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Décryptage

Comment l’agriculture participe à la pollution de l’air

Posté le par Matthieu Combe dans Environnement

Les zones agricoles ont la particularité d’être à la fois des sources et des puits pour la pollution de l’air. Le séminaire Primequal « Agriculture et pollution atmosphérique », organisé le 2 juillet à Paris a été l'occasion de s'intéresser au rôle de l'agriculture dans la pollution de l'air.

« L’agriculture participe aux émissions de composés azotés, des COV [composés organiques volatils], du méthane et des pesticides, ainsi que des particules primaires », explique Carole Bedos, Chargée de Recherche à l’Inra spécialisée dans la volatilisation des pesticides. Une fois émis dans l’air, ces différents composés peuvent interagir entre eux et avec les composés déjà présents dans l’atmosphère. Ils vont alors générer des composés secondaires. Les NOX et COV constituent des précurseurs d’ozone ; l’ammoniac et les acides des précurseurs de particules fines.

Quantitativement, les flux des polluants peuvent paraître faibles. Mais, sur des surfaces étendues, les émissions deviennent significatives et diffuses. Selon différentes sources, l’agriculture et la forêt émettent ainsi 53 % du total des particules en suspension (20 % des PM10, 9 % des PM2,5 et 6 % des PM1), 89 % du protoxyde d’azote (N2O), 76 % du méthane, 10 % des oxydes d’azote (NOx), 50 % des COV biogènes et 97 % de l’ammoniac présents dans l’air (l’élevage contribuant à hauteur de 77 % des émissions).  De plus, le secteur agricole utilise 91 % des pesticides.

Comment sont émises les particules ?

En agriculture, les particules primaires sont émises par les cultures et l’élevage, mais il y a peu de données sur ces émissions dans le contexte agricole français.  « Pour les cultures, la préparation du sol, la fertilisation, l’apport de produits phytosanitaires, les récoltes vont générer l’émission de particules primaires en fonction du type de sol et de la météo », note Carole Bedos. « Pour l’élevage, les émissions de particules peuvent avoir lieu au niveau des bâtiments, du stockage des effluents, de l’épandage d’effluents et en pâturage », ajoute-t-elle.

Chaque plante émet des types de COV différents. Il demeure néanmoins un manque de données concernant les émissions de COV par l’élevage, depuis les cultures et après apport de résidus organiques au champ  pour bien comprendre l’intégralité des phénomènes.

Quels mécanismes pour les émissions d’azote ?

En contact avec l’air, les équilibres physico-chimiques entre les différentes formes d’azote ammoniacal dans le sol engendrent une volatilisation d’ammoniac dans l’atmosphère. En parallèle, il y a des processus biologiques : essentiellement la nitrification (l’oxydation de l’ammonium vers la forme nitrate en passant par la forme nitrite) et la dénitrification (réduction de la forme nitrate vers la forme diazote inoffensive). « Au cours de ces étapes, il y a production d’oxyde nitrite NO et de protoxyde d’azote N2O », explique Sophie Génermont, Chargée de rechercher à l’Inra spécialisée dans les émissions d’ammoniac. « On reconnaît généralement la dénitrification comme étant la source majoritaire des émissions de N2O et la nitrification de NO ». NO et N2O sont des oxydes d’azote.

Les émissions d’ammoniac et d’oxydes d’azote sont des processus naturels qui ont été amplifiés par le développement de l’élevage industriel et l’utilisation des engrais industriels azotés. Les émissions dépendent toutefois du type de sol, de la météo, du type d’engrais apporté (minéral, organique) et des pratiques culturales : dose, apport du produit en profondeur ou en contact avec l’air, présence d’une culture capable d’absorber l’azote ou non.

Quels effets sur la pollution de l’air par les particules ?

L’ammoniac est un composé basique qui va interagir avec les composés acides présents dans l’atmosphère (par exemple, H2SO4 ou HNO3) pour former des aérosols secondaires de sulfate d’ammonium ((NH4)2SO4) ou nitrate d’ammonium (NH4NO3). Lors des pics de pollution, les mesures réalisées par le LSCE et l’INERIS montrent que les PM10 et PM2,5 sont composées essentiellement de ces particules inorganiques secondaires de nitrate d’ammonium et de sulfate d’ammonium. « L’industrie et les transports produisent des sulfates, des NOx, des acides qui au contact de l’ammoniac vont former des aérosols », résume Sophie GénermontEn parallèle de ces réactions, l’ammoniac peut aussi réagir avec des aérosols primaires, déjà présents dans l’atmosphère.

Les liens entre ammoniac et particules fines sont donc réels, mais demeurent difficiles à prévoir. « Ce sont des pics d’émission difficiles à prévoir car on n’est pas capable de renseigner de manière exacte la contribution des pratiques agricoles et des effets climatiques à la formation des particules », précise la chercheuse. Pour mieux prévoir ces pics, les chercheurs préconisent d’affiner la description spatio-temporelle des émissions d’ammoniac et de quantifier sa contribution à la formation d’aérosols secondaires.

Les dégâts de l’ammoniac ne s’arrêtent pas là. Il contribue également à l’acidification des sols, à la baisse de la biodiversité des écosystèmes, à l’eutrophisation des eaux continentales et à l’accroissement des émissions de protoxyde d’azote.

Quels impacts sur la formation de pics d’O3 en zone rurale ?

Les NOx et les COV sont des précurseurs d’ozone troposphérique. Les réactions liées à cette formation d’ozone sont complexes, car elles intègrent tout un cycle de réactions de formation/destruction d’ozone. Mais au final, la concentration en ozone dépend du ratio de concentrations NOx/COV. Les concentrations en NOx sont assez élevées en zone urbaine et la production d’ozone y est largement contrebalancée par sa destruction. En s’éloignant, les concentrations en NOx décroissent, et les taux de COV peuvent être importants. L’air passe progressivement d’un régime saturé en NOx vers un régime limité en NOx, avec toutefois une contribution locale des émissions de NOx par les sols. « Ce n’est pas en zone d’émissions de NOx que l’on va avoir le plus d’ozone, mais vers des zones plutôt rurales que l’on va avoir des pics de concentration en ozone essentiellement par jours de beau temps et de faible vent », résume Sophie Génermont.

Pour mieux modéliser la pollution, de nombreux défis demeurent, puisque les mécanismes qui entrent en jeu dépendent d’un certain nombre de facteurs. La complexité s’amplifie en plus lorsque l’on y ajoute le spectre des changements de pratiques, des changements d’usage des sols et du changement climatique !

Par Matthieu Combe, journaliste scientifique

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