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Décryptage

« Il y a comme une impression, pour les riverains, d’arriver toujours trop tard »

Posté le par La rédaction dans Environnement

Interview [Raymon Bozier, RESPIRE]

Raymond Bozier a créé l'association RESPIRE afin de regrouper les riverains désireux d'obtenir des informations quand au risque réel pour les habitations proches de sites SEVESO. Il nous explique les difficultés inhérentes à ce type de démarche.

Instantanés Techniques : Présentez-nous l’association RESPIRE.

Raymond Bozier : Respire (Rassemblement d’ Eco-citoyen pour Sensibiliser Protéger et Inciter au Respect de leur Environnement) a été constituée par des habitants en septembre 2009, à la suite d’une longue période de pollution de l’air par d’intenses odeurs d’hydrocarbures. Elle compte aujourd’hui plus de 350 adhérents et poursuit son développement.

Les habitants ont décidé de créer cette association suite à une pollution de l’air dans votre quartier de La Rochelle.

Les quartiers de Laleu/La Pallice sont cernés par une zone agro-industrialo-portuaire, et c’est à partir d’une nuisance, en l’occurrence une gêne au niveau de la qualité de l’air, que tout est parti. Cette pollution de l’air était due au défaut de fonctionnement d’une cuve d’hydrocarbure. Pour l’anecdote, il nous faudra presqu’une année et beaucoup d’insistance  avant de savoir ce qui s’était exactement passé. L’exemple des quartiers de Laleu/ La Pallice, à La Rochelle, est emblématique de ce qui peut se passer, du côté des citoyens, lorsqu’ils sont confrontés à des incidents industriels.

 

Que s’est-il passé ?

Quelques habitants se sont regroupés et ont cherché à comprendre les causes de la pollution. Une pétition des courriers recommandés – restés sans réponses ! – ont été envoyés au député-maire de la commune et au préfet. C’est la première chose à souligner : les riverains que nous sommes n’avaient pas d’informations sur ce qui se passait dans notre voisinage, et spécialement au niveau industrialo-portuaire. En outre, notre secteur est cerné par des entreprises dangereuses classées Seveso seuil haut : Rhodia, Gratecap, SDLP, Picoty, ainsi que d’autres entreprises classées ICPE. C’est en nous intéressant au contexte que nous avons découvert toute une problématique économique et sécuritaire. D’autre part, nous avons également appris à cette occasion, à notre grande stupeur, que la société PICOTY SA, gérante des stations-service Avia pour le grand Sud, avait obtenu dès décembre 2008 un permis de construire quatre cuves supplémentaires, soit 43 000m3 sur un site venu jouxter l’habitat dans les années 1974/1989 et fort déjà du stockage de 450 000 m3 d’hydrocarbures ! Les informations relatives à ces sites n’avaient pas été données aux habitants proches, comme elles auraient dû l’être. Les riverains en manque d’informations, ont été alors contraints de démarcher les pouvoirs publics pour apprendre ce qui les concernait au premier chef. C’est donc grâce à cet « incident » – la pollution de l’air -, que les habitants ont pu avoir les informations relatives à de nouvelles constructions (cuves d’hydrocarbure, usine de broyage de ciment, cuves d’engrais liquide…), et ainsi prendre  vraiment conscience qu’ils habitaient à côté de sites classés à risque. Depuis la découverte des dangers encourus et des conséquences du PPRT en terme immobilier, certains riverains dorment mal et s’inquiètent beaucoup quant à leur devenir.

Vous évoquez la « prise de conscience » par les riverains des dangers relatifs à la présence d’un site Seveso dans votre voisinage. Cela signifie que vous n’aviez pas d’informations relatives  à ce sujet auparavant ?

C’est tout le problème. Au niveau des responsabilités, la préfecture avec l’appui de la DREAL et de la DDTM, la communauté d’agglomération et la mairie, s’accordent avec les industriels pour appliquer et faire respecter les lois. Au-delà, par contre, il y a très peu de communication des pouvoirs publics  (préfecture et mairie) et des industriels, en direction des riverains. C’est pour cela que nous avons créé l’association RESPIRE : pour faire entendre nos voix et obtenir des réponses aux questions de sécurité et d’environnement que nous nous posons légitimement.

Quelles réponses avez-vous obtenues ?

Hormis un représentant du comité de quartier, très peu représentatif de la population et siégeant au CLIC, la grande masse des citoyens, et tout particulièrement les riverains,  était exclue  des discussions. Les choses se faisaient en dehors de tout vrai débat citoyen. C’est un des grands défauts de la situation actuelle et notamment du débat sur les PPRT et les sites Seveso  :  il faut absolument que les pouvoirs publics trouvent le moyen d’impliquer vraiment les citoyens, pour qu’ils sachent ce qui se passe à proximité de chez eux. Le mécontentement des habitants de Laleu/La Pallice est dû au fait qu’ils ont découvert la réalité de la situation très tard, trop tard pourrait-on même dire. Si personne n’avait demandé à savoir ce qui se passait, les riverains du site PICOTY SA, par exemple, auraient découvert, comme en 1989, la construction de nouvelles cuves le jour où elles seraient sorties de terre. On appelle ça la politique du fait accompli. Il y a comme une impression, pour les riverains, d’arriver toujours trop tard, tant en ce qui concerne le risque que le développement industriel proprement dit…  Il faut cesser de prendre les citoyens pour des acteurs secondaires, pour ne pas dire des incompétents.

Qui est responsable de cette situation ?

