Symbole de la mode jetable mondialisée, Shein s’appuie principalement, à la différence d’autres géants du secteur, sur des milliers de petits ateliers, un système qui « précarise à l’extrême les travailleurs », explique Gilles Guiheux, sociologue de la Chine.
Sous la pression gouvernementale après le scandale des poupées sexuelles à l’apparence enfantine vendues sur son site, Shein échappe pour l’heure à une suspension en France en se recentrant sur son coeur d’activité : le vêtement à bas prix.
Si l’entreprise, fondée en 2012 en Chine et désormais basée à Singapour, est devenue championne de l’ultra fast fashion, ce n’est pas en inventant un nouveau mode de production mais en poussant « au maximum » un système déjà existant, selon Gilles Guiheux, professeur à l’Université Paris Cité et spécialiste du marché du travail en Chine.
– « Corvéable à merci » –
« Shein est un symptôme d’une partie du capitalisme chinois, un capitalisme associé à des modes de production qui sont à la frange de la légalité et où le travailleur est très peu protégé », développe-t-il.
Industrie territorialisée, le secteur textile est très présent à Canton, dans la province du Guangdong (sud), « une espèce de Mecque du prêt-à-porter de bon marché ».
C’est ici que la marque aux 10.000 sous-traitants fait fabriquer, majoritairement, ses milliers de nouvelles références disponibles chaque jour.
Pour permettre ce catalogue pléthorique, Shein utilise « des petits ateliers de production de type +familiaux+, de 10-20 personnes », relève Gille Guiheux, « dans lesquels la main-d’oeuvre est corvéable à merci ».
– « Pas de contrat » –
Dans ces structures, « il n’y a pas vraiment de contrat de travail ». Le patron « emploie » souvent « des membres de sa propre famille, son épouse, ses enfants » ou des « gens du même village » – beaucoup de ces travailleurs sont des migrants venus de zones rurales à la recherche d’un gagne-pain.
« Ces gens-là sont prêts à accepter les conditions de travail les plus difficiles. Ils sont là pour travailler le plus possible, ils acceptent l’intensité du travail et les heures supplémentaires ».
« Le temps de travail officiel, c’est 40 heures, mais ils sont prêts à travailler jusqu’à minuit et à reprendre le travail le lendemain à 8 heures », selon Gilles Guiheux.
Le modèle de production Shein diffère de celui des autres géants de la mode éphémère, selon le sociologue : « quand vous êtes H&M ou Zara, vous commandez des grandes séries, et donc vous avez besoin de contractualiser avec des grandes entreprises qui sont capables de vous produire » en masse le même produit.
« Ces usines qui produisent pour Zara ou H&M sont soumises à des inspections soit d’organismes internationaux, soit d’agences de certification », poursuit-il. Si ces inspections sont souvent un « jeu de dupe », il y a au moins « dans ces grandes entreprises des salaires au mois et des contrats de travail » ; « là, la législation est plutôt appliquée ».
« Mais ces deux régimes de production ne sont pas étanches, c’est-à-dire que la grande entreprise peut sous-traiter à des petits ateliers », met-il en garde.
Selon Shein, ses fournisseurs ne sont pas exclusifs et travaillent aussi pour d’autres marques. L’entreprise explique dans son rapport RSE que ceux-ci sont soumis à des audits annuels, non annoncés et indépendants. Le groupe dit exiger des fournisseurs qu’ils fournissent un contrat de travail à leurs employés et assure payer les fabricants dans les 30 jours.
– numérisation –
Une autre réalité soulevée par Gilles Guiheux est l’internationalisation de la production textile : « les grandes entreprises chinoises qui, pour partie, sont des sous-traitants de grandes marques globalisées, investissent massivement en Asie du Sud-Est, Cambodge, Vietnam, et en Afrique ».
« Ils délocalisent la partie la plus intensive en main-d’oeuvre, la plus simple de la production, dans des usines hors de Chine », où la main-d’oeuvre et le foncier sont moins chers, continue-t-il.
Face aux accusations d’ONG environnementales ou de défense des droits humains, Shein met en avant son modèle économique de production à la demande pour expliquer ses prix bas.
« Ce qu’ils ont inventé, c’est l’idée qu’il n’y a plus besoin de faire de stocks », relève Gilles Guiheux, parlant d’un « coup de génie » commercial lié à la « digitalisation de l’activité productive ».
Or cette numérisation « accentue la flexibilité du travail et la précarisation des travailleurs puisque, dans ces ateliers familiaux, les gens sont payés à la pièce fabriquée ».
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