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Episode #3: Energie

Posté le par La rédaction dans Insolite

Episode #3: Energie

En juillet, Techniques de l’Ingénieur vous propose de suivre notre feuilleton de l’été : chaque semaine, découvrez les nouvelles de science-fiction sélectionnées dans le cadre de notre concours « Comment la science et les techniques façonneront le monde en 2086 ? ». Pour ce troisième épisode, découvrez la source d'énergie de demain imaginée par N. Bouchenna ! Bonne lecture...

Ce fut dans la plus grande intimité que l’inauguration de la première rame de métro fonctionnant à la chaleur humaine eut lieu. Après un discours du Ministre des Nouvelles technologies, on procéda au premier lancement de la rame. Grâce au dur labeur d’une équipe d’ingénieurs, ce procédé élaboré à une plus petite échelle au tout début des années deux mille, put enfin voir le jour. C’est avant tout dans un but écologique et économique qu’il fut mis au point. Chaque wagon de la rame est équipé, du sol au plafond, de matériaux récepteurs de chaleur dont la fonction est de capturer la chaleur humaine émise par les passagers puis de la transformer en énergie. Des générateurs placés dans des coffres au plafond, permettent de stocker l’énergie recueillie. En cas de panne, des batteries de secours prennent le relais.

«Mouais» se dit Anton à la lecture de l’article.  «Manquait plus que ça. Se faire du pognon sur notre dos, en plus de l’abonnement mensuel aux Transports Urbains. Encore si c’était gratuit 
Il déposa le journal sur la pile des autres quotidiens et continua son chemin.

Le mec du kiosque le héla : «Si tu lis, tu paies ! Ce n’est pas la bibliothèque ici !»

Anton ne daigna même pas se retourner, et continuant sa marche, il pointa son majeur en l’air.

L’apostrophe du commerçant, l’ayant quelque peu agacé, eut pour conséquence l’émergence d’une foule de pensées s’enchâssant les unes dans les autres : pourquoi voulait-on qu’il paie une information que l’on trouvait gratuitement partout ? De nos jours, les actualités, les publicités, tout était diffusé en boucle sur les écrans géants qui inondaient la ville, au cas où on aurait loupé un truc. La fameuse ère du numérique, Les grandes marques, avaient envahi les écrans, défilant les unes après les autres, invitant chacun de nous à leur soumettre leurs idées. Ils appelaient ça «La boîte à idées» suivie de l’argument «aider nous à nous améliorer» délester les clients de leurs inspirations, devenait beaucoup moins cher que de payer des collaborateurs pour leur créativité. Le beurre et l’argent du beurre. Un peu dans la même veine que ce qu’il venait de lire à l’instant. Et il n’y avait pas à chercher bien loin pour en connaître leur source d’inspiration. C’était là sous leurs yeux.

Les générations passées ne s’étaient souciées que d’elles-mêmes. L’individualisme régnait, s’élargissant au maximum à la sphère familiale, ce qui au final revenait au même puisqu’en dehors de ce cercle les autres n’existaient pas. Tous voulaient profiter, assouvir leurs envies. Comment leur en vouloir, lorsque, à chaque coin de rue, les panneaux publicitaires vous invitaient de manière provocante à profiter de la vie, de l’unique vie qui s’offrait à vous ? La population ne voulait pas s’éduquer à économiser les ressources ! Et ce, malgré les efforts des organisations nationales dont les campagnes d’information et de prévention avaient eu très peu d’impact, la majeure partie étant dépourvue de conscience écologique.

