La simulation ergonomique fait appel aux techniques de simulation numérique pour évaluer l'ergonomie d'un produit ou d'un poste de travail sous forme de maquettage numérique. Le mannequin numérique (MN) est un de ces outils, qui a suivi l'évolution des logiciels CAO (Conception assistée par ordinateur). Il vise à représenter le futur opérateur ou l'utilisateur du produit, à simuler son activité, à évaluer ses interactions avec son environnement pour en déduire des informations sur les contraintes subies. L"intérêt majeur de la simulation ergonomique est de diminuer le temps de conception, et par là son coût. Pouvoir mettre en situation un mannequin numérique et effectuer tout test pertinent pour corriger les incohérences du produit, cela très en amont dans la phase de conception et sans avoir recours à une maquette physique, peut permettre d"éviter des erreurs souvent très coûteuses lorsqu"elles sont détectées tardivement. Il en est de même pour la planification des postes de travail pour une chaîne de production dans le cas d'une usine numérique.
Les premiers mannequins numériques sont apparus dans les années 1960, et les premiers logiciels commercialisés vers la fin des années 1980. Le comité G-13 (Digital Human Technologies and Standards) de la Society of Automotive Engineering (SAE) organise depuis 1998 une conférence annuelle consacrée à la modélisation numérique de l'homme, Digital Human Modeling, réunissant 100 à 200 participants (chercheurs, éditeurs de logiciel, utilisateurs finaux) donnant ainsi une opportunité aux acteurs de cette technologie d'échanger des avancées sur la modélisation de l'homme pour répondre aux questions posées par l'industrie. La SAE a décidé d'arrêter l'organisation de cet événement en 2009. Une communauté DHM est née, et a pris le relais avec l'aide du comité technique « Human Simulation and Virtual Environments » de l'Association internationale d'ergonomie (IEA). La première conférence DHM a été organisée par l'IFSTTAR à Lyon en 2011.
Des progrès considérables ont été réalisés au cours de ces dix dernières années notamment dans le domaine de la modélisation anthropométrique et de la modélisation de mouvements, grâce à des projets de recherche de grande envergure. Entre autres, on peut citer le projet CAESAR (Civilian American and European Surface Anthropometry Resource) qui a scanné environ 2 500 Américains et 2 500 Européens permettant ainsi de disposer d'une grande quantité de données anthropométriques en trois dimensions. Plusieurs consortiums de recherche se sont également formés pour résoudre le problème du manque de données biomécaniques et pour faire avancer la technologie de simulation par mannequin numérique en Europe, aux États-Unis et au Japon :
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HUMOSIM (HUman MOtion SIMulation) de l'Université de Michigan, depuis 1998. Ce consortium, formé de plusieurs partenaires industriels, développe essentiellement une approche basée sur des données pour simuler des mouvements. Une grande quantité de mouvements a ainsi été récoltée ;
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les projets européens REALMAN (2001-2004) et puis DHErgo (2008-2011). Les deux consortiums réunissent des industries automobiles (Renault, PSA, BMW) et aérospatiales (Alenia), des universités (U. Technique de Munich, U. de Patras, U. libre de Bruxelles), des centres de recherche (IFSTTAR, CEIT) et des éditeurs de logiciels (Human Solutions, ESI). Une des avancées les plus significatives est d'avoir développé des concepts et des algorithmes de simulation de mouvements complexes aptes à prendre en compte de multiples contraintes imposées au mouvement. Bien que l'approche soit basée sur des données, des connaissances sous forme de règles de contrôle de mouvement et des contraintes dynamiques sont introduites, ce qui permet de dépasser le périmètre expérimental des données lors de la simulation ;
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Virtual Soldier Research program de l'Université d'Iowa, depuis 2003. Ce programme de recherche a reçu d'importants soutiens financiers, notamment de l'armée américaine. Il vise à développer des humains virtuels capables de tester de futurs équipements civils et militaires. À la différence de HUMOSIM, REALMAN et DHErgo, ce programme privilégie le développement de modèles physiques (en opposition à l'approche basée sur des données) pour prédire le mouvement et la performance humaine ;
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Digital Human Research Center, Japan National Institute of Advanced Industrial Science and Technology (AIST), créé en 2003, a pour objectif de développer et promouvoir la technologie de la simulation par mannequin numérique au Japon.
Dans cet article, après un court rappel des fonctionnalités souhaitées du mannequin numérique, les avancées récentes et les principaux défis sur la technologie du mannequin numérique sont présentés, notamment sur la génération des mannequins représentatifs, la simulation de posture et de mouvement, et l'évaluation ergonomique.