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De la lumière pour ralentir la maladie de Parkinson

Interview

De la lumière pour ralentir la maladie de Parkinson

Posté le par Séverine Fontaine dans Chimie et Biotech

Une équipe du CEA a mis au point un implant pour ralentir la progression de la maladie de Parkinson. Grâce à la lumière, il permet de maintenir « en vie » les neurones dopaminergiques des substances noires dont la perte cause les symptômes de Parkinson.

Plus de 8 millions de personnes sont atteintes de la maladie de Parkinson dans le monde. Et ce chiffre augmente chaque année. En 2020, selon Santé Publique France, ce sont 26 000 nouveaux cas qui ont été diagnostiqués en France. Aujourd’hui, seuls les symptômes sont traités. En d’autres termes, la maladie continue de progresser chez les personnes atteintes jusqu’à leur faire perdre peu à peu leurs fonctions motrices.

Pour faire ralentir la progression de la maladie, une équipe du CEA a mis au point un implant qui consiste à illuminer les neurones afin de ralentir leur dégénérescence. Un essai clinique, mené avec le professeur Stephan Chabardès du CHU de Grenoble, est en cours. Le projet est accompagné par plusieurs financeurs, dont le Fonds de dotation Clinatec et l’entreprise Boston Scientific. Pour comprendre comment il fonctionne et les résultats espérés, nous avons interrogé Cécile Moro, directrice de recherche au CEA et cheffe du projet NIR, pour « near infra-red », de traitement de la maladie de Parkinson.

Techniques de l’ingénieur : D’où vous est venue l’idée de traiter Parkinson par la lumière ?

 

Cécile Moro, CEA
Cécile Moro – Crédit CEA

Cécile Moro : La lumière a une interaction avec les tissus biologiques. Nous le savons depuis 1967, lorsque le chercheur André Mester s’est rendu compte que des rats opérés du cancer cicatrisaient plus vite lorsqu’il illuminait la région opérée. C’était la première observation. Ensuite, John Mitrofanis, de l’Université de Sydney, spécialiste de la photobiomodulation, s’est intéressé à ces questions. Ce chercheur est une connaissance du Pr Alim-Louis Benabid, co-fondateur de Clinatec et inventeur de la simulation cérébrale profonde (DBS), un traitement de certains malades de Parkinson.

Ils se sont dit : pourquoi ne pas tester la lumière dans le cerveau ? Le problème : si la lumière est émise à l’extérieur du crâne, il y a une telle absorption par les tissus que la lumière n’arrive pas à atteindre sa cible, située à peu près au milieu du cerveau. En 2010, John Mitrofanis a fait une première étude sur un modèle de souris parkinsoniennes. Et en 2011, nous avons reproduit les résultats sur d’autres modèles. Nous voulions que les neurones qui dégénèrent dans la maladie de Parkinson le fassent moins vite, voire arrêtent complètement. Ce qui serait le Graal…

C’est votre objectif ?

Notre objectif est de ralentir la perte des neurones dopaminergiques afin de retarder le développement de la maladie et de ses symptômes. En fait, Parkinson est une maladie qui arrive majoritairement dans la seconde moitié de vie d’une personne. La maladie de Parkinson, si je simplifie, est un problème de perte de neurones dopaminergiques qui produisent de la dopamine, un neurotransmetteur d’intérêt. Quand on n’a plus ces neurones, on n’a plus de dopamine et c’est là que le fonctionnement normal du cerveau ne se fait plus correctement.

Quand la maladie est détectée, elle est déjà là depuis de nombreuses années et les personnes ont déjà perdu 60 à 70 % des neurones concernés. Ce qui signifie que les 30 % suffisent pour que notre corps fonctionne correctement. Il y a quelques effets (tremblements, etc.) gênants, mais pas bloquants pour continuer de vivre. Mais lorsque la maladie continue d’évoluer jusqu’à la quasi-disparition des neurones dopaminergiques, il y a des symptômes moteurs qui gênent les personnes pour travailler. C’est aussi très lourd pour leur entourage, car les personnes touchées ont besoin de beaucoup d’aide. Si on ralentit cette maladie, on peut imaginer les gens arriver en fin de vie avec des symptômes moteurs modérés. Et donc poursuivre leur vie dans de meilleures conditions.

Et donc vous faites cela avec un implant qui envoie de la lumière… pouvez-vous nous en dire plus ?

CLINATEC - implant - batterie
L’implant est composé d’une batterie / simulateur, d’un module optique et d’une fibre optique. © P. Jayet/CEA

Oui, c’est un dispositif composé de trois parties : une batterie/simulateur, un module optique qui convertit l’énergie électrique en lumière, et une fibre optique qui va descendre à l’intérieur du cerveau, à proximité des substances noires qui sont des régions cérébrales où les neurones dopaminergiques meurent dans la maladie de Parkinson. Le CEA a fait toute l’intégration des trois briques technologiques pour obtenir un objet fonctionnel et qualifié.

