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Industrie verte : L’enjeu majeur du foncier se pose

Interview

Industrie verte : L’enjeu majeur du foncier se pose

Posté le par Matthieu Combe dans Entreprises et marchés

Le projet de loi pour une industrie verte se précise. Après une présentation des premiers contours du texte, Intercommunalités de France insiste sur l’importance de trouver du foncier disponible, en quantité et surtout en qualité suffisante. Entretien avec son président Sébastien Martin.

Le projet de loi Industrie verte attendu pour juin prochain doit engager une réindustrialisation de la France. Parmi les cinq chantiers préparés par des groupes de travail thématiques, le premier est d’« ouvrir des usines, réhabiliter des friches, mettre à disposition des terrains ».

Sébastien Martin est président d’Intercommunalités de France, fédération de près de 1 000 intercommunalités représentant 80 % de la population française. Il souligne l’enjeu majeur de cette réindustrialisation : trouver du foncier disponible, en quantité et surtout en qualité suffisante. En 2022, 67 % des intercommunalités ont refusé des implantations ou ont fait face à des départs d’entreprises faute de foncier économique disponible. Pour participer à l’élaboration de la loi, Sébastien Martin a remis début mars au ministre de l’Économie Bruno Le Maire 20 propositions, avec pour objectif de concilier réindustrialisation et transition écologique, tout en assurant la compétitivité et l’innovation. Entretien.

Techniques de l’ingénieur : Comment Intercommunalités de France participe-t-elle déjà à la réindustrialisation de la France ? Quelles propositions défendez-vous dans le projet de loi industrie verte ?

Sébastien Martin - Intercommunalités de France
Sébastien Martin est président d’Intercommunalités de France. Crédit : Grand Chalon / C. Geoffray

Sébastien Martin : Nous sommes parties prenantes du programme Territoires d’industrie, qui vise à consolider les tissus industriels « par le bas », au travers d’alliances entre élus locaux et industriels. Ils réalisent avec l’ensemble des acteurs locaux des stratégies de réindustrialisation répondant à des difficultés industrielles concrètes : densifier un site industriel comme c’est le cas dans le Grand Orly, ouvrir une école de production pour former des techniciens comme le Choletais-Mauges [en région Pays de la Loire, ndlr], mettre à disposition des industriels des équipements numériques mutualisés comme sur mon territoire du Grand Chalon (71)…

Sur la base de cette expérience inédite de politique publique, dont nous sommes à l’origine, nous appuyons désormais pour que la politique industrielle nationale ait un véritable volet territorial, de manière à répondre aux difficultés concrètes des entreprises, et les accompagner dans leurs mutations, dans les Territoires d’industrie et partout en France. Nous avons remis à Bruno Le Maire une contribution au projet de loi Industrie verte qui s’inscrit dans cette logique. Les entreprises ont besoin de foncier aménagé, dépollué, prêt à l’emploi : nous proposons donc de massifier les « sites clefs en main ».

Nous proposons une politique de modernisation, site industriel par site industriel, fondée sur nos documents d’urbanisme qui recensent toutes les entreprises. Notre rôle est donc de dire qu’il faut penser et aider tous les industriels, les petits comme les grands, et même surtout les petits, qui sont très présents au cœur des territoires, mais qui n’ont pas toujours les moyens en ingénierie pour candidater aux grands appels à projets nationaux comme France 2030.

Qu’est-ce donc que ces sites « clefs en mains » ? Est-ce un dispositif à même de répondre fortement à l’enjeu de réindustrialisation ?

Les sites « clés en main » sont une initiative inspirée par le programme Territoires d’industrie. Il s’agit de parcelles de foncier industrielles aménagées, et pour lesquelles un certain nombre d’études environnementales et archéologiques ont été réalisées. L’industriel n’a plus qu’à déposer un permis de construire et répondre aux autorisations environnementales, ce qui prend environ 9 mois. Les sites clefs en main sont proposés par nos intercommunalités et labellisés par Business France, en partenariat avec les régions qui pourront ensuite proposer ces sites aux prospects nationaux et internationaux.

Je pense que cette initiative est excellente de tout point de vue : économique, car cela raccourcit les délais d’implantation des entreprises et renforce notre attractivité, environnemental, car nous accélérons nos implantations sans réduire nos exigences, administratif, car nous favorisons la coordination entre intercommunalité, région et État. Le dispositif Territoires d’industrie s’inscrit aussi dans cette logique : aujourd’hui ce qu’il nous manque, ce n’est pas de la compétitivité, des moyens financiers… mais un portage et une coordination politiques efficaces.