Et maintenant il fallait faire preuve d’un monstre d’ingéniosité pour produire de l’énergie. Durant des décennies, l’état dépensa des sommes folles pour acheminer l’énergie nécessaire à l’ensemble des activités : éclairage public, transports, chauffage. Le territoire étant peu fourni en énergie fossile, il lui fallait tout importer : uranium, pétrole, gaz naturel et la seule matière dont il disposait à profusion avait été frappée d’interdiction d’exploitation en raison de sa forte nocivité et de la mauvaise gestion de ses déchets radioactifs. Puis les réserves en énergie fossiles des pays exportateurs s’étaient épuisées d’années en années, à une vitesse fulgurante. Les estimations concernant ces réserves s’avéraient erronées, elles avaient fondu comme neige au soleil. Ajouté à cela, des hivers de plus en plus rigoureux qui en avaient accéléré la consommation : de cent ans prévu, on était passé à une cinquantaine d’années. Sans compter que la population avait quadruplé en cinquante ans et que les progrès en médecine entravaient l’autorégulation de la population terrestre : ceux qui devaient mourir, ne mourraient plus…

D’autres mesures avaient été mises en place au début du millénaire avec la loi Réduction énergétique : tout bâtiment public ou privé, tout véhicule terrestre ou maritime, sur le sol national, devait se doter de panneaux photovoltaïques. Les rayons solaires ainsi captés étaient transformés par la suite en courant électrique ce qui permettait de réduire considérablement les dépenses de l’état en électricité tout en produisant l’intégralité des besoins énergétiques d’un foyer et cela gracieusement, grâce au soleil. D’une pierre deux coups, la face des bâtiments qui recevait le moins de soleil devait être recouverte de végétaux. La pluie qui battait les bâtiments était récupérée par la végétation, filtrée, puis stockée dans les sous-sols en attendant d’être puisée à des fins sanitaires.

La fin du pétrole arrivait et la transition énergétique devenait urgente. L’état versait même une subvention à titre d’aide pour la pose des panneaux solaires et du matériel de filtrage. Il ne restait plus qu’à produire le reste. Et pour le reste, on comptait depuis fin 2020, sur l’ingéniosité des scientifiques. On parlait de révolution nucléaire. Ils étaient pressés comme des citrons pour mettre les bouchées doubles afin de mettre au point la centrale nucléaire dernière génération, celle qui permettrait d’exploiter l’uranium dans son intégralité, sans production de déchets, ce qui garantirait à l’humanité entière de l’énergie pour plusieurs siècles. Et pour ceux qui étaient insensibles au stress, la fin toute proche du pétrole et du gaz naturel avaient créé entre eux une sorte d’émulation.

En ce matin d’hiver, le froid régnait en souverain, gelant la moindre parcelle de chair découverte. Le visage mordu par le froid, Anton, tout à ses ruminations internes, était bien heureux de s’engouffrer dans le Souterrain, havre de chaleur éphémère. Il passa les portillons en apposant son empreinte digitale sur le lecteur. Celle-ci était désormais le seul et unique sésame. Garante de votre identité, l’usurpation en était impossible, quant aux pertes improbables. Chaque paiement, chaque réclamation, chaque contrôle se faisait par celle-ci.

Accroché à la barre métallique du métro, en mode autopilote, toute pensée constructive avait déserté son cerveau, seul régnait le vide, vide identique à celui qui l’entourait, malgré la présence des autres passagers. Tous arboraient un visage figé, tel un masque, regardant dans le vide comme si les autres n’existaient pas. Ils n’étaient que de passage, des passagers. La chaleur de la barre métallique dont il en savourait inconsciemment la chaleur le sortit de sa torpeur. Fallait y penser, quand même ! s’exclama-t-il. C’était une évidence, la barre métallique capturait la chaleur. Il vérifia la ligne, non ce n’était pas celle dont la rame venait d’être mise en service. Manquait plus que ça, qu’on lui pompe son énergie sans son consentement !

