hôte (un éther-couronne). Ces associations entre deux entités distinctes pour former un « complexe hôte-invité » ne se limiteront pas à la reconnaissance de cations métalliques. La reconnaissance de molécules neutres ou chargées, de cations métalliques, d'anions ou même d'un fragment de macromolécule biologique, comme les peptides ou les oligosaccharides, est fondée sur des concepts de complémentarité et de préorganisation où affinités stérique et électronique assurent la stabilité et la sélectivité des associations intermoléculaires. Des applications majeures concernent le transport, le stockage ou la transformation d'entités moléculaires d'intérêt. Ces systèmes souvent complexes ont ouvert la voie à la compréhension des interactions hôtes-substrats à la base même de processus-clés dans les systèmes vivants comme le transfert de l'information neuronale et les interactions drogues-récepteurs. Ils ont également permis d'élaborer de nouveaux processus catalytiques, et de concevoir des assemblages de tailles nanométriques (liposomes, micelles, cristaux liquides) ou macroscopiques (polymères supramoléculaires, cristaux de cristaux, etc.) pour ne citer que quelques exemples.
Le contenu de ce premier article se réfère principalement à des concepts de chimie organique qui ont été de facto liés à l'émergence de la chimie supramoléculaire telle qu'elle fut définie par J.-M. Lehn. Nous présenterons en premier lieu les interactions intermoléculaires non covalentes qui sont le fondement de ces systèmes autoassociés réversibles. Dans les deux sections suivantes, le choix a été fait de présenter les récepteurs moléculaires synthétiques, mettant en exergue la variété et la complexité des récepteurs covalents et auto-assemblés. Enfin, une dernière partie concernera le phénomène de reconnaissance moléculaire et quelques-unes des applications qui en découlent, avec une attention particulière pour la catalyse supramoléculaire.