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BGene Genetics œuvre pour une cosmétique plus vertueuse

Interview

BGene Genetics œuvre pour une cosmétique plus vertueuse

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Chimie et Biotech

Au carrefour de la biologie de synthèse, de la fermentation bactérienne et de la bio-informatique, l’entreprise grenobloise BGene Genetics développe des éco-procédés de production d’ingrédients destinés à l’industrie cosmétique. Des procédés durables et éco-responsables basés sur une même approche, consistant – en substance – à transformer des résidus de bois par fermentation bactérienne. Devenue entreprise à mission, elle vise en outre une montée en échelle progressive et l’industrialisation.

Née sous sa forme actuelle en 2014 à partir d’un embryon formé deux ans plus tôt, BGene Genetics est le fruit de la rencontre de trois docteures : Marie-Gabrielle Jouan, Caroline Ranquet et Alexia Chandor-Proust. Après plusieurs levées de fonds et un virage stratégique opéré en 2017, la jeune entreprise innovante spécialiste de la biologie synthétique propose aujourd’hui aux industriels de la cosmétique de développer pour leur compte des procédés de production de rupture, plus efficaces et plus vertueux. Objectif : leur permettre de remplacer des ingrédients naturels à fort impact environnemental ou issus de la pétrochimie par des molécules produites en laboratoire à partir de matières premières renouvelables. Alors qu’elle espère produire ses premiers lots d’ingrédients cette année, BGene ambitionne d’atteindre l’échelle industrielle d’ici à trois ans.

Dans la droite ligne de la démarche vertueuse initiée depuis ses débuts, BGene a par ailleurs annoncé en mai dernier l’adoption du statut d’entreprise à mission. En accord avec ses 28 salariés, l’entreprise a ainsi défini trois grands axes statutaires : limiter l’impact de l’activité sur les ressources, garantir un procédé plus respectueux de l’environnement, mais aussi transmettre et partager ses connaissances scientifiques. Une démarche dont Marie-Gabrielle Jouan, présidente et cofondatrice de BGene, nous retrace les origines.

Techniques de l’Ingénieur : Comment BGene a-t-elle vu le jour ?

Marie-Gabrielle Jouan s’est lancée en 2012 dans l’aventure entrepreneuriale BGene
Après avoir occupé un poste de chargée d’affaires en valorisation de la recherche, Marie-Gabrielle Jouan s’est lancée en 2012 dans l’aventure entrepreneuriale BGene. © Chloe PEREZ

Marie-Gabrielle Jouan : L’entreprise a vu le jour suite à une rencontre entre mon associée principale Caroline Ranquet et moi-même.

Après la thèse que j’ai réalisée à l’Université Grenoble Alpes (UGA) – sur un thème complètement différent de celui de BGene –, je suis devenue chargée d’affaires en valorisation de la recherche à Floralis, qui était à l’époque la société de valorisation privée de l’Université Joseph-Fourier. Je m’occupais essentiellement de valoriser le travail des chercheurs sous une autre forme que la seule voie bibliographique : sous forme de brevets, de plateformes technologiques… Caroline Ranquet est un jour venue me voir pour me faire part de ses compétences spécifiques en ingénierie génétique microbienne. Ce type de compétences était alors très recherché par certains grands groupes. Elle ne songeait toutefois pas à être embauchée, son objectif étant de devenir maîtresse de conférences. Ces grands groupes lui proposaient malgré tout de réaliser des expériences pour leur compte. On lui avait alors suggéré d’ouvrir une plateforme basée sur ses compétences… Je lui ai pour ma part conseillé de déposer des brevets, et, pourquoi pas, de créer une start-up.

Cette discussion est restée sans suite pendant près de six mois. J’ai cru que je lui avais fait peur ! (Rires) En fait, Caroline avait entre-temps été embauchée par une start-up montpelliéraine, pour un poste de chercheuse en entreprise. Elle a ainsi découvert qu’un chercheur en entreprise faisait véritablement de la recherche, comme c’est le cas à l’université. Elle est ensuite revenue dans la région pour raisons familiales. Cette brève expérience lui a permis de changer de regard sur le conseil que je lui avais donné six mois plus tôt… Elle est donc revenue vers moi pour en rediscuter. Nous avons ainsi petit à petit fait mûrir l’idée ; nous lui avons trouvé un nom…

Il s’avère par ailleurs que Floralis proposait à l’époque un modèle de création de start-up qui permettait de ne pas prendre trop de risques, en lançant l’idée sous forme de business unit, tout en restant protégé par le statut juridique de la structure de valorisation.