C’est une technologie invasive, mais qui nécessite une intervention moyennement invasive pour un neurochirurgien. La partie batterie/simulateur se situe sous la clavicule. Les câbles sont également passés sous la peau. On réalise une trépanation pour mettre à la place de l’os le boîtier optique, d’où sort une fibre optique introduite dans le cerveau. La fibre optique va principalement descendre dans les ventricules du cerveau, sans léser de tissus. On arrive à quelques millimètres de la zone à protéger. On est dans un couloir naturel, donc c’est bien moins invasif que traverser uniquement du tissu cérébral.

Et donc la lumière maintient les neurones ?

Le mécanisme d’action n’est pas complètement connu, loin de là. Ce que l’on sait, c’est que la lumière stimule les mitochondries, des petits organites dans les cellules qui fournissent de l’énergie. La molécule d’énergie des cellules s’appelle de l’ATP. Et la lumière booste le fonctionnement du cytochrome C oxydase, un ensemble de protéines situé au niveau de la mitochondrie qui fabrique de l’ATP. Il y a probablement d’autres mécanismes qui sont en jeu, mais on ne les connaît pas encore. Des équipes travaillent dessus. On pense qu’en apportant de l’énergie aux cellules, elles résistent mieux au stress, donc meurent moins. Et comme elles meurent moins, la maladie évolue moins vite.

Est-ce que vous êtes les seuls dans le monde à travailler là-dessus ?

Il y a plusieurs équipes dans le monde qui travaillent en photobiomodulation, l’effet de la lumière sur les tissus. Par contre, à notre connaissance, nous sommes les seuls à le faire à l’aide d’un dispositif implanté.

Vous avez un essai clinique en cours, quels sont les objectifs ?

L’essai clinique a débuté en 2021. À ce jour, nous avons trois patients implantés sur les sept à terme. L’objectif de l’essai clinique est de vérifier la faisabilité et la sécurité de cette approche thérapeutique. Mais nous aurons aussi une première évaluation de l’efficacité de notre approche « traitement par la lumière ». Nous suivons nos patients pendant quatre ans pour voir comment évolue la maladie et notamment les neurones dopaminergiques. On est capable par des techniques d’imagerie de les quantifier, de regarder comment ces neurones évoluent.

implant - CEA
Une équipe du CEA a développé un implant pour ralentir les symptômes de la maladie de Parkinson. © CEA

Le premier patient a deux ans de recul à ce jour et pour l’instant ça va bien. On ne s’engage pas sur les résultats thérapeutiques, mais d’un point de vue faisabilité, on y arrive très bien et le patient n’a pas d’effet secondaire pour le moment. Nous aurons le résultat de l’ensemble de l’essai clinique quatre ans après l’implantation du dernier patient, soit vers 2028. Si les résultats sont bons et qu’il y a bien une protection des neurones concernés, il serait souhaitable d’aller vers un essai plus large. Et dans 10 ou 15 ans, on peut espérer que le dispositif sera disponible pour les patients.

Avant la création de l’implant, quelles étaient les étapes ?

On a fait de la simulation pour regarder comment se propage la lumière, comment elle est absorbée par les différentes structures du cerveau pour avoir une estimation de la dose de lumière reçue pour les tissus modèles parkinsoniens. Nous avons réalisé des tests techniques de fonctionnement de l’implant (en vérifiant par exemple qu’il n’y ait pas d’échauffement au niveau des tissus illuminés), ainsi que des tests réglementaires.

En termes de fonctionnement, est-ce qu’il est programmé ou contrôlé à distance ?

L’implant est contrôlé par le stimulateur. Nous choisissons le profil d’illumination lorsque nous nous connectons à l’implant via une antenne adéquate lors de la chirurgie et à chaque visite de contrôle. Ensuite, le patient doit recharger régulièrement sa batterie, avec un chargeur par induction au niveau de la clavicule.

Faites-vous des tests différents selon les patients ?

Nous savons ce que nous voulons envoyer en termes de lumière et fréquence. À chaque visite du patient, on interroge le boîtier du patient et on est capable de voir comment le boîtier a fonctionné sur les mois passés : est-ce que l’illumination est bien faite, est-ce que la quantité est bonne, comment le patient s’est rechargé, etc. Car s’il ne recharge pas par exemple, il n’y a pas de traitement. Et quand nos patients viennent sur place, on réalise des tests plus spécifiques pour s’assurer que l’implant fonctionne bien.

Et pour voir si ça fonctionne sur les neurones ?

Nous faisons des tests neurologiques, pour évaluer la maladie. Nous ajoutons des tests de marche et de mobilité plus fines au niveau des mains, des pieds. Cela nous donne les symptômes, mais pas le ralentissement de la maladie. Pour voir si la maladie ralentit, on leur fait un PET-SCAN, de l’imagerie dopaminergique, une fois par an.

Pour pouvoir avancer dans vos recherches et réaliser cet implant, vous avez reçu des financements…

Oui, et c’est très important pour des projets de rupture et pionniers d’avoir des financeurs qui nous font confiance afin d’aller chercher d’autres fonds ensuite. Car il y a 12 ans, au commencement, peu de gens y croyaient ! Nous avons eu la chance d’être soutenus par le CEA et d’autres financements. Grâce à cela, nous avons pu réaliser une preuve de concept qui nous a permis d’aller chercher d’autres fonds auprès de fondations et de mécènes. Puis un industriel, en voyant nos résultats avancés, a osé y croire.

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Posté le par Séverine Fontaine


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