Longtemps considérés comme de simples isolants thermiques et électriques, les silicones révèlent aujourd’hui un potentiel électronique insoupçonné. Une équipe de chercheurs de l’Université du Michigan montre qu’en modifiant l’angle des liaisons Si-O-Si, ces polymères peuvent se transformer en semi-conducteurs colorés et flexibles. Une découverte qui ouvre la voie à une nouvelle classe de matériaux pour l’électronique souple et les dispositifs intelligents.
Les silicones – ou polysiloxanes – sont l’un des matériaux les plus utilisés au monde. Grâce à leur combinaison unique de souplesse, de résistance à l’eau et de stabilité thermique, ils servent dans des applications aussi variées que les joints d’étanchéité, les implants médicaux, les cosmétiques ou les revêtements protecteurs. Toujours classés parmi les isolants, ces matériaux n’étaient jusqu’à présent pas associés à des propriétés électroniques. Une équipe de chercheurs de l’Université du Michigan, coordonnée par Zijing Zhang et Richard Laine, vient cependant de renverser ce dogme : des silicones peuvent, dans certaines configurations, devenir des semi-conducteurs fonctionnels.
Silicones : des matériaux isolants… devenus conducteurs
D’un point de vue moléculaire, les silicones sont constitués d’une chaîne Si-O-Si, sur laquelle sont greffés des groupes organiques (méthyles, vinyle…). Ces chaînes sont souples, isolantes et inertes. La découverte clé concerne l’angle que forment les liaisons Si-O-Si, réputé fixe autour de 110°, ce qui empêche la circulation des électrons et confère aux silicones leur propriété isolante. Mais les chercheurs montrent qu’en synthétisant des copolymères de silicone contenant des unités « cage » et des unités linéaires, cet angle peut être augmenté au-delà de 140°, ouvrant ainsi la voie à une délocalisation partielle des électrons à travers la chaîne de silicium et d’oxygène.
Cette géométrie facilite le déplacement des électrons, transformant l’isolant initial en matériau possédant des propriétés semi-conductrices. Un comportement totalement inattendu dans les silicones habituels.
Un comportement semi-conducteur observable par le spectre des couleurs
L’acquisition de cette propriété semi-conductrice est d’ailleurs observable par le spectre des couleurs de ces copolymères sous lumière UV. Les électrons sautent en effet entre l’état fondamental et l’état excité en absorbant et en émettant des photons. Or, l’émission de lumière dépend de la longueur de la chaîne de copolymère, qui peut être contrôlée. Les chercheurs ont ainsi pu observer que les chaînes longues (qui permettent de petits sauts d’énergie) donnent au silicone une teinte rougeâtre, tandis que les chaînes courtes (qui impliquent des sauts d’énergie plus élevés) donnent des couleurs bleues.

Lors de tests, les chercheurs ont ainsi obtenu un arc-en-ciel de fioles colorées, illustrant visuellement la relation entre longueur de chaîne et transition électronique. Ce comportement optique renforce la thèse d’un comportement semi-conducteur, avec une bande interdite (band gap, l’intervalle situé entre la bande de valence et la bande de conduction) ajustable selon la structure et la longueur du copolymère.
De nombreuses applications potentielles
Cette découverte ouvre la voie à une nouvelle classe de silicones fonctionnels aux propriétés particulièrement intéressantes. Contrairement aux semi-conducteurs classiques rigides, ces silicones semi-conducteurs sont en effet flexibles, et peuvent être utilisés dans le domaine de l’électronique imprimée. Richard Laine évoque des écrans souples, des cellules solaires souples, ou même des textiles interactifs colorés.
Ce travail rompt avec le paradigme classique affirmant que « les Si-O-Si sont isolants ». Mais malgré son potentiel, cette technologie n’en est qu’à ses débuts. Plusieurs points restent à approfondir, comme la fiabilité des copolymères en termes de résistance thermique, de photo-stabilité et de vieillissement, ainsi que leur capacité d’intégration technique (compatibilité avec les procédés d’impression, adhésion, biocompatibilité…).
La transformation d’un isolant classique en semi-conducteur via un savant contrôle structurel est une percée majeure. En ouvrant la porte à des silicones électroniques, colorés, souples, cette recherche promet de redéfinir le rôle de ces matériaux – jusqu’ici passifs – dans l’électronique et les matériaux intelligents. Au-delà des silicones, ce concept d’une modification géométrique des liaisons atomiques peut inspirer de nouvelles études dans d’autres classes de polymères, reformulant la manière dont on conçoit matériaux et circuits. Cette étude, publiée dans la revue Macromolecular Rapid Communications, montre qu’il suffit parfois de modifier un angle, ici celui du Si-O-Si, pour déverrouiller des propriétés jusqu’alors insoupçonnées.









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