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Taxe carbone : faut-il taxer l’électricité ?

Posté le par La rédaction dans Environnement

[Tribune] Pierre Bacher

La contribution climat-énergie a vocation à s’appliquer aux usages diffus des énergies carbonées non soumises au régime européen des quotas de CO2, qui représentent en France les deux tiers des émissions. De nombreuses voix s’élèvent cependant pour étendre à l’électricité l’application de l’impôt, au nom du développement durable et, surtout, du côté des écologistes, pour ne pas avantager le nucléaire.

La taxe carbone, parfois appelée « contribution climat-énergie », se fixe comme objectif de faciliter les actions de tous les décideurs devant réduire les émissions de gaz à effet de serre dues à l’énergie. Elle a ainsi vocation à s’appliquer aux usages diffus des énergies carbonées non soumises au régime européen des quotas de CO2, qui représentent en France les deux tiers des émissions.

Ce rappel, clairement exprimé par Michel Rocard [1] en ouverture de la conférence des 2/3 juillet 2009, semble devoir exclure l’électricité du champ de cet impôt, puisqu’elle est soumise au régime des quotas. De nombreuses voix s’élèvent cependant pour étendre à l’électricité l’application de l’impôt, au nom du développement durable et, surtout, du côté des écologistes, pour ne pas avantager le nucléaire.

Notons tout d’abord que l’imposition d’une taxe carbone à une énergie non carbonée (renouvelable ou nucléaire) serait difficilement explicable aux consommateurs sans de fortes contorsions sémantiques : c’est ainsi que l’on évoque le développement durable (les ressources en uranium, même si elles sont considérables, n’étant pas renouvelables) et l’expression « contribution énergie-climat » pour faire oublier que ce sont les énergies carbonées qui sont en cause dans la problématique du climat. On peut certes vouloir encourager la sobriété énergétique, au nom d’une éthique de société, et taxer toute énergie, quelle qu’elle soit, mais cela est un autre débat.

Un objectif à terme de 100 € la tonne de CO2

Il n’en demeure pas moins qu’une fraction de l’électricité est produite à partir d’énergies carbonées (charbon, pétrole et gaz) : près des deux tiers en Allemagne, au Royaume Uni et en Espagne, plus de la moitié dans l’Europe des 27, mais entre 5 et 10 % en France. Le régime européen des quotas n’a guère pénalisé ce secteur, la tonne de CO2 s’y négociant entre 10 et 20 €.

La mise aux enchères des quotas à partir de 2012 aura en principe pour effet de les pousser à la hausse, mais la plupart des spécialistes anticipent une hausse limitée [2],au moins jusqu’en 2020. L’effet sur le coût du MWh carboné resterait alors trop faible pour influencer les consommateurs (moins de 10 €/MWh pour une centrale à gaz à cycle combiné).

Il ne serait pas insensé d’étendre la taxe carbone aux électricités carbonées, en combinant cela à une politique tarifaire faisant payer plus cher l’électricité aux heures de pointe où la part des énergies carbonées est la plus élevée. A 100 € par tonne de CO2, objectif à terme proposé par Michel Rocard, l’augmentation du coût serait de 50 €/MWh pour le gaz et 100 €/MWh pour le charbon, à comparer à une fourchette actuelle de 50 à 60 €/MWh pour ces deux sources. Il faudrait bien évidemment sortir l’électricité carbonée du régime des quotas (ou inventer un système complexe de coexistence évitant de payer deux fois).

Tirer profit de l’électricité décarbonée

La France pourrait-elle adopter une telle taxe ? Il faudrait convaincre les autres pays européens de faire de même, faute de quoi les électriciens des pays non soumis à la taxe bénéficieraient d’un avantage indu et la France devrait arrêter ses propres centrales thermiques.

Mais il n’y a aucune chance pour que les pays largement tributaires des énergies carbonées (à commencer par l’Allemagne) acceptent un tel renchérissement de leur électricité. Et le marché européen unique de l’électricité interdit d’instaurer une taxe sur les importations

Ne faut-il pas dès lors inverser la question, et se demander comment la France peut valoriser, dans les secteurs d’utilisation diffuse de l’énergie (habitat et transport), l’avantage important que lui confère son électricité, décarbonée à plus de 90 % et, relativement, bon marché ?

  • Dans l’habitat, le chauffage électrique direct est intéressant dans les logements très bien isolés (il faut bien évidement regarder le « système isolation + chauffage » et comparer les bilans thermodynamiques et les coûts. Les pompes à chaleur sont un complément très utile, voire incontournable, à l’énergie solaire. Globalement l’ensemble isolation, énergies renouvelables et électricité permettent, avec des technologies disponibles aujourd’hui, de remplacer presque complètement les énergies fossiles de ce secteur.
  • Dans les transports, les progrès récents dans les batteries permettent d’entrevoir des voitures hybrides, rechargeables sur le réseau, et, dans certaines niches, des voitures tout électriques.

Dans ces deux secteurs, la France bénéficie d’un avantage considérable lié au fait que son électricité est très peu carbonée. Cet avantage sera encore accentué lorsque se développeront les systèmes intelligents permettant à chacun de limiter volontairement sa demande aux heures de pointe.

Maintenir une électricité bon marché va bien dans le sens de la protection du climat. Taxer cette source d’énergie, déjà fortement mise à contribution pour financer les électricités renouvelables, aurait en revanche un effet pervers.

 

Source :

Pierre Bacher , ancien élève de polytechnique, est l’auteur de « L’énergie en 21 questions » – édition Odile Jacob (2007), membre du conseil scientifique de Sauvons le Climat et éditorialiste à l’Espace Veille de Techniquesde l’ingénieur.

[1] Michel Rocard « Les enjeux de la conférence sur la contribution climat-énergie »

[2] Les mécanismes de fixation du cours des quotas sont complexes : équilibre de l’offre et de la demande, spéculation… On peut penser que l’adoption d’un système de quotas par les Etats-Unis aurait pour effet de tirer les prix vers le bas, ceux-ci disposant d’importantes capacités de réduction de leurs émissions. Idem pour le Brésil.

Pour aller plus loin

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