Pour optimiser le confort thermique d’un bâtiment tout en minimisant son empreinte carbone, de nombreuses solutions existent : installation de brise-soleil et de vitrages à faible émissivité, renforcement de l’isolation, ou encore mise en œuvre d’un système de rafraîchissement non conventionnel… Autant d’options dont les effets – seuls, mais aussi combinés – doivent toutefois être étudiés précisément en amont pour pouvoir faire les bons choix. Un impératif auquel l’ingénierie augmentée permet de répondre.
Une initiative Syntec-Ingénierie
Au travers d’une série de capsules vidéos intitulée « L’ingénierie augmentée au service du climat », la fédération professionnelle Syntec-Ingénierie – 400 entreprises adhérentes et 13 délégations régionales – a choisi de mettre en avant quatre initiatives portées par des entreprises du secteur, reposant sur l’utilisation du numérique pour simuler des scénarios, anticiper les impacts environnementaux, et concevoir des bâtiments à l’empreinte carbone réduite. Ceci, en donnant directement la parole à des ingénieur(e)s du secteur du bâtiment, afin d’illustrer le rôle de l’ingénierie pour accélérer la transition écologique et énergétique. Nous avons pu revenir en détail avec les adhérents de la fédération porteurs de ces projets, sur les tenants et aboutissants de leur travail. Pour le premier de ces quatre entretiens, rencontre avec Systra France.
En charge de différents lots techniques d’un vaste projet de construction combinant usages industriels et tertiaires, l’ingénieur spécialisé en fluides et énergies chez Systra France, Mohammed Mehdi Moumtaji, a fait appel à un logiciel de simulation thermique dynamique pour étudier les effets de différentes solutions de rafraîchissement plus vertueuses que la climatisation conventionnelle. Grâce à son puissant moteur de calcul, cet outil lui a permis de modéliser en conditions réelles le comportement thermique du bâtiment en question, comme il l’évoque dans la vidéo publiée par Syntec-Ingénierie. De quoi démontrer l’efficacité des solutions envisagées, comme nous l’explique l’expert, qui a accepté de revenir plus en détail pour Techniques de l’Ingénieur sur ce travail « d’ingénierie augmentée » au service du climat, mais aussi du confort thermique des usagers.
Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous tout d’abord nous présenter en quelques points clés le projet sur lequel vous êtes intervenu en tant qu’expert en fluides et énergies ?

Mohammed Mehdi Moumtaji : Il s’agit du projet de construction du centre de remisage et de maintenance de la ligne T10 du tramway lyonnais. Ce centre se compose de plusieurs bâtiments : le bâtiment principal – un hall de maintenance de 2 600 m2 – ; un bâtiment administratif, qui abrite bureaux, salles de réunion, restaurant… répartis sur deux niveaux pour une surface totale d’environ 1 600 m2 ; un bâtiment dans lequel se trouve la station-service et de lavage des tramways ; ainsi que des bâtiments annexes, dédiés aux installations électriques, de signalisation et de sécurité. À cela s’ajoute aussi une zone de remisage étendue sur 10 000 m2 environ. L’essentiel des enjeux en matière énergétique étaient concentrés autour du bâtiment principal, le centre de maintenance, et la partie administrative qui lui est accolée.
Ce projet est caractérisé par une forte ambition écologique globale. Cela s’est notamment traduit par la mise en œuvre de plusieurs solutions techniques durables, à commencer par le raccordement au réseau de chaleur urbain, alimenté à hauteur de 64 % par des énergies renouvelables. À cela s’ajoutent 2 600 m2 de panneaux photovoltaïques en toiture, ainsi que des panneaux solaires thermiques destinés à la production d’eau chaude sanitaire.
Au-delà de ces solutions liées à l’énergie, une installation de récupération des eaux pluviales a également été mise en place, pour permettre le lavage des tramways notamment.
Quelles étaient vos missions dans le cadre de ce projet ?
En tant qu’expert en fluides et énergies, j’ai été amené à gérer plusieurs lots et sous-lots techniques : la partie thermique du bâtiment – cadrée par les réglementations RT2012 et RE2020 – et la CVC[1], au travers des équipements de traitement d’air et de chauffage. En fonction de l’exigence des réglementations thermiques, j’ai fait en sorte de trouver des solutions adaptées.
L’autre grand axe de travail auquel j’ai contribué concernait la plomberie et les fluides spéciaux, avec un angle plutôt « process », qui laisse cependant moins de marge de manœuvre sur le plan des économies d’énergie et de la réduction de l’empreinte carbone.
Les principaux leviers d’amélioration sur le plan énergétique sur lesquels j’ai pu agir dans le cadre de ce projet ont donc plutôt été ceux de la climatisation, de la ventilation, du chauffage et de l’eau chaude sanitaire.
Mes collègues et moi-même avons rédigé des guides d’aide à la décision dans lesquels nous avons présenté plusieurs solutions, accompagnées de l’investissement qu’elles impliquent, mais aussi d’une évaluation du retour sur investissement à long terme. Ce qui a naturellement permis d’appuyer les choix techniques orientés vers la transition écologique.
Vous avez, pour cela, fait appel à un outil de simulation numérique. Pourquoi, et comment l’avez-vous utilisé ?
Nous avons commencé par évaluer les effets et les bénéfices de solutions dont le choix repose avant tout sur des aspects réglementaires : isolation renforcée, brise-soleil et toiture végétalisée. Sur la partie confort estival du bâtiment administratif notamment, la RE2020 est très exigeante. Si elle n’interdit pas la mise en place d’un système de climatisation, elle implique en effet avant tout l’évaluation des performances de l’enveloppe thermique d’un bâtiment. Cela nous a donc donné une ligne directrice pour établir des scénarios de base.
Pour aller au-delà de ces aspects qui découlent directement de la réglementation, et pousser plus loin l’étude, nous avons réalisé ce que l’on appelle une simulation thermique dynamique. Nous avons pour cela utilisé un logiciel spécialisé qui s’appelle Virtual Environment, qui nous a permis d’établir des scénarios réels d’usage, à partir, notamment, de données météo représentatives de l’évolution à venir du climat. Il s’agit d’un moteur de calcul très puissant, qui combine différents algorithmes permettant de traiter des données interdépendantes. Cet outil nous fournit aussi des lignes de redressement, qui nous permettent de redresser au fil de la modélisation nos données d’entrée. Nous avons intégré dans cet outil toutes les solutions de base que j’évoquais.
À quels résultats, et à quels constats cet outil numérique vous a-t-il permis d’aboutir ?
L’un des premiers constats que nous avons dressés est que la mise en place de brise-soleil est quasi incontournable. Grâce à la simulation, nous avons en effet pu observer l’énorme différence que cette solution engendre, a fortiori en période de canicule. Et ce, même en ayant choisi, au préalable, des vitrages très performants. Nous avons d’ailleurs aussi joué, dans le cadre de ce travail de simulation, sur l’équilibre entre facteur solaire des vitrages et transmission lumineuse : l’idée était de trouver le meilleur compromis entre luminosité et protection contre la chaleur du rayonnement solaire. S’il est insuffisant, l’apport de lumière naturelle affecte en effet la consommation d’énergie primaire, en augmentant le recours à l’éclairage artificiel.
Outre les brise-soleil, nous avons évalué d’autres solutions techniques grâce à notre outil de simulation thermique dynamique, telles que la ventilation nocturne, le rafraîchissement naturel via les ouvrants, notamment pour l’atelier, qui dispose en effet de sheds dotés d’ouvrants de désenfumage utilisables également pour aérer les lieux en fonction des besoins réels, grâce à un asservissement à une station météo dotée de capteurs intérieurs et extérieurs.
Enfin, pour assurer le confort thermique estival, nous avons également intégré à la simulation non pas une solution de climatisation conventionnelle, mais un système de rafraîchissement adiabatique. Dans le cas de l’atelier notamment – à la fois haut de plafond et très étendu en surface – il est en effet tout simplement inenvisageable de mettre en œuvre la climatisation, tant les volumes d’air à rafraîchir sont importants. Et plus largement, il y a un vrai intérêt à miser sur des techniques de ce type, permettant d’assurer un confort estival sans pour autant recourir à la climatisation, qui peut en effet se révéler coûteuse de par sa consommation énergétique et générer par la même occasion une empreinte carbone non négligeable.