Durant la fin de son trajet, Anton se laissa submerger par le souvenir de la conversation qu’il avait eu avec son boss. Son travail de détective privé le missionnait pour les jours à venir dans un coin perdu du pays : «Voilà le topo, lui dit-il, on raconte que l’une des anciennes grande compagnie pétrolière mène des expériences un peu spéciales. Le PDG, non remis de la chute de son empire, a engagé des chercheurs afin de produire du pétrole de synthèse. Des rumeurs courent sur le PDG : on aurait vu ce dernier à plusieurs reprises se vanter à qui voudrait l’entendre sur le succès de ses recherches et que les affaires allaient bientôt reprendre. On a besoin de ses formules de synthèse, et tout ce que tu trouveras sur l’avancée de ses recherches. Son laboratoire est en pleine campagne, tu ne pourras pas le manquer il domine sur des lieux à la ronde perché sur un bloc rocheux au-dessus d’un ancien tunnel ferroviaire.» Puis lui remettant une enveloppe : «À l’intérieur, tes frais. Tu commences demain en tant que technicien de surface

Technicien de surface, pff ! Son boss lui trouvait toujours comme couverture le job le plus pourri de la hiérarchie, paraîtrait que ça éveille moins les soupçons !

La route jusqu’au bâtiment se déroula sans encombres et son immersion dans l’entreprise fut des plus simples : «Voilà vos outils de travail, lui dit l’homme qui l’accueillit en lui ouvrant le placard à balais, vous ferez en sorte que la propreté règne

Muni de ses balais, chiffons et serpillières, il mit deux jours pour se repérer dans ce labyrinthe. Une fois ses repères en place, pénétrer dans le laboratoire fut un jeu d’enfant. La première fois, il y resta à peine quelques minutes de peur de se faire surprendre : des pas résonnaient dans le couloir annonçant l’approche de leur propriétaire. Mais la deuxième fois, Bingo, les informations s’étalaient sous ses yeux sur un long tableau blanc. Le temps lui était compté. Il regarda les informations, se dit qu’il devait y avoir une erreur. Regarda de plus près. Non, pas d’erreur. C’était le projet d’un fou. Et que ce fou en question devait rapidement être interné. Il lui était impossible de se concentrer. Son cerveau était en ébullition. Sa découverte lui emplissait la tête de questions. C’était un brouhaha sans cesse dans son esprit, comme s’ils étaient plusieurs à prendre la parole en même temps, une véritable cacophonie. Comment pouvait-on en arriver là ? Qu’est-ce qui pouvait bien animer les hommes pour les conduire à de tels actes ? Anton respira profondément, tout en essayant de ramener le calme dans son esprit. «Expire, Inspire, Expire, Inspire» s’imposait-il à haute voix. OK. Bon. De son doigt, il fit une légère pression sur son tragus gauche activant ainsi sa puce cellulaire, articula le nom de son chef et fut mis en relation directe avec ce dernier : «Salut Bob, je vais faire vite, ne m’interromps pas. Ce mec est complètement taré ! La matière première qu’il utilise est plongée dans un bassin où sont cultivés des organismes qui la digèrent. Ce qu’il en reste, est mélangé à des matières minérales. Puis le tout est tassé par d’énormes pistons où s’amoncellent par-dessus de nouvelles matières premières qui sous l’effet du poids enfoncent les premières. Le processus de formation du pétrole est reproduit ici en accéléré, mais sans utiliser de matière organique d’origine marine ! Je ne sais comment, ils en obtiennent une roche dure qu’ils chauffent progressivement pour atteindre les températures géothermiques. De là se forme une substance qu’ils appellent «pétrole synthétique» . Je t’ai gardé le meilleur pour la fin : la matière première qu’ils utilisent est constituée de : cadavres !!! Ne me demande pas comment ils font pour l’obtenir, je ne sais pas. Faut que j’y aille

Anton sortit rapidement du laboratoire, cherchant une issue à l’enfer qui prenait forme sous ses yeux. Complètement troublé, il ne retrouvait pas l’entrée par laquelle il avait pénétré dans l’enceinte du laboratoire. Merde, se disait-il, comment je vais faire pour sortir d’ici ? Sous la panique, il franchit la première porte sur sa droite. Un escalier. Il le descendit à toute allure, cela lui parut interminable. Il finit par déboucher sur un long tunnel. Les paroles de son chef lui revinrent en mémoire : «le laboratoire est situé sur un bloc rocheux au-dessus d’un ancien tunnel ferroviaire…».

