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Décryptage

« Réduire la distance entre le monde des écoles et le monde des universités »

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

[Interview] Claude Maury - Cefi

Délégué général du Cefi, Claude Maury est un observateur privilégié de la formation et de l'emploi des ingénieurs. Approche compétence, apprentissage, rapprochement des écoles et des universités... il revient sur les grandes tendances d'un monde en pleine mutation. 

Claude Maury est délégué général du Comité d’études sur les formations d’ingénieurs (cf. encadré).

Techniques de l’ingénieur : La formation des ingénieurs vous paraît-elle adaptée ?

Claude Maury : Il me semble que oui, et plusieurs indications vont dans ce sens. Même si c’est momentanément plus difficile, on constate d’abord que l’insertion dans le monde du travail a toujours été bonne ces dernières années, et supérieure en tout cas à celle des autres filières. On perçoit en second lieu que les écoles font en continu des efforts pour ajuster la formation aux demandes des entreprises. Un sujet d’actualité, et en même temps d’avenir, comme le développement durable, suscite des réponses au niveau des écoles, qui témoignent de tout le bénéfice qu’elles tirent d’une forte autonomie, mais d’autres exemples de cette réactivité pourraient être donnés.

Quelles sont les grandes tendances qui touchent la formation des ingénieurs ?

Dans le contexte économique actuel de faible croissance, certains secteurs font valoir des besoins, comme en particulier l’énergie et le nucléaire, mais toutes les branches font un lien fort entre leurs espérances de développement et leur recrutement d’ingénieurs, comme par exemple l’ingénierie. Par ailleurs, depuis 2003, les écoles portent une attention nouvelle à l’approche compétence, qui implique de mieux expliciter les attentes concrètes des entreprises vis à vis des ingénieurs en début de carrière. A ce titre, il apparaît par exemple, nécessaire de développer plus d’aptitudes en communication ou en gestion des risques. Autre tendance notable, l’apprentissage se développe. Cela ne concerne plus seulement le Cesi ou les formations dites partenariales, mais aussi les formations traditionnelles.

L’ouverture internationale, qui n’est pas une nouveauté, se traduit désormais par un développement de doubles diplômes. Beaucoup d’efforts sont faits avec la Chine, essentiellement pour attirer des étudiants chinois. Mais on peut relever que L’Ecole Centrale s’est implantée à Pékin, avec l’ambition d’exporter le modèle français, en conservant, avec quelques adaptations, la vision d’un ingénieur généraliste avec une très forte formation scientifique ouverte sur de nombreux champs.

Les écoles françaises ont-elles une taille insuffisante ?

La taille peut constituer un problème dès lors que les écoles françaises, même en ayant beaucoup grossi, ne sont pas intégrées dans des ensembles aussi vastes qu’à l’étranger, ce qui a des conséquences en termes de visibilité. La politique conduite actuellement au plan national vise à corriger ce handicap par la création des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). C’est un mouvement qui prend des formes variables selon les régions, avec des vitesses de mise en œuvre différentes.

Les grandes écoles d’ingénieurs sont-elles reconnues à l’international ?

On entend souvent dire que les écoles d’ingénieurs françaises sont peu connues, mais je ne partage pas ce jugement un peu rapide. Les écoles françaises ont beaucoup de relations avec leurs homologues étrangers et n’ont pas de problèmes de considération. L’école Polytechnique ou encore l’ENS sont parfaitement connues et reconnues à Boston comme à Tokyo. Malgré le handicap du changement de nom (SupAéro devenue ISAE) toute l’aéronautique mondiale sait qu’il y a à Toulouse l’une des meilleures formations mondiales…

Le système des grandes écoles, spécificité française, va-t-il disparaître ?

La politique menée actuellement au niveau du gouvernement vise indiscutablement à réduire la distance entre le monde des écoles et le monde des universités, mais non à réaliser une absorption où tout le monde serait perdant. C’est un processus lent, qui aura des répercussions dans les prochaines années. Le paysage est en train de changer, dans les structures, mais aussi dans les têtes.

Dans la pratique, l’opposition que l’on se plaît à souligner entre deux modèles, n’est pas forcément simple à identifier sur le terrain, car beaucoup d’écoles sont intégrées dans des universités ou possèdent même des structures d’université. Les doctorats, pour prendre une illustration particulièrement frappante, sont désormais décernés par des écoles doctorales fédératrices d’équipes d’écoles et universités. D’autres évolutions sont en cours sans que l’on en ait forcément conscience. Ainsi, les universités sont encouragées afin de rénover les licences, à développer des classes préparatoires. La nouvelle université de Strasbourg envisageait à sa création de mettre en place des cycles privilégiés reprenant le modèle des écoles avec prépa intégrée. Sur un autre plan, il est difficile de savoir si Dauphine est une université, ce qui est vrai nominalement, ou une école, ce qui est vrai par rapport à son mode de fonctionnement. Les modèles évoluent et on ressent clairement la vanité de rester dans des schémas fermés d’opposition. Nous n’avons pas conscience par exemple du fait qu’un quart des ingénieurs diplômés français sort d’universités de technologie proches du modèle allemand, comme les Insa, les universités technologiques ou les instituts polytechniques nationaux. Un modèle qui me semble intéressant est celui dans lequel des grandes écoles seraient intégrées dans le périmètre d’universités pour devenir le fleuron de leur patrimoine. Après tout, c’est en gros le schéma de l’université de Harvard…

Faut-il s’attendre à des fusions d’écoles ?

Il y a eu ces dernières années de nombreuses fusions, en particulier pour les écoles universitaires qui ont donné naissance aux Polytechs, aujourd’hui bien identifiés. On perçoit aujourd’hui l’intérêt pour des rapprochements, comme par exemple l’alliance qui se construit entre Supélec et Centrale, ou le rattachement des écoles des Mines et des Télécoms à une structure administrative unique. On ne peut écarter des schémas de fusion, mais à l’évidence un certain pragmatisme s’impose et personne ne veut aller trop vite… A Marseille, dans un autre contexte, la fusion de trois écoles, deux universitaires et l’une consulaire, a fait émerger Centrale Marseille, et créé une dynamique intéressante à l’opposé des traditions de dispersion.

L’augmentation du nombre d’ingénieurs va-t-elle se poursuivre ?

J’en doute fort, pour de simples raisons démographiques. Les écoles trouvent leurs candidats au sein de la filière scientifique du secondaire, qui est aujourd’hui en flux quasi-stabilisée. Il est peu probable que puissent se maintenir des croissances étonnamment fortes de 3 à 4 % alors que le vivier primaire ne change plus. On va ainsi certainement arriver à un palier, ce qui semble cohérent avec les capacités d’absorption du marché de l’emploi.

Propos recueillis par Corentine Gasquet

Parcours

Diplômé de l’Ecole polytechnique (promotion 1961) et de l’Ecole des Mines (promotion 1964), Claude Maury est délégué général du Cefi (Comité d’études sur les formations d’ingénieurs). Ancien directeur technique de l’Ecole des Mines de Nancy (1967-1973), il a été responsable des écoles d’ingénieurs au ministère de l’Industrie (1973 -1978) puis directeur des relations extérieures de l’Ecole Polytechnique (1988 – 1994). Il est auteur de nombreux études et rapports.

Le site Emploi des Editions Techniques de l’ingénieur : emploi.techniques-ingenieur.fr

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