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Décryptage

Le gros chantier des fabricants

Posté le par Frédéric Monflier dans Informatique et Numérique

Les fournisseurs des installations techniques achèvent la conversion BIM de leur catalogue. Des propriétés à associer aux objets au partage des données, des questions restent en suspens.

Eclairage, coffrets électriques, climatisation… Dans la maquette numérique d’un projet BIM, ces objets sont modélisés et décrits par des données, géométriques et techniques, dépendant de leur fonction. C’est l’une des principales différences entre une maquette BIM et une maquette 3D provenant d’un logiciel de CAO. La problématique du BIM étant assez récente, la tâche, qui revient aux fabricants de ces équipements, continue de soulever plusieurs questions, liées à la création de cette base de données, à sa diffusion et à son exploitation future.

Spécialiste de la ventilation et du confort thermique, l’industriel Aldes s’est emparé du sujet à la fin de l’année 2014. A l’exception des accessoires et des conduits, ces derniers étant intégrés de manière native aux logiciels BIM comme Revit, le catalogue entier a été converti, avec l’appui de prestataires expérimentés. Le degré de complexité de l’opération est cependant variable. «Modéliser une bouche d’aération est facile, explique Sandra Colonnese-Delaere, responsable du marketing services et support. En revanche, une centrale de traitement d’air est un objet paramétrique, dont la version est tributaire du volume d’air à traiter et des options (bypass, chauffage, etc). Cet objet possède de facto de multiples déclinaisons

Les caractéristiques d’une centrale de traitement d’air sont variables et sa modélisation BIM est donc plus complexe.

Schneider Electric, qui a publié ses premiers objets BIM en 2015, a été confronté à des questionnements comparables. «Nous avons commencé avec les éléments techniques les plus encombrants, tels que les transformateurs, car le BIM sert en priorité à déterminer l’occupation des espaces, détaille Bertrand Lack, du département stratégie et innovation. Un constat s’est vite imposé : le terme «bibliothèque BIM» n’a pas de sens. Il n’existe pas deux tableaux électriques basse tension assemblés de la même manière dans le monde. Comment produire un fichier BIM unique pour un système complexe et évolutif, qui n’est pas aussi trivial qu’un bloc d’éclairage de sécurité ? Les outils de configuration pour tableau électrique que nous développons ont pour but de générer automatiquement un modèle BIM précisant les informations utiles, à mesure que le projet avance.»

Le format lui-même de ce fichier est susceptible d’entraver le processus. «Le BIM n’est pas un standard, poursuit Bertrand Lack. L’architecte peut travailler avec Archicad, le bureau d’études avec Revit… Certes, l’IFC (Industry foundation classes) a été conçu pour formaliser les échanges d’informations entre logiciels BIM. Mais, en cas de reprise d’un élément de la conception, le fichier natif et son logiciel sont requis. Par analogie, l’IFC est au BIM ce que le PDF est à Word.» Schneider Electric a opté pour le logiciel Revit, leader sur le marché, à l’instar d’Aldes. L’IFC, aussi pratique soit-il, doit se perfectionner. «Ce format reste instable et ne conserve malheureusement pas toutes les données associées aux objets» souligne Sandra Colonnese-Delaere.

Lutte contre l’infobésité

Quant à la géométrie de l’objet BIM propre à tel équipement, on imagine que le fichier CAO ayant permis la fabrication de l’équipement considéré est un bon point de départ. Il n’en est rien : tout doit être refait. «Nos logiciels de CAO fournissent des plans détaillés, mais seule l’enveloppe extérieure a un intérêt pour nos clients, confie Sandra Colonnese-Delaere. Il s’agit d’établir un compromis entre le poids du fichier et le maximum d’informations utiles. Faute de quoi, la maquette d’un hôpital équipé de 600 volets de désenfumage deviendrait surchargée.» Ne serait-ce que trois ans en arrière, ce principe de sobriété n’était pas assimilé. «Des prestataires surfant sur la vague du BIM  proposaient des objets certes esthétiques, mais trop lourds» enchaîne Sandra Colonnese-Delaere. Une certaine confusion se manifeste encore. «On nous a déjà demandé des modèles BIM pour les disjoncteurs cachés à l’intérieur du tableau électrique, évoque Bertrand Lack. Or, c’est ce dernier qui importe

