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« Il faut absolument garder la possibilité de désactiver les puces RFID » (2/2)

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

[Interview] Michel Alberganti

Suite de l'interview de Michel Alberganti, qui aborde dans cette deuxième partie les possibilités de régulation et la nécéssité pour les citoyens de garder le libre-choix de cette nouvelle technologie.

Instantanés Techniques : Que pensez-vous de la récente signature, le 6 avril 2011, d’un accord entre la Commission européenne et l’industrie visant à protéger la vie privée des consommateurs lors de l’usage d’étiquettes RFID ? Pour rappel, cet accord garantit que les entreprises effectueront une évaluation complète des risques liés à la vie privée et prendront des mesures pour déterminer les risques décelés avant qu’une nouvelle application de puce intelligente ne soit mise sur le marché.

Michel Alberganti : Je pense que tous les systèmes d’auto-évaluation ont démontré leur inefficacité. On voit ce qu’il se passe dans l’industrie nucléaire… Et on a vu ce que ça a donné pour l’industrie pharmaceutique avec l’affaire du Mediator.

Pour la RFID, c’est la même chose. Les recommandations émises n’ont aucune force d’application. Le problème de la Commission européenne est qu’elle ne veut pas être trop interventionniste. Du coup, ses recommandations n’ont pas grand pouvoir.

En même temps, depuis que la Commission s’est emparée de la question et qu’elle a procédé à des études, le développement de la RFID s’est plutôt ralenti. J’ai écrit Sous l’œil des puces, la RFID et la démocratie en 2007. Si je devais réécrire ce livre aujourd’hui, je crois que je n’aurais pas grand-chose à rajouter. Ce qui prouve qu’il ne s’est pas passé grand-chose depuis.

Le public est-il mieux informé sur les risques de la RFID depuis 2007 ?

Honnêtement, je pense que non. La seule chose qui a évolué, c’est une meilleure prise de conscience des industriels sur les risques qu’ils prendraient à se lancer dans la RFID, sans prendre les précautions nécessaires.

Vous avez participé en 2008 à un débat sur la RFID qui s’intitulait « Le Débat Numérique : une vie sous l’oeil de la technologie ».  Vous proposiez alors avec les autres participants, la création d’un organisme européen de l’Internet des objets (type CNIL) avec un droit de sanction. Est-ce vous pensez que ce type de projet pourrait aboutir dans les années à venir ?

Oui, car la RFID pose des problèmes qui sont loin d’être résolus. Ce qu’on appelle l’« Internet des objets » est très problématique, car il relie tous les objets à un système informatique.

L’Internet des objets est quelque chose qu’il va falloir apprendre à maîtriser, à connaitre, si l’on veut en garder le contrôle démocratique. Dans le cas inverse, le citoyen perdra tout contrôle sur les informations qui concernent sa vie, à la fois commerciale et privée.

Alors, après, à la question « Quelle est la structure qu’il faut créer ? », il est difficile de répondre. Dans aucun domaine, on a réussi à créer de structures qui soient véritablement efficaces. La position de Bernard Benhamou consiste à tenter de concilier le développement économique et la protection des citoyens. Or dans le cadre de la RFID, ces deux axes sont en opposition frontale.

L’une des rentabilisations importantes qu’espère faire l’industrie avec la RFID, c’est, en gros, tout ce qui se passe après l’encaissement. Si les puces restent actives après la caisse, de nombreuses d’applications deviennent possibles sur le suivi, l’optimisation des parcours, etc. Malheureusement, c’est là que commence la fin de la vie privée du consommateur.

Pour rentabiliser la RFID, il faudrait que l’industrie puisse utiliser les puces au-delà des caisses. Or,  afin de protéger la vie privée des citoyens, il faut absolument les désactiver au passage en caisse. Tout le débat est au centre de ce genre de questions.

Le mouvement de l’Internet des objets est inéluctable, car il est le prolongement naturel de l’informatisation de la société.

C’est comme ces jeux pour enfants où il faut relier des points. Si vous n’avez qu’un nuage de points, une interprétation est difficile. Mais si vous avez suffisamment de points et que vous savez les relier entre eux, un dessin, qui fait sens, apparait. La RFID, c’est précisément ce qui permet à la fois d’augmenter le nombre de points et de les relier entre eux.

