Le Gouvernement souhaite baisser le coefficient d’énergie primaire pour faciliter l’électrification des logements. Derrière la façade des bonnes intentions, on discerne un choix non scientifique et des associations dénoncent un risque élevé pour les ménages en précarité.
Un petit paramètre technique peut avoir de grandes conséquences. La réforme du coefficient d’énergie primaire (CEP) voulue actuellement par le Gouvernement en est la preuve. Utilisé dans le diagnostic de performance énergétique (DPE), ce coefficient de conversion permet d’obtenir l’énergie primaire à partir de l’énergie finale électrique consommée dans un logement. En exigeant sa baisse artificielle de 2,3 à 1,9 pour donner un avantage à l’électricité dans le bâtiment, les pouvoirs publics auraient-ils oublié sa signification scientifique et ses conséquences sociales ?
Pour bien comprendre de quoi on parle, il faut revenir aux « basics ». Le long d’une chaîne énergétique, on peut calculer la quantité d’énergie primaire nécessaire en amont pour arriver à délivrer une énergie finale au consommateur. Entre les deux, la chaîne comporte plus ou moins de transformations et de distributions, et on mesure l’efficacité de chaque vecteur énergétique avec le CEP qui est le rapport de l’énergie primaire sur l’énergie finale.
Dans le cas du gaz, du fioul, et du bois, il n’y a pas de différence entre l’énergie primaire et l’énergie finale donc le CEP est égal à 1, c’est l’optimum énergétique en termes de production. Pour l’électricité, il faut prendre en compte les rendements des transformations et du transport/distribution. Dans le cas d’une conversion directe (hydroélectricité, éolien, photovoltaïque), le CEP est proche de 1. Pour les centrales utilisant une production de vapeur d’eau (énergies fossiles, bois, nucléaire), les rendements sont entre 33 % (nucléaire) et 60 % (cycle combiné gaz), ce qui implique un CEP plus élevé, entre 2 et 3,5.
Un coefficient bien réel… mais manipulé
À l’échelle du parc français de production d’électricité, il faut faire la moyenne pondérée des coefficients de conversion de toutes les centrales pour avoir le CEP national. Une analyse faite par le ministère en charge de l’énergie en 2020 avait calculé ce chiffre dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie de l’époque : de 3 en 2005-2010, il était passé à 2,7 en 2020 puis devait baisser jusqu’à 2,3 en 2030 et 2,2 en 2035, au fur et à mesure de la progression des énergies renouvelables dans le mix électrique.
L’approche scientifique du calcul du CEP est claire et devrait conduire à l’adaptation annuelle de sa valeur pour les usages réglementaires. Mais par anticipation des évolutions du parc, les pouvoirs publics ont décidé en 2020 de lui donner directement la valeur de 2,3 dans la réglementation environnementale des bâtiments. Aujourd’hui, ils décident arbitrairement de l’abaisser à 1,9 au mépris de la réalité physique du parc de production français. Cette valeur est une moyenne européenne indiquée dans l’article 31 de la directive sur l’efficacité énergétique, et les États membres peuvent l’utiliser… surtout s’ils n’ont pas les moyens de calculer leur CEP, ce qui n’est pas le cas de la France !
Hier comme aujourd’hui, l’argument du Gouvernement est de réduire le désavantage du chauffage électrique sur le gaz, car le DPE prend en compte l’énergie primaire dans l’attribution de l’étiquette des logements. Mais il se trouve que le DPE intègre aussi les émissions de gaz à effet de serre. « Depuis 2021, la double échelle du DPE a déjà mis sur un pied d’égalité le gaz et l’électricité, le premier étant pénalisé par ses émissions de CO2 et la seconde handicapée par son mauvais coefficient d’énergie primaire. Il n’y a pas besoin de truquer le CEP pour pousser à l’électrification du bâtiment. Une solution concrète et utile pour tous serait d’associer l’électrification à une politique de rénovation ambitieuse » rappelle Mahel Gonsalez-Mortreux, chargé de plaidoyer à l’Association négaWatt.
Risque de ne pas rénover les passoires thermiques
Sous couvert de décarbonation des logements, la baisse du CEP risque d’avoir en réalité des effets pervers qui pénaliseraient les ménages comme les artisans. L’Association négaWatt, avec plusieurs autres (UFC-Que choisir, Confédération nationale du logement, Confédération syndicale des familles, Agir pour le climat, FNE, Réseau CLER, etc.), a publié une lettre ouverte au Premier ministre dans laquelle ils identifient trois conséquences.
La première est que les étiquettes DPE des logements chauffés à l’électricité seraient artificiellement améliorées, créant un effet de trompe-l’œil. Propriétaires et locataires croiraient avoir un certain niveau de consommation d’énergie alors qu’il serait en fait plus élevé, tout comme leurs factures. Cela risquerait aussi de fragiliser la confiance dans le DPE, alors qu’il est un critère de choix des appartements de plus en plus important.
« La deuxième conséquence porte sur les passoires thermiques chauffées à l’électricité : dans ces logements, la fausse amélioration du DPE enlèverait toute incitation ou obligation d’effectuer des travaux de rénovation, alors même que leurs occupants sont généralement des ménages précaires » précise Mahel Gonsalez-Mortreux. Les associations estiment qu’environ 1,2 million de logements seraient ainsi sortis artificiellement des classes F et G, alors que le Gouvernement les chiffre à 870 000 logements.
Enfin, le marché des pompes à chaleur (PAC) serait fortement impacté. Comme il serait plus facile d’atteindre une bonne étiquette de DPE avec un simple convecteur électrique, moins cher, les associations estiment que le nombre de PAC à installer d’ici 2030 se réduirait de 1,7 million d’unités. Un manque à gagner certain pour les vendeurs de PAC. EDF se veut rassurante en disant que le risque n’est pas élevé de voir un transfert vers le chauffage par effet Joule. Mais les associations craignent qu’une politique de rénovation par monogeste conduise au choix de ces convecteurs coûteux à l’usage. Dans les deux cas, par manque d’isolation, on créerait une hausse de consommation d’électricité à la pointe l’hiver.
Examiné au Conseil supérieur de l’énergie le 24 juillet, la réforme du CEP et du DPE devrait faire l’objet d’un arrêté en septembre, sauf si la raison reprend le dessus pour privilégier avant tout une politique ambitieuse de rénovation performante des logements, en priorité ceux en classe F et G.









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