Pourquoi l’intercommunalité serait-elle l’échelon à privilégier pour favoriser les implantations industrielles ?

Nos intercommunalités sont occupées à temps plein depuis la loi NOTRe dans la modernisation des zones d’activités économiques, dont elles sont responsables de manière exclusive. Ce sont elles qui sanctuarisent le foncier industriel grâce au PLUI [Plan Local d’Urbanisme intercommunal, NDLR], qui requalifient les friches, qui supervisent le raccordement aux réseaux d’eau, d’assainissement, de fibre…

Nous sommes aussi des interlocuteurs de proximité : si un industriel souhaite s’implanter, les intercommunalités l’accueillent, lui proposent un terrain et répondent à ses besoins en termes de recrutement, moyens de transport, liens avec les partenaires économiques, fournisseurs d’énergie… Cela ne signifie pas que l’on fait tout, nous sommes des « catalyseurs », et proposons de mettre en cohérence, de rendre visible ce que font les régions, l’État et ses opérateurs, mais aussi les autres acteurs économiques au niveau local.

Selon une enquête réalisée par l’association, en 2022, 67 % des intercommunalités ont refusé des implantations ou ont fait face à des départs d’entreprises faute de foncier économique disponible. 28 % des parcs d’activités sont déjà saturés, 93 % le seront à horizon 2030. La Zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon 2050 augmentera la pression sur le foncier. Dans ces conditions, comment trouver le foncier disponible ?

La question n’est pas tant de savoir si le foncier disponible existe, mais si du foncier disponible et prêt à accueillir des activités industrielles prochainement existe. On dénombre 2 400 friches industrielles, couvrant entre 90 000 et 150 000 hectares du territoire national. L’enjeu réside dans la requalification de ces friches. De même, la majorité de nos ZAE (Zone d’Activités économiques, NDLR) ont en réalité de l’espace disponible à terme, puisqu’elles sont densifiables, comportent des dents creuses, etc. Les solutions sont là, mais il nous faut les moyens de les mettre en place : de l’ingénierie et des moyens financiers.

L’intercommunalité permet désormais de gérer de manière unifiée le foncier des ZAE : c’est un progrès considérable. En ce sens, nous avons récemment obtenu pour nos adhérents un soutien national à la réalisation des inventaires de ZAE, opéré par la Banque des Territoires et le CEREMA, de manière à ce que même les petites intercommunalités disposent d’une stratégie de gestion du foncier industriel.

Comment la fiscalité peut-elle jouer un rôle pour favoriser ces implantations et éviter la vacance ou la reprise des locaux industriels ?

La fiscalité, ce sont tout d’abord des recettes, qui permettent aux intercommunalités de financer leurs politiques d’aménagement. Or, la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, NDLR) et donc du lien fiscal entre intercommunalité et implantations d’entreprises est un signal très négatif, puisqu’elles ne seront plus incitées, voire ne pourront plus porter les politiques d’aménagement préalables à l’installation des industriels ! Nous avons en ce sens proposé un partage obligatoire de la taxe d’aménagement entre communes et intercommunalité, concernant les opérations dans les ZAE, car il me semble essentiel que les intercommunalités qui investissent dans leurs parcs industriels bénéficient d’un retour fiscal.

La majorité des intercommunalités sont-elles demandeuses de nouveaux sites industriels ?

Au fil de mes déplacements dans les territoires, je remarque une chose : l’envie d’industrie est là. Dans un contexte de montée des votes extrêmes, beaucoup d’élus locaux sont très volontaristes, mais pas à n’importe quel coût social ou environnemental. Et notre contribution au projet de loi Industrie verte s’inscrit dans ce sens : nous voulons une réindustrialisation, mais celle-ci ne peut s’inscrire que dans un cadre d’excellence environnementale, précisément pour des raisons d’acceptabilité.

Nous avons ainsi défendu l’idée d’excellence industrielle concrète : notre réindustrialisation ne doit pas reposer sur un nivellement par le bas de notre exigence environnementale ou de nos salaires, mais au contraire s’appuyer sur des sites industriels d’excellence, avec un bâti à forte qualité énergétique, une main-d’œuvre qualifiée… Les intercommunalités sont justement au cœur de ces exigences au travers de leurs compétences.

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