C’est sous cette forme qu’est née BGene, fin 2012, après un dépôt de brevet portant sur les techniques spécifiques qu’avait mises au point Caroline.

Nous avons travaillé toute l’année 2013 avec des grands groupes, pour le compte desquels nous avons sous-traité des prestations de services dans le domaine de l’ingénierie génétique. Nous avons également déposé cette année-là un dossier de candidature au concours « Émergence » organisé par OSEO, ancêtre de Bpifrance. Nous avons remporté ce concours. Nous avons alors été rejointes en septembre 2013 par une troisième associée, Alexia Chandor, qui nous a apporté des compétences complémentaires : Caroline était plutôt spécialisée dans le domaine des bactéries, alors qu’Alexia avait aussi travaillé sur les levures. Elle nous a aussi permis de bénéficier de sa double compétence docteure-ingénieure de Chimie Paris : cette touche de chimie a été – et reste aujourd’hui encore – hautement nécessaire dans le développement de nos activités.

En février 2014, nous avons finalement créé toutes les trois la société BGene Genetics, cette fois-ci de façon formelle.

Sur la base du brevet dont vous évoquiez le dépôt, quel travail avez-vous ensuite réalisé ?

Le BGene d’aujourd’hui n’est plus du tout celui que nous avons créé en 2014… ! Le brevet que nous avions déposé peu avant sa création officielle traitait de la modification génétique de microorganismes sans laisser de traces. Caroline avait en effet mis au point une technique qui permettait de cibler un locus[1] du chromosome bactérien, d’y transférer ou d’en ôter de l’information de manière très précise et, à la différence des techniques qui existaient à l’époque, sans laisser de « cicatrice », c’est-à-dire, sans ajouter de paires de bases non codantes de part et d’autre du point d’intervention. Nous parlions alors de « haute couture génétique ». C’était notre crédo de l’époque. Nous nous sommes toutefois assez vite rendu compte que le panier moyen de prestation n’était pas suffisamment élevé, dans un domaine qui plus est fortement concurrentiel, nécessitant en outre d’importants investissements en R&D. En 2016, nous avons donc réalisé une première levée de fonds auprès de business angels pour booster notre R&D. Nous avions par ailleurs commencé à travailler avec une autre start-up grenobloise, CAD4Bio, qui avait quant à elle mis au point un logiciel d’automatisation de construction de briques génétiques. Nous nous sommes alors dit que ces possibilités d’automatisation allaient nous permettre de multiplier nos possibilités en matière de prestations. Nos business angels ont flairé une opportunité et ont jugé que ce qui pourrait nous différencier serait d’avoir cette double compétence en interne. Ils nous ont alors aidées à formaliser le rachat de la société CAD4Bio. En 2017, grâce à une deuxième levée de fonds, nous avons ainsi eu la possibilité de racheter l’entreprise, et donc de garder pour nous ce logiciel d’automatisation que nous trouvions très prometteur.

La même année, nous avons aussi pris conscience d’une chose : les fonds d’investissement apprécient peu les sociétés de services… Pour sortir du lot, outre le rachat de cette entreprise de bio-informatique, nous avons donc décidé de nous orienter vers le produit.

Nous avons alors commencé à travailler sur des produits à forte valeur ajoutée, mais ne demandant pas un temps trop important de mise sur le marché. Cette équation nous a rapidement conduites à nous concentrer sur le monde de la cosmétique, sur des molécules dont le sourcing finirait, à moyen ou long terme, par être problématique, notamment dans un contexte de réchauffement climatique. Un autre point commun qui nous caractérisait toutes les trois depuis le début de l’aventure était en effet notre engagement pour l’environnement, et notre certitude que la production de molécules par la voie de la biologie synthétique était l’une des clés face aux problématiques actuelles et à venir.

En 2017 toujours, nous avons donc opéré un pivot stratégique, qui nous a permis de convaincre un nouvel investisseur, lequel a injecté 3 M€ dans la société. Cela nous a permis de faire naître le BGene d’aujourd’hui. Nous sommes ainsi, depuis 2018, une société non plus uniquement de services, mais aussi de production. Si nous n’aspirons pas forcément à créer une usine, nous avons en tout cas vocation à mettre au point des éco-procédés, et ce de façon rapide et soutenable. Outre la microbiologie, la bio-informatique nous est d’une grande aide pour y parvenir.

