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Décryptage

« Les nanotechnologies devraient soulever des débats plus spécifiques et spécialisés »

Posté le par La rédaction dans Chimie et Biotech

[Interview] Dominique Vinck, sociologue

Approche dimensionnelle ou ascendante, convergence ou spécialisation, risques exagérés ou minimisés… Les nanotechnologies soulèvent bien des questions, auxquelles les chercheurs, les industriels mais aussi la société vont devoir répondre. Interview de Dominique Vinck, sociologue.

Techniques de l’ingénieur : Dans votre livre (cf. encadré), vous soulevez le problème de la définition des nanotechnologies, avec une approche basée sur la dimension et une autre basée sur les propriétés. D’après vous, quelle est la bonne approche ?

Dominique Vinck : La bonne réponse est celle qui finira par s’imposer dans les milieux industriels, scientifiques ou institutionnels. L’industrie utilise une entrée plutôt classique dans la lignée de la microélectronique. Les physiciens ont une approche ascendante. Il existe des divergences et des enjeux très forts, avec au-delà des connotations du type conservateurs versus farfelus. Certains se battent pour stabiliser des définitions au sein d’instances normatives.

Le débat sur la définition est-il le même dans tous les pays ?

Cela dépend du poids relatif des disciplines dans les différents pays. Au niveau européen, la physique prédomine. A Grenoble, c’est surtout la microélectronique. Aux Pays-Bas, c’est la chimie, aux Etats-Unis les sciences du vivant, en Asie les matériaux.

Les nanotechnologies ne sont-elles pas à la croisée des sciences ?

Lorsque l’on étudie les revues scientifiques sur les nanotechnologies, on se rend compte qu’il existe généralement une discipline dominante, généralement en physique ou en chimie. Aucune revue ne propose un équilibre entre les disciplines. Il y a eu un grand discours sur la convergence des disciplines mais, dans la pratique, cette convergence s’avère moins évidente. Aujourd’hui, on a plutôt tendance à redécouper par disciplines. Le nombre moyen de cosignataires d’articles tend à baisser. On observe moins de mélanges d’une discipline à l’autre qu’en 2001 – 2004. Mais un retournement de situation peut très bien arriver en trois ou quatre ans.

Dans votre livre, vous évoquez le progrès incrémental et la vision révolutionnaire. Laquelle vous semble la plus plausible ?

La plus proche de ce qui se passe aujourd’hui est la vision incrémentale, c’est-à-dire l’intégration d’innovations dans l’existant. Les ruptures radicales s’avèrent le plus souvent des échecs. On constate parfois des phénomènes d’accélération des nouveautés qui font basculer collectivement les choses. Ce sera peut-être le cas, mais pas pour l’instant. Toutes les grandes industries multinationales, quel que soit le secteur, font aujourd’hui de la recherche dans les nanotechnologies.

Quel est le grand défi pour la recherche dans le domaine des nanotechnologies ?

D’après ce que j’observe, le grand défi actuel concerne l’intégration de plusieurs fonctions sur le matériau et au niveau le plus élémentaire. Pour prendre une comparaison, les ailettes autour du moteur d’une voiture servent à la fois à structurer le cylindre et à refroidir, et c’est le même élément qui remplit les deux fonctions.

Existe-t-il un débat public autour des nanotechnologies ?

Un débat a émergé en 2003, cela s’est calmé depuis un ou deux ans. On a mélangé toutes les technologies dans une grande confusion. On devrait aller vers des débats plus spécifiques et spécialisés en fonction de tel ou tel développement.

Quels débats vous semblent-ils les plus importants ?

Dans le domaine des nanofoods, nous sommes à la limite de ce que l’on connaît en matière de toxicité. D’autre part, la production et les usages de données par les objets communicants me semblent très importants, avec des inconnus juridiques, économiques et politiques. Cela peut changer des rapports de force dans la société. Par exemple, si des mouchards permettent de savoir si un objet a reçu un choc, cette fonction sera au service du vendeur qui doit ou non appliquer la garantie. C’est à la société de dire si c’est bien ou pas.

Quelle discipline doit-elle s’attaquer au sujet ?

C’est potentiellement un chantier pour les sciences sociales. Mais très peu de chercheurs rentrent dans les contenus scientifiques et technologiques. La plupart regardent les débats depuis la rue, sans rentrer dans les laboratoires.

Les nanotechnologies font-elles peur ?

Globalement les gens n’ont pas peur. Ils font confiance aux scientifiques, mais ils se méfient de plus en plus des institutions.

Faut-il avoir peur des nanomatériaux ?

D’un point de vue théorique, les risques sont potentiellement énormes mais, d’un point de vue empirique, on ne sait pas répondre à cette interrogation. Il existe très peu de financements sur ces sujets, et même s’ils existaient, la question est de savoir quels laboratoires compétents et indépendants pourraient mener les recherches. Propos recueillis par Corentine Gasquet

ParcoursDominique Vinck est professeur à l’université Pierre Mendès-France (sciences sociales) et à l’Institut national polytechnique de Grenoble. Son livre Les nanotechnologies est paru en février 2009 dans la collection Idées reçues du Cavalier bleu. La bio de Dominique Vinck sur Wikipedia

 

Posté le par La rédaction


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