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Reportage

Cuve de l’EPR : l’ASN alerte EDF et Areva depuis 2005 !

Posté le par Matthieu Combe dans Énergie

Suite aux révélations de Franceinfo, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a décidé de rendre public l’historique de ses échanges avec EDF et Areva depuis 2005 sur la qualité des fabrications de Creusot Forge. Ces documents confirment que l'ASN avait alerté les deux entreprises sur des problèmes de qualité dans cette usine dès 2005.

Le bureau de contrôle des chaudières nucléaires (BCCN) – ancien nom de la direction des équipements sous pression nucléaires de l’ASN –  a réalisé 8 inspections dans l’usine Creusot Forge en 2005. Le 16 décembre 2005, l’ASN écrivait à EDF pour lui signaler de « nombreux écarts concernant le forgeron ».

Des problèmes qui « mettent en cause la qualité des travaux et de la surveillance de ses sous-traitants ». En somme, le fournisseur d’EDF ne respecte pas les règles de qualité.

Le 30 janvier 2006, lors d’une réunion entre l’ASN et EDF, il est assuré que l’électricien a renforcé sa surveillance des opérations réalisées dans l’usine. Le lendemain, le directeur de l’ASN rend visite au forgeron. Il en ressort qu’en 2005, l’usine a connu « un nombre significatif de rebuts de grosses pièces ». L’ASN met en évidence « certaines déviances » et trouve étrange que le fabricant ou son commanditaire ne les aient pas remarquées. Elle signale que ces derniers doivent assurer une « surveillance adaptée à la qualité attendue des fabrications ».

Anomalies en chaîne chez Creusot Forge

Face à l’absence de réaction d’EDF, les inspecteurs du BCCN et de la DRIRE Bourgogne se rendent chez Creusot Forge les 26 et 27 avril 2006. Ils réalisent 16 constats. Le 11 août 2006, EDF souligne dans une lettre que « des actions préventives et correctives ont été mises en place » et qu’il « ne partage pas l’appréciation de l’ASN sur l’absence de réaction de sa part ». Le 22 septembre, l’ASN répond pour sa part que les plans d’actions de surveillance mis en place par EDF ne suffisent pas à dire que « la surveillance d’EDF sur l’ensemble des constructeurs et de leurs sous-traitants est satisfaisante ». L’agence souligne également que « les réponses de Creusot Forge ne sont pas satisfaisantes ».

Il faudra attendre le 24 mai 2007 pour qu’EDF assure que l’ensemble des actions menées apportent une amélioration de la situation de Creusot Forge. EDF transmet le compte-rendu d’un nouvel audit à l’ASN le 21 décembre 2007. Il n’identifie pas de problèmes qualité. En parallèle, le 8 septembre 2006, Areva écrit à l’ASN pour lui indiquer que l’entreprise acquiert le groupe Sfarsteel. Areva souligne notamment que son plan de progrès a pour objectif « d’améliorer la qualité des productions et de développer la culture de qualité au sein de Creusot Forge ».

C’est durant cette période difficile, entre septembre 2006 et décembre 2007, que la cuve de l’EPR de Flamanville est forgée dans l’usine. L’ASN avait bien mis en garde EDF contre les risques de défauts. Mais aucune analyse n’est pratiquée entre 2007 et 2014 pour vérifier la qualité de la cuve.

Des anomalies aux falsifications

Entre 2008 et 2012, la situation semble s’améliorer. L’ASN ne partage aucun document pour cette période. En mars 2012, plusieurs pièces sont mises au rebut pour des problèmes de défauts dus à l’hydrogène. En juin, l’agence montre qu’Areva ne peut garantir l’homogénéité des fours utilisés pour le traitement thermique chez Creusot Forge.

En janvier 2014, la cuve est installée dans le bâtiment réacteur de l’EPR de Flamanville. 7 ans après sa fabrication et après installation, Areva vérifie enfin la qualité de la pièce. Et les résultats sont mauvais. En octobre, Areva notifie à l’ASN l’anomalie de composition de l’acier dans certaines zones du couvercle et du fond de la cuve du réacteur de l’EPR de Flamanville.  Il y a aussi des zones d’hétérogénéité dans les dômes elliptiques des générateurs de vapeur. En avril 2015, Areva détecte encore des anomalies dans la conduite d’essais de traction à chaud entre 2009 et 2014. La qualité ne s’était donc pas améliorée dans l’usine.