Nous sommes aujourd’hui capables de reproduire une voie de synthèse dans un microorganisme, qui, lui, sera capable de produire une molécule donnée toute l’année et avec très peu d’emprise au sol.

Les piliers de BGene sont la microbiologie et la bio-informatique
Aux côtés de la microbiologie, la bio-informatique est l’un des piliers sur lesquels s’est développée BGene. ©Axel Pittet, agence perceptiom

Quels « éco-procédés » êtes-vous parvenus à mettre au point ?

Nous avons tout d’abord voulu apporter la preuve de notre capacité à mettre au point, de façon rapide, des éco-procédés efficaces sur une famille de molécules, celle des phénylpropanoïdes. Nous avons ainsi d’ores et déjà mis au point un procédé de production de quatre molécules. Nous nous sommes astreints à travailler à partir de déchets de l’industrie forestière, avec en tête l’idée que notre châssis bactérien soit capable de « manger » les sucres issus de ces déchets de bois pour en faire des molécules d’intérêt.

Nous sommes aujourd’hui capables de produire des échantillons, qui sont ensuite testés par nos clients. Nous voulons désormais pousser la preuve un peu plus loin, en montant en échelle. Notre objectif est de démontrer la possibilité d’industrialiser le procédé. Nous visons le passage d’un fermenteur de 3 litres à un modèle de 40 litres… voire plus si nécessaire. Les études montrent en tout cas que franchir le cap des 40 litres permet ensuite une transposition dans des fermenteurs industriels.

Nous avons par la même occasion divisé par deux le temps de mise au point d’un procédé de production, tout en gardant en tête nos impératifs d’éco-conception.

Nous avons ainsi déjà répondu aux demandes de plusieurs clients, qui nous ont fait part de leurs difficultés de sourcing de certaines molécules, et que nous accompagnons donc pour mettre au point des voies de production biotechnologies soutenables.

Vous disiez ne pas forcément aspirer à la création d’une usine… Comment envisagez-vous alors l’industrialisation de vos procédés ?

L’idée, pour nous, est de transférer le procédé de production à nos clients. Nous avons à cœur de mettre au point des procédés facilement transférables dans leurs usines actuelles, sans avoir besoin de reconstruire tout le site industriel…

Equipe BGene
En accord avec ses salariés, BGene a défini les grands axes qui sont désormais inscrits dans ses statuts d’entreprise à mission. ©BGene

Vous avez récemment annoncé votre passage sous le statut d’entreprise à mission. Quels sont les origines et les objectifs de cette démarche ?

Notre culture d’entreprise est très axée sur nos valeurs ; valeurs que nous avons notamment définies avec la nouvelle équipe que nous avons recrutée début 2018. Parmi elles se trouvent notamment l’éco-responsabilité, mais aussi la bienveillance et l’excellence scientifique. Cela a initié chez nous une réflexion : comment démontrer que notre savoir-faire, nos technologies, ne sont pas là que pour servir un but marketing et lucratif… ? Nous avons par ailleurs commencé à nous pencher sur des aspects tels que la réduction de notre production de déchets, sur notre bilan carbone… Et puis j’ai aussi pour ma part intégré le Centre des jeunes dirigeants, le CJD, fin 2017. J’ai notamment participé par ce biais au montage d’une conférence qui a eu lieu début 2020 à Grenoble, et qui s’intitulait « ImpactS ». Cette conférence a été le siège de plusieurs ateliers, sur la mobilité, la réduction des déchets, l’informatique durable, les économies d’énergie… Petit à petit, la notion de « RSE[2] » a émergé, et je me suis alors aperçue que nous réalisions déjà, un peu sans le savoir, des actions dans ce domaine.

Nous avons ensuite eu la chance d’être sélectionnés par GreenFlex et Bpifrance pour un programme d’accompagnement de structuration de la RSE. Le confinement nous a servi à dresser un bilan de nos actions, et à créer un comité de pilotage. Devenir une entreprise à mission, nous doter d’une raison d’être et l’inscrire dans nos statuts, avoir des objectifs opérationnels accompagnés d’indicateurs de suivi… nous sont ainsi apparus comme autant d’évidences.

Toute cette démarche a eu un impact positif sur nos recrutements. Les candidats aux postes que nous proposons nous en parlent en effet de manière quasi systématique, nous questionnent sur les actions que nous menons, afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas de greenwashing…


[1] Localisation précise d’un gène sur un chromosome

[2] Responsabilité sociale/sociétale des entreprises

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


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