Principe
Caractérisée par une capacité à manifester des émotions et à avoir des réactions complexes, la vie animale, soulève, comme la vie humaine, des considérations éthiques et morales. (cf. Le vivant : méthodes de traitement, corps humain… que peut-on breveter ?).
C’est pourquoi, la loi pose des règles spécifiques concernant la brevetabilité des inventions portant sur les animaux. Ainsi, l’article L. 611-19 du Code de la propriété intellectuelle exclut de la brevetabilité :
- les races animales ;
- les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention des animaux, à savoir les procédés faisant exclusivement appel à des phénomènes naturels comme le croisement ou la sélection ainsi que les produits exclusivement obtenus par de tels procédés ;
- les procédés de modification de l’identité génétique des animaux dès lors que ceux-ci sont de nature à provoquer chez l’animal des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés.
Cependant, sont brevetables :
- les inventions portant sur des animaux « si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une race animale déterminée » ;
- les inventions ayant pour objet un procédé technique, notamment microbiologique, ou un produit obtenu par un tel procédé ; est regardé comme un procédé microbiologique tout procédé utilisant ou produisant une matière biologique ou comportant une intervention sur une telle matière.
La Convention sur le brevet européen exclut la brevetabilité des races animales et des procédés essentiellement biologiques d’obtention d’animaux mais non les procédés microbiologiques et produits obtenus par ces procédés. (cf. article 53 b) du CBE). De même, sont susceptibles de protection les inventions ayant pour objet des animaux lorsque la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une race animale déterminée. (cf. Règlement d’exécution de la CBE 2000, règle 27 b)).
Races animales
La difficulté principale pour le demandeur du brevet réside sans doute dans le fait que, contrairement à la « variété végétale » (cf. infra Étape 3), il n’existe pas de définition juridique de la « race animale ».
Partant de la règle selon laquelle toute exception doit être interprétée strictement, les offices interprètent limitativement la notion de « race animale ».
Ainsi, les directives d’examen de l’INPI indiquent que ne sont pas exclues de la brevetabilité :
- une revendication dans laquelle une race animale n’est pas revendiquée individuellement même si cette revendication est susceptible de couvrir des races animales ;
- une revendication portant sur un « genre » animal dès lors que ce genre constitue un taxon de rang supérieur à la « race ».
Cette interprétation stricte de l’exclusion est également pratiquée par l’OEB concernant les demandes de brevets européens.
C’est ainsi par exemple qu’une revendication pourra porter sur un « rongeur » qui, englobant aussi bien les souris que les rats, les écureuils ou encore castors, se situe au-dessus de la « race ». (cf. OEB, ch. Rec., T. 315/03, 6-7-2004, point 12.2.1).
Mise en balance de l’utilité médicale et des souffrances animales
Une invention ne peut faire l’objet d’un brevet lorsque sa mise en œuvre est de nature à provoquer chez l’animal des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal.
Il convient donc d’appréhender l’invention au regard de son utilité médicale et en mettant cette utilité médicale en perspective avec les souffrances susceptibles d’être endurées par l’animal.
À cet effet, il convient d’examiner les souffrances des animaux, l’utilité médicale et la correspondance nécessaire entre les deux en ce qui concerne les animaux en question. L’OEB a eu l’occasion de préciser les modalités de ce test impliqué par la règle 28 (anciennement règle 23 quinquies d)), dans le cadre de l’affaire de la souris Harvard (cf. encadré L’oncosouris ou « souris Harvard »). Ainsi, l’examinateur européen recherchera :
- si l’objet de l’invention rend probable des souffrances animales ;
- si l’objet de l’invention présente une utilité médicale substantielle ;
- et si ces souffrances et cette utilité médicale se rapportent toutes deux à l’utilisation des mêmes animaux.
Ce dernier point implique que si la souffrance animale peut être légitimée par l’utilité médicale, la protection accordée à l’invention doit être strictement limitée aux animaux dont l’utilisation est légitimée par cette utilité médicale. Le brevet ne pourra donc être accordé pour d’autres animaux que ceux dont l’utilisation présente une utilité médicale substantielle.
C’est ainsi qu’au terme de ce test, l’OEB a pu admettre la brevetabilité des revendications portant sur :
- une « méthode pour produire une souris transgénique ayant une probabilité accrue de développer des néoplasmes, ladite méthode comprenant l’insertion chromosomique d’une séquence oncogène activée dans le génome d’une souris » ;
- une « souris transgénique dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée comme étant le résultat de l’incorporation chromosomique dans le génome de l’animal, ou dans le génome d’un ancêtre dudit animal, ledit oncogène étant en option défini de manière plus précise selon l’une quelconque des revendications 3 à 10 ».
Pour ce faire, l’Office a :
- estimé que les souffrances endurées par l’animal étaient, au cas particulier, compensées par l’utilité de l’invention pour l’avancement de la recherche sur le cancer ;
- limité cette brevetabilité aux seules souris et non aux « animaux transgéniques » initialement visés par la demande de brevet (examen de la « correspondance nécessaire entre les souffrances endurées et l’utilité »).
