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Interview

Dix ans après Fukushima : la radioécologie, qu’est-ce que c’est et comment a-t-elle servi ?

Posté le par Intissar EL HAJJ MOHAMED dans Environnement

Pluridisciplinaire, la radioécologie vise à étudier les transferts des radionucléides dans l’environnement et l’exposition de la population à ces substances radioactives. Dans cet article, nous vous expliquons les dessous de la radioécologie et son utilisation à la suite de l’incident nucléaire de Fukushima survenu le 11 mars 2011.

À l’occasion des 10 ans de la catastrophe nucléaire de Fukushima, nous avons choisi de décrypter la science derrière le drame. Nous nous sommes intéressés à la radioécologie. Quels étaient les radionucléides relâchés suite à l’incident nucléaire de Fukushima ? Comment se propagent ces substances radioactives ? Et quelles sont les possibilités de remédiation ? Nous revenons sur ces éléments avec Philippe Renaud, chargé de mission à la direction de l’IRSN, spécialiste en matière de transfert de la radioactivité dans l’environnement et dans les populations.

Philippe Renaud est par ailleurs l’auteur des ressources documentaires « Influence des rejets radioactifs normaux des installations nucléaires françaises – Éléments de radioécologie opérationnelle », « Transferts des radionucléides dans l’air, les sols et les cours d’eau – Éléments de radioécologie opérationnelle », « Transferts des radionucléides dans les denrées alimentaires – Éléments de radioécologie opérationnelle » et coauteur de « L’accident de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima Daiichi », chez Techniques de l’Ingénieur.

 

Techniques de l’Ingénieur : À quoi sert la radioécologie ?

Philippe Renaud : La radioécologie est l’étude des transferts des radionucléides dans l’environnement et des expositions de la population qui en résultent. Il s’agit d’un domaine pluridisciplinaire : c’est un regroupement de disciplines où l’on trouve la chimie, la physique,  la biologie, les statistiques, les mathématiques… Son objectif est de déterminer les concentrations des substances radioactives dans l’environnement et d’estimer les expositions de la population à ces radionucléides. Un exemple d’actualité est celui des sables chargés de radionucléides qui nous parviennent en ce moment du Sahara : c’est la radioécologie appliquée aux résultats de mesure qui permet de caractériser la situation et son évolution et estimer les conséquences sur les populations.

De même, l’année dernière, des incendies sont survenus dans la zone d’exclusion située immédiatement à côté de Tchernobyl : les particules contaminées en césium ont voyagé jusqu’à nous à cause de la propagation d’une masse d’air d’est en ouest. La radioécologie nous permet de comprendre comment cette zone boisée a brûlé, les quantités de radionucléides émises par ces incendies, comment certaines particules ont été transférées jusqu’en France, quelles conséquences cela a entraîné sur les végétaux qui poussent en France et donc quelles conséquences sur les denrées alimentaires.

Mais la radioécologie n’intervient pas qu’en cas d’incidents. Elle vise aussi à évaluer les conséquences des rejets normaux des centrales nucléaires. Les installations françaises sont autorisées à rejeter des radionucléides par voies liquide ou aérienne. La radioécololgie intervient dans les deux approches possibles et complémentaires pour estimer les conséquences des rejets : d’une part, déterminer les plans de mesure les plus adaptés à l’installation considérée puis exploiter les résultats de mesure et d’autre part, estimer les conséquences par calculs basés sur des modèles.

Quels sont les outils utilisés ?

La surveillance de routine ou spécifiquement mise en place en cas d’évènement, permet de disposer de résultats de mesure. Soit on mesure directement, sur le terrain, le rayonnement ambiant, soit on mesure en laboratoire les concentrations dans des échantillons divers (air, sols, végétaux, animaux…) prélevés dans l’environnement. Il s’agit le plus souvent de quantifier les rayonnements émis par les substances radioactives pour déterminer les concentrations dans ces échantillons.

L’un des domaines scientifiques les plus utilisés est l’agronomie car les mécanismes de transferts des substances radioactives sont soit similaires, soit découlent de pratiques agronomiques. En ce qui concerne le transfert aux animaux, cela dépend des pratiques d’alimentation par exemple. Quant aux mécanismes de captation des radionucléides, ou encore les effets des rayonnements sur les cellules vivantes, on fait ici appel à la biologie. Lorsqu’on parle de transfert de radionucléides et que l’on essaie d’estimer comment les masses d’air dispersent les substances radioactives, les méthodes utilisent des éléments météorologiques, similaires à ceux employés par Météo France. Nous avons aussi recours à la pédologie : le transfert des substances radioactives diffère selon la granulométrie du sol, de son pH, de la teneur en matière organique ou en potassium, etc. Le césium par exemple est un analogue chimique du potassium, il entre donc en compétition avec celui-ci lorsqu’ils sont captés par les plantes !

Cette compétition pour l’absorption par les plantes n’ouvre-t-elle pas la voie à la phytoremédiation ?

Le principal problème ici est que les transferts du sol vers les plantes sont très faibles !  Alors, pour retirer la radioactivité du sol, il faut que l’absorption racinaire des plantes soit plus grande et que les rendements agronomiques soient très forts. 

Quelles sont alors les méthodes de remédiation les plus utilisées ?