Soulagé, content d’avoir trouvé la sortie, il se dirigea vers la lumière. Mais plus il se rapprochait, et moins cela ressemblait à la lumière naturelle du soleil. Quelque chose était entreposée au milieu du tunnel, on aurait dit un véhicule. C’était bien ça. Un wagon. Un wagon gisait au milieu du tunnel abandonné ! Des lamentations en sortaient. Plus il s’en approchait, plus les voix étaient suppliantes. Que pouvait-il bien avoir à l’intérieur ? Pourquoi ces plaintes ? Son instinct lui disait que ça sentait le roussi, qu’il devait partir le plus vite possible s’il souhaitait rester en vie. Malgré ça, il ouvrit la porte du wagon.

Une énorme bouffée d’air chaud aux relents de transpiration, de rance, et d’odeurs corporelles s’immisça dans ses narines. Il eut un haut-le-cœur. Jamais, il n’avait senti odeur pareille. Les gémissements s’intensifièrent. De longues plaintes, dont toutes forces avaient abandonné depuis longtemps les voix, suffocantes, présageaient du pire. La curiosité l’emporta sur son dégoût. Il se hissa sur la marche à hauteur de la porte. Foudroyé par le spectacle qui s’offrait à ses yeux, il en fut pétrifié. Le wagon était rempli d’hommes et de femmes dénudés, à la peau rougie par la chaleur régnante, couverte de plaies ruisselantes de gouttes de sang, leurs cheveux suintant se collant à leur crâne, à leur peau. Tous étaient entassés, debout, les uns contre les autres, dégoulinant de sueur. Le wagon en lui-même avait été conçu exclusivement à cet effet. Des barres métalliques se dressaient tous les vingt centimètres, le sol et les parois du wagon étaient recouverts du même alliage que les barres, de sorte que toutes les parties du corps était ainsi en contact avec le métal : mains, pieds, dos, poitrines, fesses et cuisses. À chaque barre son corps. Les mains étaient insérées dans des menottes accrochées au plafond, de part et d’autre de la barre, celle-ci enlacée par un corps nu pour recueillir la moindre source de chaleur. Des hottes aspirantes avaient été installées pour recueillir le surplus de chaleur produit par le surnombre des corps.

Comme du bétail. Anton eut un flash : l’article du journal.

Il ne vit rien venir. Il encaissa un coup sur la tête qui le fit vaciller puis fut violemment poussé à l’intérieur du wagon. Son bourreau lui lacéra ses vêtements. Sur les visages se lisaient la terreur et le désespoir. Il allait devenir comme eux, voilà où le menait sa curiosité. Les gémissements lui devenaient insupportables, il aurait voulu leur crier de se taire, mais nulle force n’habitait sa voix. Il n’émit aucune objection, ne fit aucun mouvement de contestation. Il était à présent nu. Son corps vidé en apparence de toute vie, avait pris l’aspect d’une poupée de chiffon. On entrava ses mains aux menottes suspendues. Sa vie allait-elle se terminer ainsi, en servant de combustible ? Dans un ultime effort, il rassembla ce qu’il lui restait de force, il banda tous ses muscles et dans un cri digne d’un superhéros, essaya d’arracher les menottes du plafond. Les autres virent en ce mouvement une lueur d’espoir. Tous se joignirent à lui, tel des vers gesticulant, couinant.

« Vos gueules » aboya le bourreau. L’union fut vaine. En guise de récompense pour le courage qu’il eut, on l’électrocuta jusqu’à l’évanouissement.

Tout en regagnant la porte, le bourreau dicta à son collègue : « Éteins, s’te plaît, le Boss va pas être content si on gaspille de l’énergie ».

Nouara Bouchenna

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