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Décryptage

Algocarburants : un bilan encore pire que celui des agrocarburants

Posté le par Pierre Thouverez dans Environnement

ExxonMobil et Synthetic Genomics Inc ont annoncé début mars 2018 avoir comme objectif de produire 10.000 barils de carburant à base d’huile d’algue à horizon 2025. Mais la filière constitue une impasse.

C’était a priori une bonne idée : utiliser des microalgues pour produire un carburant, et ainsi ne pas gaspiller les terres fertiles à vocation alimentaire. Mais les données issues du retour d’expérience de la R&D sont catastrophiques. L’EROI est inférieur à 1 :1. Autrement dit le contenu énergétique des algocarburants est inférieur à l’énergie qui a été dépensée pour les obtenir.

Il faut beaucoup d’énergie pour cultiver les algues (a fortiori s’il s’agit de cultures en bioréacteurs fermés pour éviter les contaminations microbiologiques), et aussi pour casser les cellules algales et produire les solvants nécessaires à l’extraction de l’huile obtenue. A l’occasion d’une interview pour le média Atlantico.fr, le Jean-Philippe Steyer de l’INRA a estimé que « les moyens technologiques destinés à produire de “l’algocarburant” sont de manière générale plutôt énergivores. C’est pourquoi on peut se demander si le biocarburant peut réellement être considéré comme le domaine de prédilection de l’exploitation des algues ».

Encore plus grave, les quantités de Phosphore et d’eau nécessaires sont gargantuesques. Or les stocks mondiaux en Phosphore sont très limités et l’eau douce est la denrée la plus précieuse pour l’humanité. Il faut entre 32 litres (dans l’hypothèse d’un recyclage intégral de l’eau) et 3 650 litres d’eau par litre d’algocarburant. Contre 2 litres d’eau par litre d’essence. Le Peak Phosphorus est encore plus inquiétant que le peak Oil (pic pétrolier) car le phosphore est indispensable à la croissance des végétaux, y compris ceux à vocation alimentaire.

Dans l’article « Une douzaine de raisons expliquant pourquoi le monde ne tournera pas aux algocarburants », le site EnergySkeptic.com a rassemblé l’ensemble des problèmes que pose la filière. Trouver à la fois un grand site plat (pour installer les bassins), ensoleillé et qui dispose aussi d’une source de CO2 (par exemple une centrale thermique à charbon ou au gaz) et d’une source d’eau, ce n’est pas vraiment aisé.

Alors que le bilan des agrocarburants de première génération est médiocre, celui des algocarburants est catastrophique. Pourquoi donc ExxonMobil s’obstine-t-il dans cette voie ? Juste pour le fun de financer un programme de recherche fondamentale ? C’est probablement plutôt pour de simples raisons de communication en faveur des carburants liquides face à la vague de la voiture électrique à batterie. Les algocarburants confèrent une (fausse) teinte verte aux carburants pétroliers dans lesquels ils sont mélangés. Ce programme de recherche serait alors en réalité qu’une composante d’un programme de Public Relation (PR). Maintenir coûte que coûte l’illusion selon laquelle le moteur thermique aurait de l’avenir.

ExxonMobil et Synthetic Genomics Inc ont modifié génétiquement une souche d’algues pour doubler sa teneur en huiles sans inhiber sa croissance. L’OGM obtenu pourrait contaminer les milieux naturels. Mais les 10 000 barils annoncés pour 2025 (dans 7 ans), soit 1590 tonnes, constituent une goutte minuscule. Le parc automobile français, à lui seul, consomme 50 millions de tonnes de pétrole, soit plus de 30 000 fois plus.

Jean-Gabriel Marie

Pour aller plus loin

Posté le par Pierre Thouverez

Les derniers commentaires

  • Rarement vue&lue un article aussi impartial et d’une si grande intelligence…
    Carrément brillant ,mon appartement en est illuminé..

  • Si les facteurs limitants sont les nutriments et l’eau : pourquoi ne pas utiliser l’eau des stations d’épurations ? Aucune énergie renouvelable n’est une solution miracle à elle seule mais l’intérêt est de les mettre en oeuvre dans des contextes adaptés à leur potentiel.

  • Vous passez completement a cote de l’argument numero 1 : Ce n’est pas une energie fossile et ca ne produit pas de dechets nucleaires.
    En absorbant du CO2 pendant leur croissance les algues on un bilan carbone bien plus interressant que les energies fossiles. Donc oui les probleme de penurie de phosphore et d’extraction des huiles sont present mais la marge de progression est enorme.
    Et stop avec la peur des OGM, il faut arreter de confondre instrument et instrumentation, le golden rice a sauve des millions d’enfant de la malnutrition et c’est pourtant un OGM. Le mais et le ble de consommation aussi.
    Et oui ce n’est qu’une goutte par rapport a la consommation actuelle mais le but le plus important qctuellement est de baisser drastiquement nos consommation, et dans ce futur proche cet apport, allies a d’autre energies renouvelables, pourraient etre suffisant pour ne pas taper encore dans les energies fossiles
    Bref ce n’est pas que de la recherche pour green washing.

  • bof.
    luc 24,25
    quand il s’agit d’1 intérêt qui fait fibrer tout les coeurs braves, on a pas de mal à fabriquer du pétrole artificielle à partir de végétaux.
    la technique est la même que celle employée par le régime nazi durant l’embargo des alliés ou par les sud-africains durant l’embargo de l’appartheid.
    l’escroc qui vous a suggéré une méthode thermodynamique ( pression+ T°) vous a bien roulé dans la farine de votre orgueil capitaliste!
    luc 12,20

  • @ Niko
    Pour désaliniser l’eau de mer, il faut impérativement des centrales nucléaires, alors c’est peine perdu…

  • Ce blog montre que le climat n’est que le début de l’impossible course à la croissance, et à l’exploitation débridée de la terre et de l’humain.
    https://lejustenecessaire.wordpress.com/
    On brûle 6 Km3 de pétrole chaque année, et la hausse des températures que cela entraîne ne doit pas cacher un autre problème, comment faire vivre 60-90 milliards d’humains dans les 10 siècles à venir, quand on voit comment en 2 siècles, 2-3 milliards d’humains favorisés ont mis la planète.
    Si ce Blog vous interpelle, signez la pétition, et faîtes suivre, car les politiques jouent l’avenir de l’humanité à pile ou face, merci.

  • @Niko : il ne s’agit pas tant de considérer que l’avenir est au véhicule électrique que d’apporter des éléments tangibles face à une information incomplète. Noel approche et la tentation est grande de rêver surtout dans le contexte actuel.
    Certes rien ne se fera du jour au lendemain, mais le temps devient précieux il est donc urgent de s’informer avant de s’emballer…

  • Analyse ultra pessimiste, extrêmement fermé d’esprit. Etre convaincu que l’avenir c’est le véhicule électrique, c’est risible. La théorie sur la consommation d’eau nécessaire est ridicule parce que:
    On peut dés saliniser de l’eau de mer et elle est facilement recyclable par ce procédé. L’eau résiduel sera relâché sous forme de vapeur dans l’atmosphère.
    Les surfaces d’exploitations ne manque pas et on pourra d’ici peu mixer ces produit avec des carburants d’origine d’où une introduction progressive dans les stocks. Ce n’est pas un chamboulement du jour au lendemain mais une mutation progressive, et c’est toujours plus cohérent que d’importer de l’huile de palme en guise de gasoil…


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