À Fukushima, après l’incident nucléaire, le Japon a choisi d’appliquer, uniquement dans le voisinage des écoles, une technique simple même si elle est assez brutale : enlever la couche superficielle du sol, soit les cinq premiers centimètres qui contiennent l’essentiel des dépôts radioactifs.

Une méthode moins drastique a été plus largement utilisée : le labour.  En labourant, on fait pénétrer le contaminant en profondeur. En enfouissant ainsi le césium, le rayonnement ambiant peut être diminué de 2 à 3 fois. On parle alors d’auto-absorption puisque le rayonnement gamma émis par le césium présent sous 20 centimètres du sol est absorbé par la couche du dessus qui fait donc écran.

Pour les surfaces artificielles, on utilise de l’eau sous pression, le brossage, éventuellement l’utilisation de solvants, pour enlever la couche superficielle sur laquelle les dépôts radioactifs s’étaient fixés.

Il fallait aussi diminuer la contamination des denrées alimentaires. Passées les premières semaines suivant l’accident durant lesquelles les plus hauts niveaux de contamination résultent du dépôt direct des radionucléides sur les feuilles, la contamination provient du sol, elle est beaucoup plus faible mais va durer très longtemps, des décennies ! Or, il fallait réduire cette contamination au maximum. L’une des méthodes a été d’utiliser des engrais potassiques : le césium est ainsi dilué et la plante prend alors surtout le potassium.

Mais attention, ces mesures ne doivent pas être utilisées de manière déterministe, car elles ne sont pas assez performantes pour transformer des denrées alimentaires contaminées en des denrées acceptables. Elles permettent de diminuer autant que possible les niveaux de contamination et c’est seulement à partir d’un certain seuil, avec le temps, que l’on pourra parler de niveaux de contamination acceptables. Heureusement pour le Japon, même avant le drame à Fukushima, le pays importait les fourrages de l’étranger. Et donc, comme les animaux d’élevage ont continué à ingérer des fourrages “propres”, leur contamination a été beaucoup plus faible.

Dans le cas de l’accident de Tchernobyl, du bleu de Prusse a été utilisé pour diminuer le transfert de la radioactivité du fourrage aux produits laitiers et carnés : lorsqu’il est donné aux animaux, le transfert des radionucléides au lait et à la viande peut être réduit de 4 à 5 fois, donc considérablement.

Toutes ces initiatives ont rendu possible le retour de la majeure partie de la population à Fukushima.  

Comment la dispersion des radionucléides diffère-t-elle entre les milieux terrestre et maritime ?

Lorsqu’ils sont dans l’air, les radionucléides se déposent à la surface du sol, où ils restent très longtemps, exposant les populations à leur rayonnement et contaminant les plantes. Le sol n’est pas du tout dispersif. En revanche, les milieux marins sont extrêmement dispersifs, quasiment autant que l’air : les radionucléides sont brassés et dilués dans ces immenses volumes d’eau.

À proximité de la centrale nucléaire à Fukushima, il y a eu une fuite sur une tranchée qui contenait de l’eau radioactive, générant un pic de radioactivité ; mais ce dernier a diminué rapidement grâce aux courants marins puissants. La radioactivité n’a toutefois pas disparu de l’eau et a été maintenue non pas en raison de cette fuite mais à cause des radionucléides conservés dans le sol ! Quand des intempéries, comme les typhons, frappent la région, elles emportent avec elles les particules radioactives arrachées aux sols et celles-ci alimentent alors l’eau. D’autre part, les sédiments mêmes ont été contaminés à la suite de la bouffée initiale de radioactivité dans l’eau. Et ces radionucléides fixés dans les sédiments sont relâchés régulièrement, maintenant une certaine activité radioactive dans l’eau.

Toujours est-il que l’exposition à la radioactivité du sol nous préoccupe beaucoup plus que celle dans l’eau puisque c’est du sol que provient l’essentiel des denrées alimentaires et que c’est sur le sol que nous habitons. L’eau nous gêne beaucoup moins.

Quels ont été les principaux isotopes radioactifs relâchés suite à l’accident de Fukushima ?

Les principaux radionucléides relâchés lors de l’accident de Fukushima et ayant contribué à l’exposition des populations ont été l’iode 131, et les césiums 134 et 137, mais aussi des radionucléides de période plus courte qui ont disparu rapidement.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui à Fukushima ?

Actuellement, à Fukushima, il ne reste plus que le césium : surtout du césium 137, car avec sa période radioactive de 2 ans le césium 134 est devenu difficile à mesurer. Le césium 137 a une période de 30 ans ! Pour diminuer le niveau de césium 137 d’un facteur 1000, il faut donc 300 ans…

Des mesures supplémentaires doivent-elles encore être prises à Fukushima afin de réduire davantage les niveaux de radioactivité ?

Les mesures s’imposent beaucoup moins aujourd’hui car les niveaux de radioactivité dans les denrées alimentaires sont désormais très faibles, et quasiment partout en dessous des limites de commercialisation, y compris sur les zones les plus touchées. Après l’accident nucléaire de Fukushima, le problème principal a été la décontamination des surfaces artificielles pour diminuer l’intensité du rayonnement ambiant dû au césium 137.

Pour aller plus loin

Posté le par Intissar EL HAJJ MOHAMED


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