Il ne s’agit pas d’instruire un procès historique, mais dans les années 60/70, l’industrialisation de la France était un fait acquis, pour créer des bassins d’emplois, une dynamique d’activité…  Nous n’en sommes plus là aujourd’hui. Certes la question de l’industrialisation se pose toujours, et les adhérents de RESPIRE n’y sont pas opposés, mais celle-ci ne saurait se faire n’importe comment et sans tenir compte de la population. Et puis, surtout, il y a eu la création des sites Seveso et d’autres accidents majeurs : l’explosion de l’usine AZF étant le dernier exemple en date. Ces accidents tragiques de grande envergure et avec des coûts humain et économique considérables, sont dans les consciences. Les populations ne peuvent plus faire comme si elles ne savaient pas.

Revenons sur l’action que vous menez quant à l’installation des cuves d’hydrocarbures près des habitations dans le quartier de La Pallice. Quels sont vos griefs ?

Comment ce triumvirat « État – collectivités locales – industriels » a-t-il pu laisser construire des cuves à proximité des maisons d’habitation, sans prendre en compte les risques inhérents à la nature des matériaux contenus dans ces cuves ? Il est  incompréhensible que des gens élus démocratiquement, que ce soit au niveau local ou plus, n’informent pas la population quand des décisions d’extension de sites ou de délivrance de permis de construire à des industries à risques sont actées. Cela crée du ressentiment de la part des citoyens à l’égard des élus et du préfet, ce qui est très dommageable pour la démocratie. Il faut que les pouvoirs existant apprennent à informer et également à tenir compte de l’avis du peuple, autant que des industriels. J’insiste sur le « tenir compte de l’avis des citoyens » parce que les instances de concertation et de décision qui existent sont bien souvent composées de telle sorte que cet avis n’a que très peu de poids… On désencombrerait significativement les tribunaux administratifs si la démocratie fonctionnait mieux dans notre pays.

Est-ce que la mobilisation, au sein de votre association, éveille les consciences ?

En plaçant le débat sur la place publique et grâce aussi à sa bonne médiatisation, l’association RESPIRE a permis une véritable prise de conscience des problèmes par la population, et cela bien au-delà des quartiers de Laleu/La Pallice. Le paradoxe, c’est qu’on s’aperçoit que les gens ne sont  pas indifférents à ces sujets dès lors où on les en informe. Mais il faut aussi qu’ils créent leur association pour pouvoir accéder pleinement aux informations les concernant. C’est cela qui ne va pas du tout. Le fait de ne pas être associés, en tant que citoyens, aux débats préalables, dans ce genre de situation, est comparable à une double peine : tout d’abord, comme nous venons de l’évoquer, il y a un manque d’information, qui nous pénalise. Mais au-delà, quand nous sommes finalement conviés aux réunions entre les parties prenantes, le décalage est trop important en terme de connaissances – juridiques, scientifiques, administratives, techniques  – entre le triumvirat Etat/élus/industriels, et les représentants de l’association qui se voient contraints de faire des efforts considérables pour essayer de maîtriser les dossiers (RESPIRE a organisé dernièrement, avec l’aide de France Nature Environnement, un stage de formation sur le risque industriel). D’autre part, nous nous retrouvons parfois à poser des questions  qui ont déjà été discutées en amont, cela rend les débats souvent peu productifs. Au final, nous avons l’impression d’être exclus du débat, même quand nous parvenons à y participer.
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Cela créé-t-il des tensions au niveau local ?

Nous sommes obligés d’entrer dans un rapport de force (protestations, diffusions de tracts, manifestations médiatisées) avec le triumvirat Etat/Elus/Industriels pour être entendus. Souvent d’ailleurs, cela ne suffit pas et nous sommes alors, en dernier recours, contraints de faire appel au tribunal. Dans un pays démocratique, cela est plutôt décevant.  Au niveau des pouvoirs publics, les relations deviennent souvent compliquées après ce type d’actions. Nous sommes accusés de vouloir désindustrialiser la région, d’être contre le progrès, de ne pas vouloir sortir de la crise, de nuire à l’emploi et, comble du ridicule argumentaire, de n’être qu’un « ramassis de bobos » !… alors que les préoccupations qui sont les nôtres sont celles du risque industriel pour les populations de proximité. Nous avons été très étonnés par l’utilisation de ces types d’arguments…

Quels sont les avantages relatifs à la constituions d’associations dans ce type de démarches ?

C’est d’abord le seul moyen que nous avons trouvé pour être un tant soit peu écoutés. Ensuite, les adhérents de  l’association viennent de milieux professionnels très différents et amènent donc des compétences qui nous permettent de mieux appréhender la complexité des débats. Ce qui est intéressant, c’est que depuis la création de notre association nous ont rejoint des médecins, des ingénieurs, des techniciens, bref toute une population active et qualifiée, qui avaient des compétences sur ces sujets et des avis divergents de ceux du triumvirat, mais n’avaient pas de moyens de les faire valoir. De cette façon, on peut considérer que les choses avancent dans le bon sens, puisque la société civile a décidé de s’organiser et de faire valoir son point de vue quant au danger industriel existant sur ces sites sensibles.

Cela reste toutefois insuffisant. Nous ne pouvons pas prétendre aujourd’hui que nous sommes écartés du débat, mais cela étant dit personne ne nous accompagne dans notre démarche pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ces problématiques Seveso très complexes. Il n’y a qu’à voir de quelle manière la population, ici, est désormais attentive à tout ce qui touche à Seveso pour comprendre à quel point le manque d’information était patent auparavant. Les personnes informées sont désormais plus vigilantes et plus mobilisées.
Enfin, et c’est un point éminemment positif, les actions que nous avons mené au sein de la cité ont créé du lien social. La notion de solidarité entre des gens de milieu très divers (ouvriers, employés, cadres, chômeurs, retraités…) a beaucoup progressé, ici, dans nos quartiers. Nous ne nous en plaignons pas…
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Propos recuillis par Pierre Thouverez

 

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