Ce sont désormais les champs des données techniques, greffés à chaque objet, qui constituent l’enjeu. Ils sont mis à contribution pendant la conception du bâtiment puis, plus tard, pendant son exploitation. Combien en faut-il ? Que doivent-ils contenir ? En outre, un langage universel vient à manquer. «Les professions dans les bureaux d’études ont besoin d’objets génériques, agnostiques (communiquer l’identité des fabricants dans les appels d’offres publics est interdit par la loi, ndlr) et d’un dictionnaire commun, sur lequel tout le monde s’aligne, indique Bertrand Lack. Les fabricants et les utilisateurs (exploitants, électriciens) doivent s’accorder sur une terminologie unique pour définir les propriétés : courant, tension, etc. C’est un projet initié par le Plan de transition numérique du bâtiment notamment.» Aldes travaille de son côté avec Uniclima, syndicat des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques, pour qu’un dictionnaire transverse aboutisse. «Mais les bureaux d’études et les architectes peinent à exprimer leurs souhaits en la matière» note Sandra Colonnese-Delaere. L’expectative est de rigueur dans des processus aussi neufs.

Collaboration impérative

Le BIM a donc pour vocation d’accompagner le bâtiment tout au long de sa durée de vie et d’en faciliter l’exploitation. Une nouvelle fois, ce n’est pas une mince affaire. «La finalité consiste à fournir au Facility Manager (appelés aussi services généraux, ndlr), à l’exploitant, un dossier des ouvrages exécutés au format numérique, signale Bertrand Lack. Quand il sélectionne l’avatar du tableau électrique dans la maquette BIM, il s’attend à trouver l’historique des interventions, le type de disjoncteurs, le plan de maintenance, etc. Mais Schneider Electric ne fournit que les composants du tableau. La personne qui le réalise, le tableautier dans notre jargon, le vend à un installateur-électricien. Il y a plusieurs niveaux de décision – contractant général, bureau d’étude, installateur… – et de multiples retours entre chacun d’eux.» Difficile de compiler des données d’origines aussi diverses dans un fichier unifié. «Une plateforme collaborative pour inciter au partage de ces données et gérer les droits est impérative, ajoute Bertrand Lack. Mais les métiers rechignent à communiquer sur leur business.» Les profits sont loin d’être immédiats. «Les investissements sont réalisés en amont, et les bénéfices se décalent vers l’aval» admet Sandra Colonnese-Delaere. Plutôt vers l’exploitant, donc.

A plus forte raison, la question économique n’est pas à éluder pour les fabricants. Modéliser un objet BIM, pour commencer, n’est pas gratuit. «Il faut compter entre 600 et 5000 € selon la complexité de l’objet, estime Sandra Colonnese-Delaere. L’intégralité de notre catalogue, composé de 7000 références environ, est couvert par 120 familles d’objets BIM.» Ensuite, à l’heure du numérique, ces données sont partagées via des plateformes cloud. Aldes et Schneider Electric ont fait le choix de publier leurs fichiers BIM sur leur propre portail, en accès libre et gratuit pour leurs clients, et progressivement sur les plateformes généralistes et centralisées, telles que BIMobject ou BIM&CO, qui ont acquis une position dominante sur le marché. Car il s’agit bien d’un marché, la mise à disposition des objets étant payante, ce qui grignote les marges. Mais le risque va bien au-delà. «Qui nous dit qu’une telle plateforme ne va devenir l’Uber du bâtiment ? » s’interroge Bertrand Lack.

L’engin de chantier passe à la 3D

Indispensables à la mise en œuvre du projet de construction, les engins de chantier ont droit aussi à leurs modèles 3D. Depuis le printemps dernier, l’entreprise Kiloutou met à disposition 50 objets BIM liés à sa gamme de manutention et d’élévation. Ces fichiers au format Revit et IFC sont à télécharger à partir de la plateforme Bim&Co. Intégrés à la maquette BIM, ils permettent de visualiser les abaques et aident à choisir le matériel le mieux adapté au contexte. Kiloutou travaille en outre sur un projet de réalité augmentée, qui a pour objectif de superposer la vue réelle du chantier et l’engin en 3D. Cet outil affiche les courbes de charge et les dimensions de l’engin. On suppose qu’il servira aussi à examiner l’encombrement et les possibilités de manœuvre.

Par Frédéric Monflier

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