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Décarbonation du ciment : deux scénarios très contrastés

Posté le par Stéphane SIGNORET dans Environnement

Le plan de transition sectoriel de l’Ademe sur l’industrie cimentière montre que le développement des solutions de décarbonation déjà connues ne suffit pas. Deux scénarios opposés – sobriété ou forte technologisation – atteignent l’objectif national, mais leurs conséquences financières et sociales sont très différentes.

Imaginer l’avenir décarboné d’une filière industrielle comme celle du ciment conduit à considérer les défis techniques, organisationnels et économiques à relever. De fait, ce produit est incontournable puisque, directement ou indirectement via le béton, il est au cœur de l’activité des secteurs du bâtiment et des travaux publics. Son poids économique en France n’est pas négligeable, de 2 à 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel entre 2010 et 2016, et 30 000 emplois en moyenne dont 5 000 directs.

La consommation nationale de ciment est autour de 18,5 Mt. La production française s’élève à 16,5 Mt (donnée 2018), en baisse de plus de 20 % en dix ans. Une petite partie est exportée (environ 0,5 Mt) tandis que 2,5 à 3 Mt sont importées de pays voisins. Le clinker, composant essentiel du ciment, est produit sur 27 sites en France, entre les mains de cinq groupes industriels. Depuis quelques années, on assiste aussi à une importation de clinker.

Le clinker est obtenu par cuisson d’un mélange de calcaire et d’argile, à 1 450°C. L’opération est responsable des émissions de CO2 des cimenteries, dont un tiers à cause de la consommation d’énergie des fours et deux tiers dus à la réaction chimique de décarbonatation du calcaire. Les sources d’énergies sont pour moitié des énergies fossiles, pour 35 % des combustibles de substitution (déchets) et pour 15 % de l’électricité. Les émissions de gaz à effet de serre de la filière ciment sont de l’ordre de 10 Mt CO2eq par an soit 12,5 % des émissions de l’industrie nationale.

Le scénario de référence ne décarbone pas assez

Dans son plan de transition sectoriel sur le ciment, l’Ademe a d’abord élaboré un scénario de référence reposant sur le développement des solutions de décarbonation déjà mises en œuvre par les industriels et sur les tendances de consommation prévues dans la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC 2). Les leviers de décarbonation sont au nombre de cinq.

  • La mise à niveau (upgrading) des cimenteries avec les meilleures technologies disponibles. Il s’agit principalement d’améliorer l’efficacité thermique des sites en les passant en voie sèche avec précalcinateur. Ceci peut améliorer l’efficacité énergétique de 15 à 20 %.
  • La substitution des énergies fossiles par une fraction de biomasses (déchets agricoles et de bois, boues de station d’épuration). Mais le pouvoir calorifique inférieur de ces dernières est trop faible pour les niveaux de température attendus, donc d’autres combustibles alternatifs sont nécessaires (plastiques, pneumatiques, solvants et huiles usagés, etc.).
  • La baisse du taux de clinker à 58 % en 2050 alors qu’il était de 78 % en moyenne en 2018.
  • L’utilisation d’autres technologies qui, de manière incrémentale, peuvent décarboner certains aspects de la production (combustion enrichie en oxygène, tour de préchauffage avec des cyclones à faible perte de charge, optimisation du contrôle des procédés, etc.).
  • Le recours à la capture et au stockage de carbone (CSC) sur 20 % des cimenteries.

L’application de ces leviers est couplée à une baisse de la consommation de ciment dans le secteur du bâtiment, notamment grâce une politique ambitieuse de division par deux du nombre de constructions de maisons individuelles, et d’usage en hausse du bois.

Ce scénario de référence réduit les émissions de GES de la filière ciment de 54 %. Il n’atteint donc pas l’objectif de – 81 % de la SNBC, alors même que les investissements d’ici 2050 seraient importants, de l’ordre de 4,4 milliards d’euros, dont 1,1 Md€ pour le CSC.

La sobriété coûte moins cher

Comme le prévoient les principes méthodologiques des PTS, l’Ademe a élaboré d’autres scénarios. Deux visions contrastées ont été modélisées pour atteindre l’objectif de – 81 %.

Le scénario « techno-push » est guidé par le pari d’un plus fort développement des technologies, notamment de CSC (qui assure plus d’un tiers des baisses d’émission de CO2) et de fours de calcination flash pour produire des argiles calcinées. Une part d’électrification est possible, mais elle reste marginale. La demande en ciment diminue moins que dans le scénario de référence, portée par une hausse des besoins en infrastructures routières et ferroviaires. Des nouveaux ciments et clinkers alternatifs sont aussi développés. Le coût global bondit à 7,7 Mds€ dont près de 3 Mds€ pour le CSC.

Le scénario dit de « choc sobriété low-tech » se base sur la priorité au Zéro artificialisation nette des sols. L’impact sur les secteurs du bâtiment et des travaux publics est majeur, malgré un certain dynamisme pour les routes communales, départementales et les pistes cyclables : la baisse des constructions induit une diminution de 55 % des émissions de GES du ciment, par arrêt de la demande et donc fermeture de sites. Un recours plus important aux solutions sans clinker est aussi prévu, avec des liants alcali-activé au laitier de haut fourneau. Le coût global de ce scénario est 32 fois plus faible que le scénario techno-push (voir tableau ci-dessous) !

Scénarios du PTS Ciment en 2050
Source : Ademe

Dans les trois scénarios, qui prennent en compte une hausse des prix de l’énergie et du CO2, l’augmentation du coût de production est importante, mais reste bien moins forte que si aucun investissement de décarbonation n’était fait. Le scénario le plus sobre est celui dont le coût unitaire augmente le moins, car l’amortissement des Capex n’augmente que de 20 % alors qu’il est multiplié par quatre dans le scénario techno-push.

Pour l’Ademe, si aucun de ces scénarios ne prédit l’avenir, ils montrent que la décarbonation de l’industrie cimentière exige un fort besoin de visibilité, en particulier sur la trajectoire de prix du CO2. Un fléchage des investissements vers les sites stratégiques est également nécessaire, ainsi qu’un accompagnement réglementaire et normatif bien rythmé des innovations.

Pour aller plus loin

Posté le par Stéphane SIGNORET


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