(cf. OEB, ch. Rec., T. 315/03, 6-7-2004, point 12.2.1).
À l’inverse, l’OEB a refusé la brevetabilité de la souris dite « Upjohn », souris transgénique destinée à perdre ses poils en vue de tests concernant la recherche contre la calvitie humaine, la souffrance animale endurée n’étant, en l’espèce, pas compensée par une utilité médicale substantielle.
L’oncosouris ou « souris Harvard », source d’interprétation divergente selon les offices
La souris « Harvard » est l’un des premiers animaux transgéniques, résultat de l’introduction d’un oncogène sur une souris en vue favoriser la recherche médicale sur le cancer.
Les demandes de brevet déposées par l’Université de Harvard auprès des Offices américain, européen et canadien ont donné lieu à diverses interprétations et conclusions révélatrices des difficultés soulevées au regard des notions d’ordre public et de bonnes mœurs.
USPTO. L’office américain des brevets (USPTO) accorde, dès 1988 le brevet portant sur « un mammifère transgénique non humain dont les cellules germinales et les cellules somatiques contiennent une séquence oncogène activée recombinée, introduite dans ledit mammifère… » (brevet US n° 4 736 866). Pour répondre aux exigences éthiques, le brevet exclut expressément « les humains ».
Commissaire aux brevets canadien. Au Canada, le Commissaire aux brevets rejette la demande de brevet pour défaut de brevetabilité. Par une décision du 5 décembre 2002, la Cour suprême du Canada confirme la position du Commissaire aux brevets considérant qu’une « forme de vie supérieure n’est pas brevetable du fait qu’elle n’est ni une « fabrication » ni une « composition de matières » au sens du mot « invention » figurant à l’article 2 de la Loi sur les brevets » (Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, 5-12-2002).
OEB. En Europe, l’oncosouris est l’occasion pour l’OEB de dégager le « critère d’utilité » permettant d’apprécier si l’invention sollicitée est, ou non, contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
À cet effet, l’OEB définit la notion d’ordre public comme « la protection de l’intérêt public et l’intégrité physique des individus en tant que membres de la société. Cette notion englobe également la protection de l’environnement ». La notion de bonnes mœurs est, quant à elle fondée sur « la conviction selon laquelle certains comportements sont conformes à la morale et acceptables, tandis que d’autres ne le sont pas, eu égard à l’ensemble des normes acceptées et profondément ancrées dans une culture donnée. Aux fins de la CBE, la culture en question est la culture inhérente à la société et à la civilisation européennes ».
Au regard de ces notions, l’OEB va apprécier la brevetabilité de l’invention en procédant à une analyse comparative « d’une part, [des] graves réserves qu’appellent les souffrances endurées par les animaux et les risques éventuels pour l’environnement, et, d’autre part, [des] avantages de l’invention, à savoir son utilité pour l’humanité ».
Au cas d’espèce, l’Office conclut à la brevetabilité de l’oncosouris mais non des animaux ou même des rongeurs en général (OEB, ch. Rec., T. 315/03, 6-7-2004).
Procédés biologiques d’obtention d’animaux
Les revendications portant sur un procédé essentiellement biologique d’obtention d’animaux sont exclues de la brevetabilité.
À cet égard, un procédé essentiellement biologique doit être entendu comme un procédé consistant intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisement ou la sélection.
Cette exclusion s’étend également aux procédés comprenant une intervention humaine, notamment par la fourniture de moyens techniques permettant la mise en œuvre des procédé.
Sont donc exclues de la brevetabilité les méthodes de croisement et d’élevage sélectif par voie sexuée.
Cependant, un tel procédé pourra éventuellement être breveté lorsqu’il comprend une étape technique additionnelle visant à introduire ou modifier le génome (cf. infra Étape 5).
De même, sont brevetables les procédés de sélection animale utilisant des marqueurs moléculaires génétiques, mais n’impliquant pas le croisement desdits animaux, le procédé n’étant pas, dans ce cas, essentiellement biologique.
À titre d’exemples, l’OEB considère :
- non brevetable, l’utilisation d’un animal même transgénique pour la sélection ;
- brevetable, une méthode visant à sélectionner des animaux ayant le phénotype Y, en criblant la présence d’un marqueur ayant la séquence qui apparaît dans SEQ ID NO : 1.
La directive européenne ne prévoit pas le sort réservé aux animaux issus de telles méthodes. Ce vide juridique a récemment été comblé à la suite des affaires dites « Tomate 2 » et « Brocolis 2 » (cf. infra Étape 5). Les animaux issus de procédés essentiellement biologiques sont expressément exclus de la brevetabilité :
- au niveau national, depuis le 10 août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages dite « loi biodiversité » ;
- au niveau européen, depuis le 1er juillet 2017 date d’entrée en vigueur des règles 27 et 28 CBE modifiées.
Pour en savoir plus, cf. infra Étape 5.