C’est pour cela qu’il me parait difficile d’imaginer que l’on va revenir en arrière. Je pense qu’on va contenir les choses un certain temps – c’est ce qui se passe en ce moment –  grâce à l’action d’associations et autres. Mais c’est un combat qui ne peut durer éternellement. Il va falloir trouver un moyen de régulation, même si honnêtement j’y crois peu.

Il y a déjà eu des abus aux États Unis…

Les abus aux États-Unis, par le tollé qu’ils ont provoqué, ont été en fait très utiles aux citoyens et aux hommes politiques. Il y a eu une prise de conscience assez forte, qui explique notamment le ralentissement de la progression de la RFID.

Quelles mesures préconisez-vous pour protéger les droits des citoyens ?

Je ne crois pas tellement aux mesures purement administratives. Je pense qu’il faut qu’il y ait une réelle prise de conscience du public.

À mon niveau, elle est passée par un livre. À plus grande échelle, elle doit passer par la multiplication des canaux d’information.

Les nouvelles générations sont plus à même de comprendre ces choses. Il faut qu’elles soient informées et qu’elles aient les moyens de savoir ce qu’elles font. C’est-à-dire essayer de préserver le libre-choix.

Il faut absolument éviter que les puces soient mises en place de façon autoritaire et garder la possibilité de les désactiver.

Il existe aujourd’hui des passeports équipés de puces à distance, qui là aussi posent des problèmes de piratage. Si on réussit à voler votre identité, on peut la reproduire, la dupliquer, etc. À partir de là, comment donner aux citoyens les possibilités de maîtriser ce phénomène ? Là est tout l’enjeu.

Les gens doivent apprendre à se protéger eux-mêmes. Et réclamer les moyens de pouvoir le faire. La loi doit leur permettre de garantir cette liberté de choix. Mais je ne vois pas tellement quels systèmes efficaces pourraient les protéger. Protéger les gens malgré eux me paraît difficile. Donc il faut leur donner les moyens de se protéger eux-mêmes.

Quand on voit l’actualité de la RFID, on ne peut pas dire qu’il y ait de véritable explosion. Le point de basculement sera quand une grande enseigne de la grande distribution décidera de généraliser cette technologie. Aujourd’hui, la RFID se développe parce qu’elle équipe tous les produits, jusque dans les entrepôts. Le problème consiste à passer des cartons de plus en plus équipés, aux produits individuels et à l’utilisation de ces puces dans les magasins.

À ma connaissance, cela ne s’est pas encore produit. Et on observe même des mouvements inverses d’une certaine façon, puisque beaucoup de magasins créent des caisses automatiques, avec le code barre. C’est une façon de résoudre le problème.

Cela me fait dire que nous ne sommes pas encore à la veille d’une utilisation massive des puces RFID. Les industriels sont plutôt attentistes, ils se focalisent sur l’amont de la distribution, et non pas sur l’aval. Ils ont déjà beaucoup à gagner sur la logistique, avant la distribution. Pour l’instant, ils s’en satisfont.

Depuis une étude réalisée en 1996 sur des souris, la rumeur ne cesse d’enfler sur un possible lien entre les puces RFID et les risque de cancer. Qu’en pensez-vous ?

Rien n’est avéré. Je pense qu’il y a une grosse part de fantasme derrière ces rumeurs.  Après, le risque de cancer peut être lié aux conséquences  des ondes électromagnétiques. Mais là encore, rien n’est sûr. Les études sur les ondes électromagnétiques liées au téléphone portables n’ont pas été concluantes. Cela reste à l’état d’interrogations. Le débat n’est pas tranché, ni dans un sens, ni dans l’autre.

 

Michel Alberganti

Michel Alberganti est journaliste scientifique et producteur de l’émission « Sciences Publiques » sur France Culture. En 2007, il a écrit en Sous l’oeil des puces, la RFID et la démocratie, et en 2008 La RFID, quelles menaces, quelles opportunités ? avec Patrice Georget, PDG de GS1 France, première entreprise à avoir introduit la RFID en France.

 

 

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Carole Hamon

Posté le par La rédaction


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