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Décryptage

IA générative et ingénierie : une révolution passée au crible du think tank Arts & Métiers

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Informatique et Numérique

Une transformation rapide, profonde, et qui bouleverse – pour le meilleur – les métiers de l’ingénierie. Voilà, en substance, comment un rapport récemment dévoilé par le think tank Arts & Métiers décrit ce qui s’apparente à une véritable révolution : l’intégration toujours plus large et plus poussée des outils d’IA générative dans la pratique professionnelle quotidienne des ingénieurs.

« Bienvenue dans l’ère de l’ingénierie générative ! » C’est par ces mots qu’André-Benoit de Jaegere a entamé, le 16 juin dernier, son intervention au pupitre de la salle La Rochefoucauld, à l’Hôtel des Arts & métiers, dans le XVIe art de Paris. En ces lieux, où siège depuis 1925 la société des ingénieurs Arts & Métiers, se tenait ce soir-là un évènement coorganisé par l’association à l’occasion de la publication d’un rapport intitulé « Comment l’IA révolutionne les métiers d’ingénieur : l’essor de l’ingénierie générative ». Une publication inédite dont l’orateur sus-cité – ingénieur diplômé de l’École Centrale des Arts et Manufactures, et actuel executive senior adviser chez Capgemini Invent – n’est autre que l’un des co-auteurs.

« La conclusion de notre rapport à la question “Est-ce que l’IA générative est en train de changer les choses [dans le domaine de l’ingénierie] ?” est oui : elle est en train de se déployer, certes à bas bruit, mais massivement », avance d’emblée le co-rédacteur de ce document, publié par le Think Tank Arts & Métiers en partenariat avec la Société des ingénieurs Arts & Métiers et l’École nationale supérieure des Arts & Métiers (ENSAM).

L’ère de l’ingénierie générative
Pour André-Benoit de Jaegere, nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère de l’ingénierie générative. © Think Tank Arts & Métiers

Basée sur une revue de littérature menée – grâce à l’IA – sur pas moins de 740 documents, couvrant sept domaines clés[1] de l’ingénierie, la publication balaie sur près de quatre-vingts pages les impacts concrets de l’IA générative dans le secteur. « Lintégration de l’IA générative dans les processus d’ingénierie est déjà une réalité tangible qui bouleverse les repères établis dans les métiers de l’ingénieur », souligne un communiqué publié à l’occasion de la sortie de ce rapport. Un bouleversement d’autant plus grand qu’il s’est opéré en l’espace de quelques années seulement. « Nous avons vécu, au cours des dix-huit mois qu’a duré cette étude, une accélération qui nous a vraiment saisis ! », confie d’ailleurs André-Benoit de Jaegere, qui pointe notamment la rapide diversification de la typologie de modèles à disposition des ingénieurs.

Aux désormais célèbres LLM (pour large language models, grands modèles de langage) tels que ChatGPT, se sont progressivement ajoutés les LCM – large concept models – et les LQM, pour large quantitative models. « On a aussi vu arriver des modèles hybrides, qui combinent générativité et calcul scientifique, connaissances physiques… », note M. de Jaegere.

Face à ce constat, les auteurs du rapport dévoilé le 16 juin dernier ont imaginé un nouveau terme pour désigner la nouvelle ère dans laquelle nous sommes désormais entrés de plain-pied : celle de l’ingénierie générative.

Le rapport présenté le 16 juin dernier est le fruit d’une revue menée grâce à des outils d’IA
Le rapport présenté le 16 juin dernier est le fruit d’une revue de littérature menée à partir de 740 documents grâce… à des outils d’IA. © Think Tank Arts & Métiers

Un véritable saut technologique

« Historiquement, on avait déjà vu émerger le concept de design génératif, ou de conception générative, suite au développement des technologies CAD/CAM, pour computer-aided design et computer-aided manufacturing », concède M. de Jaegere. Mais l’essor des modèles d’IA générative pousse désormais le curseur bien plus loin, et ce sur trois grands axes, autour desquels est justement organisé le rapport présenté à la mi-juin : débridage des capacités d’optimisation, transformation des industries par les jumeaux numériques, et aide à la résolution de problèmes complexes. Un dernier axe qui découle notamment d’une autre tendance de fond dans le – vaste – champ de l’intelligence artificielle : l’émergence de « l’agentique », autrement dit, d’agents « intelligents », autonomes et proactifs. « L’agentic AI représente une nouvelle rupture majeure : elle ne se limite plus au fait de répondre aux requêtes, mais agit de manière proactive pour atteindre des objectifs définis », expliquent les auteurs du rapport (lire page 16). Outre la démultiplication des capacités d’optimisation et l’essor du jumeau numérique, ce développement des agents d’IA constitue ainsi, selon M. de Jaegere, « un troisième chemin vers le futur ». Un chemin pavé d’IA, dont l’aboutissement restait toutefois à définir plus en détail : avenir radieux ou horizon funeste pour l’ingénieur ?