La réponse de l’ASN à Areva est claire: « ces différents écarts, qui font suite à d’autres constatés depuis plusieurs années, mettent à nouveau en évidence un défaut de maîtrise de la qualité des fabrications nucléaires réalisées chez Creusot Forge ». L’ASN rend alors public les anomalies concernant la cuve de l’EPR. Fin juin 2015, Bureau Veritas est mandaté par l’ASN pour une surveillance renforcée de Creusot Forge. L’historique finit en avril 2016, lorsqu’ Areva informe l’ASN que des pratiques irrégulières ont été identifiées. Les anomalies qualité sont dues à des falsifications dans le suivi de fabrication. L’ASN doit désormais valider ou non la qualité de la cuve. Son verdict est attendu pour septembre 2017.

Par Matthieu Combe, journaliste scientifique

Pour aller plus loin

Posté le par Matthieu Combe

Les derniers commentaires

  • Les pseudos-révélations de France-inter et de France -Info qui laissent croire que tout ceci était caché au public sont des scoop éventés car d’une part, ces courriers figurent sur le site de l’ASN et sont accessibles à tous, et d’autre part il y a eu l’an dernier une réunion spécifique ouverte au public de l’Office Parlementaire sur l’évaluation des Choix Scientifiques et techniques (OPESCT). De cette réunion, il est ressorti comme le disait Yves Bréchet, spécialiste de la métallurgie et haut commissaire du CEAEA « que les parties soumises aux rayonnements neutroniques, c’est à dire les viroles n’étaient pas en cause et que les parties où des ségrégations de carbone s’étaient produites, le fonds de cuve et le couvercle, n’étaient pas soumises aux rayonnements neutroniques ».
    Au cours de cette réunion AREVA et EDF ont rappelé le programme de R&D entrepris sur ces parties hémisphériques à partir de pièces sacrificielles forgées dans les mêmes conditions afin de fabriquer un nombre conséquent d’éprouvettes à la surface de ces pièces aux trois quart de profondeur, à mi épaisseur et au quart de l’épaisseur. Ces éprouvettes, qui se chiffrent en millier, prélevées sur deux couvercles sacrificiels donneront les valeurs de dureté de l’acier mesurées. Les calculs aux éléments finis pourront alors être refaits avec les données réelles et montreront quels sont les écarts par rapport aux valeurs théoriques de calcul de résistance de matériaux faits sur ces coques. Ce sont ces résultats qui ont été transmis à l’ASN et qui font l’objet d’un contrôle approfondi par les experts en métallurgie de l’ASN et de son appui technique l’IRSN. A noter cependant que le fonds a un diamètre plus faible que le couvercle et n’est plus traversé dans l’EPR par les orifices d’introduction périodique des capteurs neutroniques d’instrumentation interne. Ces orifices sont désormais sur le couvercle où l’on trouve également les traversées des tiges de commandes des grappes de régulation de la puissance et des grappes d’arrêt. Ceci explique que ce soit le couvercle qui fasse l’objet de la plus grande attention de la part de l’ASN.
    Il est tout de même rageant de voir que les chaînes publiques d’informations fassent semblant d’avoir découvert un problème que personne n’a caché depuis près de 3 ans. Il suffisait d’avoir un journaliste présent à la réunion de l’OPESCT ou au moins de lire le compte rendu en ligne sur le site de l’Assemblée Nationale et de lire les échanges de courriers sur le site de l’ASN. Que les chaînes publiques d’informations fassent de l’antinucléarisme primaire est désolant. Les deux personnes consultées ont été Bernard Laponche qui ne travaille plus dans le nucléaire depuis mai 1968 et Yves Marignac de WISE, organisme qui lutte depuis toujours contre le nucléaire, et qui n’a aucune expérience pratique dans le monde de l’électronucléaire et encore moins dans celui de la métallurgie. Il eut été intéressant d’entendre le point de vue de grands métallurgistes comme Yves Bréchet ou autres.

    Jean Fluchère-Ancien directeur du site nucléaire du Bugey


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