Ce n’est ainsi pas le premier projet dans le cadre duquel nous mettons en œuvre cette solution de rafraîchissement adiabatique. Nous avons donc déjà du recul sur cette technique, et avons pu établir des recommandations à destination du maître d’ouvrage, en précisant aussi ce que cela implique au niveau de l’investissement initial, et de retour sur investissement.
Dans le cadre de ce travail de simulation, nous nous sommes appuyés à la fois sur des données météo moyennées sur dix ans, des projections à l’horizon 2050, ainsi que des fichiers types représentatifs d’une année de canicule telle que celle de 2003. Cela nous a permis de simuler l’évolution de la température intérieure – et son retentissement sur le confort des occupants des bâtiments, j’y reviendrai – avec ou sans rafraîchissement adiabatique. Nous avons pu observer que cette solution permet de réduire d’environ 8 à 10 °C la température intérieure, par rapport à celle mesurée à l’extérieur, ce qui est tout à fait significatif et montre que la solution rend le bâtiment apte à faire face aux épisodes caniculaires. Il est toutefois à noter que ses effets dépendent de l’humidité ambiante – plus l’air est sec en amont, plus il peut être rafraîchi en aval –, et des débits d’air – qui sont notamment plus importants dans la partie atelier du bâtiment et dépendent aussi de la densité d’occupation des locaux.
Nous avons aussi intégré à notre modélisation deux indices clés en matière de confort thermique : le PMV (Predicted Mean Vote ou Vote Prédit Moyen) et le PPD (Predicted Percent of Dissatisfied ou Pourcent Prédit d’Insatisfaits). Ceci, afin de prendre en compte le côté subjectif du ressenti d’une même température, qui varie en effet selon l’activité de la personne, son métabolisme, son isolement thermique vestimentaire, etc.
À quoi ce travail de simulation numérique a-t-il abouti, très concrètement ?
À l’issue de ce travail, nous avons émis une série de conclusions à destination de la maîtrise d’ouvrage du projet, en soulignant notamment l’effet considérable sur la température intérieure de la combinaison des brise-soleil, de l’isolation renforcée et du rafraîchissement adiabatique, et ce, tant au niveau de l’atelier que des bureaux.
Le projet est aujourd’hui en cours de visa. Nous sommes dans la dernière ligne droite de validation des différents équipements qui seront mis en œuvre. L’exécution des travaux est déjà en cours sur le gros œuvre et certains autres lots. La partie CVC va suivre d’ici peu.
Au-delà de l’exécution du projet en tant que tel, ce travail est aussi l’occasion de mettre en lumière les solutions écologiques qui existent pour faire face aux conséquences du changement climatique. Ce sujet va en effet devenir de plus en plus important dans les années à venir. Il faut donc qu’il puisse être pris en considération par un public de plus en plus large, et pas seulement d’ailleurs par les seuls experts et ingénieurs.
[1] Chauffage, ventilation et climatisation.









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