Des réponses à des questions de fond

« Ce rapport nous a fait réfléchir, nous a fait nous poser beaucoup de questions », confie à son tour un autre orateur de la soirée du 16 juin, Stéphane Lapujoulade, secrétaire général du think tank Arts & Métiers. « Évolution ou révolution ? Ingénieur augmenté ou ingénieur remplacé ? Fuite en avant ou solution aux défis ? », a-t-il égrené.

Pour le premier de ces trois points, celui qui est par ailleurs président du cabinet de conseil Valprev penche effectivement en faveur du terme de « révolution », en apportant, toutefois, une nuance : « Il y a des professions pour lesquelles l’arrivée de l’IA constitue un choc exogène. Pour nous, les ingénieurs, le choc est moindre, notamment parce que nous avons les moyens de comprendre et de mettre les mains dans le moteur de ces boîtes noires que sont les modèles d’IA, en en ouvrant le capot ».

Pour ce qui est de la deuxième des questions énumérées plus haut – ingénieur augmenté ou ingénieur remplacé ? – Stéphane Lapujoulade tranche le débat en une formule : « L’IA ne va pas remplacer les ingénieurs, mais ce qui est sûr, c’est que les ingénieurs qui adoptent l’IA remplaceront ceux qui passent à côté ! ».

Enfin, lorsqu’il s’agit de dire si l’adoption de l’IA par les ingénieurs constitue plutôt une fuite en avant, ou une solution aux défis de notre temps, l’expert se fait là aussi le relais de la vision pour le moins positive élaborée par le groupe de travail à l’origine de la production du rapport : « Nous avons très vite été convaincus que ces formidables capacités d’élaboration, d’exploration, de simulation, rendent l’ingénieur plus libre d’imaginer, de créer et de mettre en œuvre des solutions concrètes, plutôt que de reprendre sans cesse des solutions sur étagère. […] Nous sommes convaincus que [l’IA générative] est le moyen pour l’ingénieur d’avoir un plus fort impact sur la société ».

Des perspectives qui ne pourront toutefois advenir sans que ne soient réunies un certain nombre de « conditions de succès », sur lesquelles André-Benoit de Jaegere a levé le voile en conclusion de son intervention : sobriété et soutenabilité ; transparence des algorithmes et explicabilité des résultats ; mais aussi formation des ingénieurs d’aujourd’hui et de demain. Et l’expert de conclure : « Un vieil ingénieur – Archimède – disait “donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde”[2]… L’ingénierie générative est, je pense, un puissant levier à disposition des ingénieurs pour transformer le monde ».

Ingénierie générative : une table ronde et trois conférences thématiques à découvrir également

Think Tank Arts & Métiers
© Think Tank Arts & Métiers

À la présentation du rapport réalisée le 16 juin dernier a succédé une table ronde, à l’occasion de laquelle trois experts du sujet – Francisco Chinesta, enseignant-chercheur en ingénierie à l’ENSAM ; Loïc Rouiller-Monay, ingénieur en apprentissage automatique chez Iprova ; et Patrick Panciatici, ancien conseiller scientifique chez RTE et chercheur associé au laboratoire des signaux et systèmes (L2S) ; accompagnés de la directrice générale adjointe de l’ENSAM Véronique Favier, également membre du conseil d’orientation du think tank Arts & Métiers – ont pu témoigner et débattre de ces usages grandissants de l’IA générative en ingénierie. Une table ronde à (re)voir en ligne, à partir de la 34e minute de la vidéo.

Pour prolonger les débats entamés le 16 juin, et approfondir la réflexion autour des impacts de l’IA générative d’un point de vue plus sectoriel, trois webinaires thématiques ont également été diffusés dans les jours qui ont suivi, et sont eux aussi disponibles en replay : l’ingénierie générative dans l’industrie manufacturière ; l’ingénierie générative dans la santé, et l’ingénierie générative dans le BTP et les infrastructures.

[1] Génie électronique informatique télécom (EIT), génie électrique, génie civil, génie industriel et des systèmes, génie chimique-biologique, génie biomédical, génie des matériaux et des molécules.

[2] Citation à l’interprétation souvent erronée.

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


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