Une partie significative de la communauté des physiciens se consacre à l'étude de la matière condensée, qui vise essentiellement à mesurer, prédire, expliquer les propriétés physico-chimiques des solides . Pour cela, il s'avère essentiel de pouvoir décrire, comprendre et modéliser le comportement des électrons dans la matière condensée. En effet, dans tout assemblage d'atomes (molécule, agrégat, solide cristallin ou amorphe), les électrons constituent la « colle » qui assure la cohésion de l'édifice atomique et qui détermine l'essentiel de ses propriétés physiques, qu'elles soient structurales, mécaniques, optiques, magnétiques ou même vibrationnelles. Ainsi, la structure d'équilibre d'un assemblage atomique est déterminée par le minimum de l'énergie électronique totale de l'ensemble de ses électrons. De même, les propriétés optiques du solide dans une large gamme d'énergies sont dominées par des transitions électroniques entre des niveaux électroniques occupés et inoccupés. Dans la plupart des solides, soumis à l'action d'un champ électrique ou électromagnétique, le transport du courant électrique implique un déplacement d'électrons. La compréhension des propriétés magnétiques, diélectriques, ferroélectriques, thermiques, ainsi que la plupart des propriétés physiques d'un solide requiert donc la connaissance détaillée de sa « structure électronique », un terme associé à la description des niveaux d'énergie des électrons dans le solide, et plus généralement à un domaine de la physique de la matière condensée dévolu aux propriétés des électrons dans les solides.
Le modèle du solide infini qui néglige la surface décrit généralement très bien les propriétés globales du matériau, car elles sont le résultat des contributions individuelles de chacun des atomes du solide. Parmi ceux-ci, pour un solide macroscopique, les atomes de volume sont bien plus nombreux que ceux de sa surface. Ainsi, un cube de silicium de 1 cm de côté comprend environ 5 × 1022 atomes de volume pour seulement 4 × 1015 atomes de surface. Par conséquent, les propriétés de surface n'apparaissent généralement qu'en utilisant des techniques expérimentales particulièrement sensibles aux atomes de surface, ou en considérant des processus qui dépendent spécifiquement de ces atomes, comme la croissance cristalline, l'adsorption, l'oxydation, la corrosion, la friction ou la catalyse hétérogène, qui ne peuvent être décrits par le modèle du cristal infini. Entamée vers le milieu du vingtième siècle, le passage de la civilisation de l'acier à celle du silicium avec, en corollaire, la course à la miniaturisation a constitué un moteur important du développement de la science des surfaces. Ainsi, si la fraction d'atomes de surface est de l'ordre de 10–9 dans un madrier en acier, elle atteint 10–2 dans un transistor MOS, cellule de base d'un microprocesseur actuellement produit, et les propriétés électroniques de surface ou d'interface peuvent alors conditionner et souvent même dominer les performances de ces dispositifs.
Les atomes de surface ayant moins de voisins que leurs homologues du volume, les électrons proches de la surface ne « ressentent » pas le même potentiel que dans le volume. La densité électronique locale, et par conséquent, la structure électronique et les propriétés physico-chimiques du volume sont plus ou moins profondément altérées à la surface. Par exemple, à cause des brusques variations du potentiel que subit un électron de valence au voisinage d'une surface, des états électroniques spécifiquement localisés dans cette région peuvent apparaître. On peut tout à fait concevoir, par exemple, qu'une surface d'un semi-conducteur soit métallique ! La présence d'une reconstruction de surface évite généralement l'état métallique, mais la valeur de la bande interdite ne sera pas celle du volume.
Après cette brève introduction, nous allons d'abord considérer dans ce premier article les concepts généraux qui permettent de décrire la structure électronique des solides et de leurs surfaces (paragraphe 2). Après quelques éléments de la structure cristallographique des surfaces (paragraphe 3), nous décrivons la répartition macroscopique des charges dans la région périsuperficielle des métaux et des semi-conducteurs (paragraphe 4). Dans un second article [AF 3 717], nous décrirons les méthodes expérimentales qui permettent de sonder les propriétés de ces états de surface. Un troisième article [AF 3 718] sera consacré à une description des propriétés électroniques de quelques surfaces représentatives de l'état de l'art.
Avertissement au lecteur
Le présent article et sa suite, basés sur l'expérience et les intérêts propres de l'auteur, chercheur et enseignant, est inévitablement subjectif et partial en ce qui concerne les choix et la couverture des sujets abordés. Il est conçu comme une simple introduction, un aperçu du large champ des connaissances à propos des propriétés électroniques des surfaces solides, avec une approche pragmatique évitant autant que possible un formalisme trop ardu. Si cet aperçu s'efforce d'être pertinent à la fois en profondeur et en couverture, il ne vise pas à l'exhaustivité, renvoyant pour cela à plusieurs ouvrages spécialisés, notamment ceux cités en fin de chaque dossier. Rédigé en 2010-2011, il est condamné à être rapidement dépassé par les découvertes qui se succèdent au rythme de la progression de la connaissance.